Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Un entretien avec Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif Pour Tous.
Emmanuel Macron est plus qu’ambigu sur ce sujet, et depuis longtemps : la PMA sans père n’est pas une promesse de campagne, contrairement à ce que prétendent nombre de médias. Il avait en fait indiqué, dans la dernière ligne droite de sa campagne, qu’il était « personnellement » favorable à la PMA « pour toutes » et ce, en posant des conditions. Il avait dit aussi que la France de La Manif Pour Tous avait été « humiliée » et qu’il souhaitait des débats où tous pourraient s’exprimer, pensant sans doute que ce n’était qu’une question d’orgueil et qu’il fallait faire mine d’écouter les opposants. Les EGB ont donc produit des débats nombreux et larges, des auditions en nombre et la mise à disposition d’une plateforme internet de consultation. Et en l’occurrence, ce qui s’est manifesté, c’est une opposition massive aux transgressions envisagées, dont la PMA sans père.
À l’issue des EGB, le CCNE a publié un rapport dans lequel il constate qu’il n’y a pas consensus. C’était déjà important puisqu’Emmanuel Macron avait fait du consensus l’une des conditions de la réforme. Cependant, le CCNE aurait évidemment dû aller jusqu’au bout en indiquant que cette opposition était très largement majoritaire. Or rien n’est dit sur les votes de la plateforme Internet ni sur les argumentations, riches et fouillées, qui y avaient été développées. Clairement, les résultats ne convenant pas au CCNE, il n’a pas exposé le contenu des débats ni les résultats. Il a suivi la demande du Président et fait comme si débattre était une fin en soi et pas seulement un moyen au service d’une fin, à savoir connaître les positions des Français et élaborer des décisions conformes à l’intérêt général.
Cela a resurgi au moment du Grand Débat : Emmanuel Macron a été interpelé par un maire sur les résultats des EGB, mais il a répondu en parlant de l’avis du CCNE. Cela montrait qu’il préférait ne pas parler des EGB, dont il connaissait les résultats réels. Il a juste reconnu l’absence de consensus quand il a reçu des intellectuels, mais lui non plus n’assume pas la vérité sur les conclusions. De fait, elles signifient que la condition posée par le Président n’est pas remplie et qu’il ne devrait donc pas avancer en ce sens. J’ajoute qu’il avait posé une autre condition, qui était un avis favorable du CCNE. Celui-ci a été publié en juin 2017 puis confirmé à l’été 2018. Ce n’est guère étonnant, à vrai dire, puisque son Président comme ses membres sont nommés par le pouvoir… Mais donc cet avis favorable n’était que l’une des deux conditions et l’autre – celle du consensus – n’est pas remplie.
D’autres étapes ont été franchies, mais pas toutes, et beaucoup plus discrètement. Le Conseil d’État a publié une étude en juin 2018 sur la révision de la loi de bioéthique. Sur la question de la PMA sans père, elle dit que rien n’empêche de légaliser, mais aussi que rien n’oblige à légaliser. Elle souligne – est c’est très intéressant venant du Conseil d’État – qu’il n’y a pas de question d’égalité ou d’inégalité, ni de discrimination, en matière de PMA car un couple homme-femme, un couple de femmes ou une femme seule sont dans des conditions différentes au regard de la procréation : il n’y a donc pas de comparaison qui tienne. Cela peut expliquer le peu de publicité médiatique sur cette étude. Et d’ailleurs, quand Marlène Schiappa ne cesse de parler d’égalité sur ce sujet, elle est soit incompétente soit de mauvaise foi, ou les deux.
Au printemps 2018, autre étape prévue, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) avait dit que la PMA n’est pas une question de bioéthique – ce qui est faux sur le fond, mais c’est un autre débat – parce que la révision de la loi de bioéthique est motivée par l’évolution des techniques, qui pose de nouvelles questions. Mais en matière de PMA il n’y a aucune nouveauté et le législateur s’est déjà penché plusieurs fois sur cette question. Là aussi, peu de publicité médiatique…
Une mission parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique a aussi été mise en place. Elle a travaillé au dernier trimestre 2018 et publié un rapport en janvier 2019. Hélas, il ne rend compte que de l’opinion du rapporteur, Jean-Louis Touraine, militant de toutes les transgressions. Sur 370 pages, on trouve 225 fois les expressions « le rapporteur pense que », « estime que », « souhaite que… » ! Ce qui explique que ce rapport envisage même la présomption de co-maternité, la procréation sans sexe pour tous, etc. Dès lors que l’on détourne la médecine de sa finalité, elle devient une prestation au service de nos désirs individuels, lesquels sont illimités ! Ce rapport, favorable à l’idée de « dépasser les limites du biologique » se situe même dans une perspective transhumaniste.
Et j’ajoute qu’il fait cette annonce alors qu’il manque encore un avis, que la loi rend obligatoire dans le processus de révision de la loi de bioéthique : l’OPECST doit en effet évaluer aussi le rapport du CCNE sur les EGB. Compte-tenu des insuffisances de ce rapport évoquées plus haut, cette évaluation pourrait être intéressante.
Mais les associations militantes LGBT et d’autres mettant la pression sur le gouvernement, lequel avait en outre prévu de donner un coup de barre à gauche après les Européennes, celui-ci envisage d’avancer. Cependant, si ce projet de loi a été reporté plusieurs fois, c’est bien que le gouvernement s’attend, à juste titre, à une opposition massive, notamment dans la rue.
Pour Emmanuel Macron, qui n’a jamais travaillé le fond, l’opposition serait spécifiquement catholique, ce qui dans son esprit la réduit à une conviction communautariste. Et les catholiques, selon lui, devraient être contents parce qu’ils ont pu s’exprimer lors des EGB ; parce qu’il a rendu visite aux évêques aux Bernardins, et au Pape à Rome. Ne comprenant pas le fond du sujet, ou ne s’y intéressant pas parce que la PMA « pour toutes » est une évidence pour lui, il croit que sa méthode – laisser parler les opposants, être aimable avec eux –, les aura satisfaits.
En effet, son absence totale de réflexion sur ce sujet s’est confirmée lorsqu’il a déclaré à un journaliste que l’extension de la PMA « n’enlèverait rien à personne » : il ne voit même pas, ou ne veut pas voir, que cela enlève un père à l’enfant !… Comme il ne veut manifestement pas voir les autres aspects éthiques, sociaux et juridiques de la question de la PMA sans père. La marchandisation humaine fait ainsi partie des obstacles à une éventuelle extension de la PMA : en effet, il n’y a pas assez de dons de gamètes pour les couples homme-femme qui ont besoin de recourir à une insémination avec donneur, qui est l’une des formes de PMA. Aujourd’hui, ces couples peuvent attendre jusqu’à 3 ans ce qui, en matière de procréation, est très long, l’âge étant un facteur déterminant. Or si on étend la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, toutes auront besoin de gamètes masculins, ce qui en réalité ne pourrait être satisfait. Et si l’on regarde ce qui s’est passé dans les pays qui ont étendu la PMA, on constate que tous sont rentrés dans la marchandisation humaine : soit ils se sont mis à rémunérer les hommes pour obtenir leurs gamètes, soit ils achètent aux pays qui rémunèrent : la Belgique, par exemple, achète massivement au Danemark. Outre ce problème éthique, cela pose également une difficulté juridique puisque la non-patrimonialité du corps humain est l’un des principes bioéthiques français inscrit dans la loi, ce qui signifie notamment que les éléments du corps humain ne peuvent être achetés. Et ce principe est également inscrit dans la convention d’Oviedo, convention internationale contraignante que la France a ratifiée en 2011.
Dans l’espace public, beaucoup craignent d’exposer leurs convictions, ce qui est très préoccupant, mais nous avons des alliés partout. Nous recevons donc beaucoup d’informations et nous pouvons nous-mêmes en faire passer. Par ailleurs, les Français, dans leur majorité, sont en réalité d’accord avec nous, contrairement à ce que disent trop souvent les médias. Certes, si on leur pose la question d’un nouveau droit, leur réponse spontanée est plutôt positive. Mais dès qu’on évoque l’enfant, qui est évidemment le premier concerné par la PMA, avant même les adultes, leurs réponses diffèrent complètement : quand on leur demande si, d’après eux, « l’enfant né par PMA a le droit d’avoir un père et une mère », 82% répondent oui (sondage IFOP de févier 2019) ! En outre, cette proportion a fortement augmenté depuis un an et demi, ce qui confirme aussi que notre travail porte des fruits.
Nous constatons par ailleurs que les nombreux arguments que nous soulevons conduisent les pouvoirs publics soit à tenter de ne pas donner prise à tel ou tel argument, soit à tenter d’écarter certains aspects qui l’embarrassent. La ministre de la Santé a par exemple essayé d’expliquer dans les médias qu’il n’était pas question d’effacer le père… alors que, évidemment, c’est bien l’une des implications majeures de ce projet. Quant aux droits de l’enfant, le rapport Touraine prétend que la France ne serait liée que par certains articles de la Convention internationale des droits de l’enfant. En réalité, l’article 6 de la Convention, qui indique que « l’enfant a le droit, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d’être élevé par eux » n’est évidemment pas facultatif : c’est bien l’ensemble des articles de cette Convention ratifiée par la France qui doit être respecté !
Comme vous le comprenez, depuis 6 ans que nous nous battons quotidiennement pied à pied, la PMA sans père n’est pas passée. Et nous entendons bien continuer le combat, y compris en investissant à nouveau la rue s’il le faut !
Cet article fait partie du dossier Bioéthique : vers l’inconnu.
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Illustration : Touraine, Buzyn, Schiappa, ou comment appliquer à la cathédrale du vivant les principes de « l’audace respectueuse » développés par Macron pour Notre-Dame de Paris.