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Un pays en état de lobotomie

Pour un homme de ma génération, nourri de lectures qui lui ont enseigné l’histoire longue de la France — la construction progressive d’un État capable de résoudre les crises d’autorité et d’assurer le fonctionnement régulé de la puissance publique — ce qui se déroule aujourd’hui relève de l’incompréhensible.

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Un pays en état de lobotomie

Non l’existence du désordre, qui accompagne toute société vivante, mais son acceptation, sa justification et, plus grave encore, son travestissement moral. Des portions entières du territoire échappent désormais à l’autorité effective de l’État. Non par accident, mais par renoncement. Le citoyen est ballotté dans une incertitude permanente : peut-il circuler librement ? sortir le soir ? traverser un quartier sans risquer l’agression gratuite, le coup de lame, la mutilation absurde ? La liberté d’aller et venir, fondement élémentaire de la vie civile, devient conditionnelle. En face, l’État se réfugie derrière des exhortations creuses, des statistiques menteuses, et des promesses différées.

Cette situation rappelle des temps que l’on croyait ensevelis. La déréliction post-révolutionnaire, lorsque l’autorité s’effondre plus vite que ne se rétablit la loi. Ou encore le Paris de la Régence, quand le bandit Cartouche et sa cohorte imposaient une terreur nocturne faite d’intrusions, d’égorgements et de rapines. On parlait alors de brigandage. Aujourd’hui, on parle de « faits divers ». Le vocabulaire s’est affadi, la réalité demeure. La différence, pourtant, est décisive. Jadis, le pouvoir finissait par frapper, parce qu’il savait que sa survie même en dépendait. Aujourd’hui, il temporise, explique, relativise. Il s’excuse presque. Il traite les symptômes tout en refusant d’interroger les causes, par crainte de déplaire aux nouveaux clercs, aux juges idéologiques, aux commissaires moraux d’une Europe abstraite et désincarnée.

La France a besoin d’un État

Il faut donc nommer clairement le problème. Si des traités européens, des normes supranationales ou des jurisprudences hors sol empêchent un État d’assurer la sécurité de ses citoyens, alors ces textes doivent être dénoncés. Non par caprice, mais par nécessité politique. Un État qui ne protège plus n’est plus qu’une administration de façades, un décor juridique posé sur le vide. La France n’est pas vouée au chaos. Elle ne l’est qu’à condition de persister dans cette anesthésie volontaire, cette lobotomie collective où l’autorité est confondue avec la brutalité, la fermeté avec l’infamie, et la lucidité avec la faute morale. Retrouver la maîtrise du destin collectif ne suppose ni fureur ni excès, mais le retour au principe premier de toute civilisation politique : la loi, appliquée, assumée, et défendue sans trembler.

L’Angleterre, une fois encore, nous a montré la voie : l’Europe telle qu’elle fonctionne n’est pas la solution. Elle est devenue un cadre de dépossession, où l’on sacralise des textes contre le réel, où l’on prétend gouverner des peuples au moyen d’un juridisme hors sol qui neutralise l’action et dissout la responsabilité. Ce système fabrique de l’irresponsable : personne ne décide, donc personne ne répond ; personne ne répond, donc rien ne change.

Il faut abandonner ce cadre juridique nocif et dépossessif. Non par humeur, mais parce qu’un pays qui ne tient plus ses frontières, qui ne garantit plus la sécurité, qui ne protège plus la liberté d’aller et venir, est un pays qui a renoncé à son premier devoir. La souveraineté n’est pas un mot de tribune : c’est la condition matérielle de toute politique possible. Sans elle, l’État n’est plus qu’un guichet et le citoyen un administré prié de se taire. Que l’on cesse donc de confondre l’Europe des échanges avec l’Europe des entraves, l’amitié des nations avec la soumission aux normes, la coopération avec l’abdication. Si les traités empêchent de reprendre la main, alors ils doivent être dénoncés. La France n’a pas besoin d’un carcan : elle a besoin d’un État. Et un État ne mendie pas le droit d’exister.

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