Le prince Jean de France, nouveau comte de Paris, est intervenu à plusieurs reprises dans le cours de la Semaine Sainte sur différents organes de presse – Le Figaro, L’écho républicain – pour dire son souci de la France, après l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris. C’est ce souci de la France, dégagé de toute visée électoraliste, qui guide la pensée du Prince et qu’il veut bien confier à Politique magazine.
Monseigneur, comment percevez-vous la campagne des européennes et l’alternative que pose Emmanuel Macron, « moi ou le chaos » ?
C’est un peu binaire comme vision des choses ! Il faut toujours faire attention aux formules chocs, qui sont là pour marquer les esprits. Il y a certainement d’autres voies, dont une, le concert des nations, qui est une expression qui me plait. Dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, le concert des nations et le modèle de construction européenne qu’il suppose devraient être ce qui oriente la campagne. Il y a de nombreux enjeux, dans ces élections. Nous sommes le seul pays où la majorité en place, à chaque élection européenne, est élue de manière très inconfortable. L’Europe est-elle mal aimée, les Français, déjà inquiets pour eux-mêmes, sont-ils très inquiets vis-à-vis de cette instance supranationale qui paraît peu concrète et viser plus le consensus que le bien commun ? Pour le moment, on ressent surtout le désamour caractéristique des Français pour les élections.
Ils s’expriment autrement, par exemple avec les Gilets jaunes, qui ont montré que certains Français étaient au bord de l’exaspération à force de se sentir ignorés, voire méprisés : comment ressentez-vous l’état du pays ?
Les Gilets jaunes, si l’on met de côté les débordements qu’on connaît, expriment les multiples fractures qui existent en France, entre riches et pauvres, entre gens des villes et gens des champs, entre ceux qui sont “dans le système” et ceux qui sont hors système, entre ceux qui triment et ceux qui bénéficient de la conjoncture, etc. Ce sont ces oppositions telles qu’elles se sont creusées depuis une trentaine d’année qui surgissent, dans un ras-le-bol général où les Français réclament un travail décent, des écoles pour leurs enfants, une retraite qui leur permette de vivre après avoir donné du temps à leur pays, une couverture sociale suffisante, un environnement agréable et sécurisé… La base, quoi, alors que tout ceci est plutôt laissé de côté par une nomenklatura urbaine hors-sol qui ne comprend pas que ceux qui ne votent pas et ne manifestent pas puissent rêver d’autre chose que de leur projet.
N’y a-t-il pas aussi chez eux le refus d’une impuissance de l’État à agir sur la réalité ?
Il y a certainement une impuissance de l’État, puisque l’Union européenne a pris le pas sur le périmètre d’influence de l’État français. D’autre part, l’État ne s’intéresse plus au bien commun, ni au service de la France et des Français. Ce sont deux moteurs qui vont de concert.
Quand on ne maitrise plus la monnaie ni la loi, ni la sécurité (80 zones de non-droit, outre les incivilités permanentes !), que reste-t-il ?…
Je suis d’accord, nous sommes désormais dans une France liquide dans une Europe sous influence comme dit Philippe de Villiers. Cette Europe autoproclamée a en fait été programmée pour et par les États-Unis.
Outre les Gilets jaunes et leur démonstrations spectaculaires, les enquêtes du Cevipof montrent, depuis dix ans, que les Français ont de moins en moins confiance dans le personnel politique. L’idée d’un gouvernement débarrassé des contraintes de la démocratie participative recueille même un assentiment assez fort. Y a-t-il une impossibilité institutionnelle, en France, à entendre ce genre de discours ?
Je ne sais pas s’il faut parler d’impossibilité institutionnelle, mais il y a une désaffection des Français pour leurs politiques, qui se sont détournés de leur vocation première et ont laissé le système confisquer tous les moyens d’expression, tous les sujets de débat, au point que la liberté en pâtit. Alors que c’est une liberté nécessaire de pouvoir s’exprimer et d’être entendu. Par ailleurs, dans un tel système, la seule déclinaison possible est une manière de despotisme, éclairé ou non, selon ce qu’en disent des Européens convaincus, comme M. Delors. Alors que « le Prince en ses conseils et le peuple en ses états », c’est-à-dire la monarchie, permettrait de rétablir les équilibres et de garantir les libertés, sans glisser vers le despotisme tel qu’il est aujourd’hui exercé dans les pays où les gouvernements sont dans l’idéologie globalisée du moment.
Cette crise de confiance, qui amène dans certains pays des réponses institutionnelles particulières, ne vient-elle pas aussi du fait que l’Union européenne doit faire face à deux gros problèmes, une immigration qui fracture les populations nationales et les divise en communautés hétérogènes, sans culture commune, et l’apparition d’n islam public très revendicatif réclamant que les cultures nationales s’adaptent à ses impératifs ?
L’islam s’accommode très bien de l’idéologie du moment qui entraine une partition de la population française, en fonction de la religion, des communautés, des intérêts divergents. Cette partition lui permet d’avancer. On ne peut considérer sans inquiétude, voire une certaine angoisse, les pays musulmans aujourd’hui, et le sort réservé à ceux qui n’ont pas cette religion. “L’islam modéré” ne sera qu’une étape, et comme il y a plusieurs islams, on peut qu’être perplexe quant à ce que cela va donner. Il faut évidemment retrouver un socle commun, culturel, historique, religieux.
L’incendie de Notre Dame et les réactions qu’il a suscité prouvent-ils que ce socle commun existe et n’est que recouvert par la poussière des discours médiatiques ? La France se sent-elle toujours chrétienne dans ses racines sinon dans ses mœurs, avec son histoire et sa culture ?
J’aimerais penser qu’il s’agit en effet de quelque chose de profond, et que l’idéologie relative du moment ne fait que recouvrir ce socle. On voit que le fonds chrétien ressort, une foi culturelle dans laquelle ont baigné nos hommes politiques.
Comment le roi peut-il créer et maintenir la concorde nationale dans un pays où une part significative de la population est musulmane ?
L’inspiration lui viendra quand le moment sera venu ! Ensuite, si le roi est aussi le protecteur des chrétiens, la vertu exige que la foi musulmane puisse s’exprimer sans remettre en cause l’état de droit : ce sera là le point d’équilibre.
Monseigneur, comment ce roi protecteur des chrétiens peut-il travailler avec une église catholique en crise, d’une part, mais d’autre part très acquise aux valeurs de la république et à une interprétation de plus en plus humaniste du message de l’Évangile ?
L’Église doit régler clairement et fermement ses problèmes internes, c’est une chose. Sur le second point, depuis Léon XIII, pour ainsi dire, l’Église a changé sa politique générale, qui était de s’appuyer sur les chrétiens pour avancer dans l’espace public. Le nouveau système finit par la dissoudre : dans la lettre des évêques de France, « Retrouver le sens du politique », publiée avant les dernières élections présidentielles. Il n’y a quasiment aucune références théologiques et philosophiques… Il n’y a pas de chapitre sur le travail, alors que c’est une valeur de base pour les chrétiens. L’Église a été évincée, s’est évincée, de toutes les sphères où elle aurait pu et dû marquer sa différence. Son influence est devenue plus limitée.
Le roi, étant donné le tableau qu’on vient de dresser, devrait-il se borner aux fonctions régaliennes classiques (police, justice, armée, monnaie) ou, au moins pendant un temps de transition, tenir compte de l’importance considérable pris par l’État en France et de l’ampleur non moins considérable des problèmes que l’État n’a pas réglés, comme le désastre environnemental ?
Bien sûr, c’est nécessaire. Et les rois ont toujours été des têtes de pont en matière environnementale. Il faut s’inscrire sur le long terme. L’environnement, et les questions sociales, et j’ai sur ce sujet la même sensibilité que mon grand-père : le Prince doit s’intéresser à ces questions-là. C’est un élément fort de pouvoir travailler sur ces sujets. Et il n’y a que les Princes qui peuvent agir : seul le roi est capable de poursuivre le bien commun tout en respectant les populations. Mieux vaut être petit, cela dit, comme le dit le prince du Liechtenstein.
Aujourd’hui, la France n’est pas petite et le gouvernement d’une nation est enserré dans un tissu serré de relations internationales. Comment théoriser un pouvoir national aujourd’hui ?
La seule chose qui fonctionne, c’est le principe de subsidiarité, qui s’appuie sur la confiance : les hommes sont faits pour vivre ensemble et s’ils s’entendent ils vivent mieux. C’est ça, le bien commun. Aujourd’hui, on pousse l’homme, par l’individualisme, à assumer ses désirs jusqu’à ce qu’on lui supprime ses libertés. Ce qui gouverne nos sociétés, c’est la défiance, l’idée que l’homme est un loup pour l’homme. Il faut changer de philosophie politique. Et on en revient au concert des nations : le concert n’exclue pas les fausses notes mais il y a une partition, une liberté d’interprétation et une volonté de jouer ensemble, chacun avec son talent.
Monseigneur, comment voyez-vous votre rôle ici, en France, en 2019 ?
Déjà comme chef de famille, dans une relation apaisée. Et je veux m’impliquer plus dans la vie de mon pays, par la parole et par les actes, avec des relations plus fortes avec l’État et des structures intermédiaires, avec les populations. Je parlerai plus fréquemment, et j’espère que mes actes seront à la hauteur. C’est important que le chef de la Maison de France soit présent.
Propos recueillis par Jean Viansson-Ponté et Philippe Mesnard