Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
L’homme qui dirige la France, ou qui croit la diriger, avec un sentiment de puissance exagéré qui ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui, et encore moins après les élections européennes qui le sanctionnent si gravement et, pour ainsi dire, presque totalement, comme un plébiscite de rejet, peut encore, et malheureusement, pendant les trois ans qui lui restent de présidence, causer d’autant plus de dégâts qu’il se sent pressé, voire acculé par le temps, et qu’il cherche le débouché d’un nouveau statut qui lui permette, après les échéances électorales et la fin de son mandat en 2027, de conserver un rôle prépondérant dans des structures politiques et économiques du plus haut niveau.
Rien n’est plus trompeur et dangereusement séduisant pour un responsable politique que de s’imaginer devoir incarner un personnage historique, et c’est le cas de Macron, chargé d’une mission considérée comme sacrée et prégnante, quand dans les faits il n’a plus d’autre règle de pensée que sa propre vision personnelle qu’il gratifie d’une super-légitimité, au-dessus de toute autre loi et même des résultats électoraux, pour la seule raison qu’elle est sienne, au lieu de s’aligner sur l’intérêt bien compris de son pays, dont il lui est pourtant facile de connaître et d’appréhender les données les plus sûres par les informations qui remontent vers lui. Sauf à s’aveugler, ce qui est encore le cas de Macron sur presque tous les sujets, de l’immigration à la délinquance, de l’insécurité à l’aggravation de la situation économique et financière de la majorité de la population, sans compter ses postures internationales.
Les idées fantasmées d’une République plus pure, toujours qualifiée d’exemplaire, sans cesse à refonder sur ses valeurs majusculaires de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, la pensée constamment reprise d’un État ou d’un super-État, sans cesse à construire et à reconstruire sur un modèle idéal préconçu, le souci lancinant d’une nation à corriger, à transformer, voire à amener de gré ou de force à changer de forme et à sortir enfin et définitivement de son histoire, pour mieux entrer ainsi dans de plus vastes conceptions qui répondent à des critères jugés plus rationnels et plus pertinents, en l’occurrence depuis des décennies et singulièrement depuis l’arrivée de Macron au pouvoir, ceux d’une Europe supranationale et fédérale, vue et imposée comme une nécessité politique, économique et sociale, aussi obligatoire qu’irréversible, tout cet attirail de considérations qui se veulent savantes et de haute politique, supposant des fiches et des dossiers appris et débités par cœur à la manière de Macron et d’Attal, devient le projet obsessionnel de l’homme à qui les circonstances d’une apparente réussite, plus ou moins truquée et frelatée, dans la conquête du pouvoir donnent l’illusion d’une supériorité qu’il lui convient de relégitimer en toute occasion par la poursuite de son dessein, en lui imprimant comme un caractère invincible.
Toute l’action de Macron s’inspire de cet ensemble de postulats qui relèvent d’une logique autocentrée et tautologique, perpétuellement autoréférentielle. Il suffit de l’écouter, lui et son entourage, qui n’arrêtent pas de se congratuler même devant les échecs les plus patents.
Notre histoire républicaine regorge d’exemples de ce type, comme, il est vrai, bien d’autres nations, surtout celles qui se flattent de vivre selon les mêmes valeurs. Le libéralisme affiché est souvent le cache-sexe d’un illibéralisme ainsi dissimulé et qu’il est de bon ton de fustiger partout ailleurs. Rien de tel que le journalisme officiel pour remplir cet office où le mensonge se double d’hypocrisie. Notre histoire politique depuis la disparition de la légitimité royale est ainsi pleine de cas plus ou moins achevés, plus ou moins reluisants, qui illustrent à leur façon cette effarante et insupportable prétention de représenter à soi seul, ou en mode partisan, la légitimité démocratique du pays, dont la République par son cadre institutionnel est censée garantir la justification théorique et pratique, en dépit de tous les aléas et de toutes les contradictions, même celles du plus élémentaire bon sens, même celles de la justice bafouée à longueur de temps par des décisions cruelles et absurdes.
Le trait commun de toutes ces expériences est de finir en catastrophe. Notre Robespierre national agite toujours, et encore aujourd’hui, l’imaginaire républicain. Ne s’agit-il pas de remodeler la société, superbe prétention, n’est-il pas, et digne du plus bel enthousiasme, sur une exigeante et exclusive conception, y compris, bien sûr, la moralité publique sur laquelle la révélation républicaine se doit d’étendre son empire.
Notre Mélenchon et nos LFI n’en sont pas loin, y compris en matière internationale, ni nos macronistes et notre Macron, tous prêts à déclencher des guerres civiles ou des guerres internationales, voire une guerre mondiale, pour satisfaire leur vue des choses, comme à décider légalement, constitutionnellement même, de la mort et de la vie des enfants, des vieillards, des malades, à fixer les droits de chacun, de la naissance à la mort, à définir l’éducation et l’instruction, à se mêler de tout, du travail, de la retraite, de la manière de respirer et d’agir.
Il faut absolument, selon les normes républicaines, que tous ces gens qui s’agitent au-dessus de nous, en croyant ainsi commander, s’occupent de nous en toutes nos affaires et s’arrogent le droit de les gouverner. C’est qu’ils savent et que nous ne savons pas !
Macron s’intéresse même à la ménopause des dames, comme il l’a déclaré dernièrement dans le magazine Elle. Ne riez pas, tout juste s’il ne propose pas une convention citoyenne sur le sujet et pourquoi pas une révision constitutionnelle. Ce serait « mode ». Et quels discours, à vous saisir d’émotion lorsqu’il s’agira de définir la nécessaire andropause pour réaliser enfin cette égalité des sexes qui est si injustement et si méchamment refusée depuis la nuit des temps.
Oui, Robespierre toujours là, avec ses cérémonies et ses fêtes, ses processions et ses béatifications, aussi pompeuses que grotesques, pour convertir le peuple et élever les âmes citoyennes, ses discours indéfinis, ses sombres déclamations, ses affirmations tranchantes, ses censures à tout-va et ses condamnations implacables de tout opposant, désigné publiquement comme ennemi du peuple, le tout animé d’une conviction littéralement dictatoriale de la sûreté absolue de son propre jugement en toute matière nationale et internationale. Ce qui justifie amplement toutes ses interventions et décisions, qu’il s’agisse de la guerre, de la paix, de l’ordre républicain et des objectifs de la société. La moindre contradiction ne saurait être admise. Tel fut Robespierre, tel Macron, avec le même esprit, sauf que l’échafaud n’est plus que moral, mais il est bien là.
Certes, il y en eut bien d’autres autour de Robespierre et après lui qui prétendaient de la même façon à être à eux seuls la République. C’est d’ailleurs la logique propre de telles institutions de se cristalliser régulièrement sur un aventurier de passage qui s’identifie au régime. Ce régime que les Français, à force d’être soumis à la propagande de ce même régime, se flattent d’avoir institué et d’aimer plus que tout, comme leur dieu, au vrai leur religion politique, leur Absolu, au-dessus de tout et surtout dominant leurs consciences et leurs autres croyances, quelles qu’elles soient. Évidemment, le monde des musulmans échappe à une telle emprise, d’où les difficultés de la République qui les accueille comme citoyens électeurs en pensant se les approprier, alors que leurs règles de vie sont ailleurs. Robespierriste, mais aussi bien bonapartiste, c’est ainsi que se révèle tour à tour et en même temps cette République qui fait de la France son champ d’expérimentation depuis plus de 200 ans.
Bonaparte, incontestablement plus génial et moins idéologue que Robespierre, comme il disait lui-même, encore que… , oui, Bonaparte, pareillement, a cru ou plutôt a voulu croire que l’avenir était à lui, entièrement à lui. La France était sa chose. Quand Macron expédie des troupes, il dit « J’envoie mes mecs ». C’est le style. Bonaparte se devait de transformer la France, de l’élever au-dessus de son destin. Il en a fait un empire alors qu’elle était constitutivement un royaume. Les réformes nécessaires ne furent faites que pour consolider son pouvoir, qu’il étendit dans tous les domaines et dans toutes les directions, à l’intérieur et à l’extérieur, bientôt au-delà de toute limite raisonnable.
Il voulait faire la France européenne ou, autrement habillée, l’Europe française, mais tout entière sur sa conception personnelle à lui, et à lui exclusivement. Inutile d’entrer dans les détails des implications monstrueuses et tragiques qu’entraînait inéluctablement une telle vision, dont le refus des peuples qui ne pensaient qu’à s’insurger, les coalitions, les folies espagnole et russe qui s’en suivirent jusqu’au désastre final.
Malgré une telle catastrophe des plus coûteuses pour la France, il osa renouveler son entreprise insensée pour s’approprier de nouveau un pouvoir qu’il n’imaginait pas quitter. Il y a évidemment du Bonaparte chez Macron, sans génie, comme chez tous les ambitieux de la République, à qui elle laisse libre cours de divaguer et d’extravaguer, puisque par définition la place est toujours à prendre et à reprendre. Macron est violemment entraîné par cette même prétention à s’emparer de la réalité politique pour en faire sa chose, à lui, afin de la tordre et de la plier à sa volonté, France, Europe, monde, se croyant suffisamment démiurgique pour chercher par tous les moyens à imposer ses objectifs. Sauf que la France et l’Europe ne sont plus au temps de Bonaparte et que tous nos chefs d’État et de gouvernement n’ont fait par la suite qu’ajouter sans cesse des normes aux normes pour constituer finalement d’invraisemblables fatras législatifs et décisionnels, devenus un chaos institutionnel dans tous les domaines sous lequel la France et les Français croulent désespérément. La centralisation est l’un des vices essentiels de ce système.
Ne nous attardons pas sur Napoléon III, qui crut aussi en son destin et dont le destin s’acheva également dans une défaite française, dont il fallut payer les conséquences, selon cette loi régulière qui frappe depuis 1789 toutes les entreprises politiques qui se veulent une reconstitution de l’État et qui aboutissent à des effondrements. Macron se retrouve là aussi avec cette même prétention diplomatique, on dit aujourd’hui géopoliticienne, de réformer le monde, de parler au nom des peuples, en mettant le désordre partout et en retournant contre soi les États et les peuples exaspérés, tout en croyant se faire idolâtrer des Français.
La IIIe République est encore un exemple typique du même mécanisme qui régit le système dit français, quelle que soit la forme, parlementaire ou autocratique. La bande des Jules et des Léon, Ferry, Grévy, Favre, Gambetta etc. , s’empare en 1877-1880 de la République qu’ont fabriquée les royalistes. Et, aussitôt, ils imposent leurs lois à eux, prennent l’Instruction qui deviendra l’Éducation, détruisent ce qu’ils appellent le parti clérical, chassent les congrégations, éliminent tous les concurrents. Ce fut une bagarre contrairement à tout ce qui se raconte aujourd’hui.
La République voulait seule régner dans ce qui était le royaume de France et qui était aussi, ils le savaient parfaitement, le royaume du Christ. Ils ont réussi, l’Église ayant cru bon de rallier la République, et aujourd’hui pratiquement plus rien ne subsiste de l’ordre ancien et véritable, sauf dans les traditions familiales encore épargnées.
Le résultat, c’est une société émiettée, divisée, assommée de lois perverses. Macron en est l’aboutissement. Comme il est l’aboutissement d’une politique de désarmement français sur tous les plans, alors même que, pris par la nécessité, il parle de réarmement, ce qui est constater à l’évidence l’état désarmé de la situation. Mais n’est-il pas aussi le successeur, il s’en vante, d’un Clemenceau qui jusqu’en 1914 votait systématiquement contre les budgets militaires et qui, s’il installa une dictature de guerre en 1917 pour assurer la victoire, brada au traité de Versailles cette victoire au profit de l’Allemagne et des Anglo-Saxons, contre l’Autriche-Hongrie et surtout contre les intérêts français les plus certains.
Macron est plus sûrement encore l’héritier et le successeur d’Aristide Briand, l’homme de l’Europe, des États-Unis d’Europe et finalement de l’Europe allemande, qui de réunions internationales en traités et déclarations, permit à l’Allemagne de se réorganiser de 1924 à 1931 et priva la France de tous les fruits de sa victoire. Il mourut à peine un an avant l’accession d’Hitler au pouvoir. Il est l’un des responsables principaux de l’effroyable défaite de 1940. Mais il était bon républicain et il a droit à statues et à avenues en quantité. Macron parle aujourd’hui comme Briand hier. Il y a des rapprochements frappants ; il poursuit la même chimère d’une Europe dite pacifique et qui tourne à la rivalité et à la guerre. Et le voici qui joue maintenant les Paul Reynaud, se rêvant déjà victorieux de la dictature. Chacun sait comment se termine de telles rodomontades.
Il y a de l’indécence à écouter Macron, depuis l’Allemagne où il est reçu en visite d’État, fulminer des anathèmes qui visent une grande partie de ses compatriotes. Il n’a plus aucune retenue, mais il mène sa guerre à lui pour s’attribuer une posture européiste et internationaliste, au mépris de l’honneur français. Comme Chirac il y a vingt ans devant le Bundestag, il n’a cessé de louer l’Allemagne et sa culture sans jamais une référence à la France. Faut-il rappeler à Macron que le nazisme est proprement allemand et qu’il n’a rien d’une tradition nationale française ?
Et Macron, pareillement, se situe dans la lignée des bradeurs de la IVe et de la Ve Républiques, du De Gaulle qui, en 1962, contrairement à toutes les promesses les plus solennelles, livra aux terroristes l’Algérie française et qui se trouva incapable de dominer réellement le mouvement de 1968, qui fut une conséquence non-dite mais certaine de 1962. Il est l’élève de Giscard qui ne croyait plus en la France et voulait devenir le premier président de l’Europe, de Mitterrand qui par lâcheté se soumit à l’Allemagne et conçut une Europe, dite franco-allemande, dans le renoncement à la souveraineté française.
Puis, il est le successeur de la série invraisemblable des minables qui gouvernèrent la France au cours des deux dernières décennies, les Chirac, Jospin, Sarkozy, celui qui eut l’audace de contourner le refus net des Français de la constitution européenne, Hollande, l’archi-nul qui ne pense qu’à lui et qui a trahi toutes les traditions de sa famille en détruisant systématiquement la notion même de famille en France.
Oui, Macron poursuit la même œuvre, en s’attribuant de plus une mission sur laquelle il s’est exprimé clairement au Forum de Davos en 2018 : éradiquer de France, d’Europe et du monde tout soupçon de nationalisme, au nom bien sûr de la morale de Kant, celle du mondialisme « humaniste ». Décidément, l’Allemagne et la pensée allemande occupent, sinon militairement, assurément intellectuellement, l’esprit de Macron, chef de l’État français, incapable de louer la France qu’il passe son temps à dénigrer. Comment voulez-vous qu’un tel homme puisse avoir seulement une pensée nationale française ?
Il se prépare pour l’Europe de demain que son rêve peint à son image et à qui il abandonne déjà toutes les ressources de la souveraineté française, dont, en pensée, la dissuasion nucléaire, mais pas seulement. Et pas qu’à l’Europe, au monde anglo-saxon comme au monde arabe à qui il offre la France à vendre. C’est effarant. Attention à nos banques, à la Société Générale, attention encore à notre nucléaire, à Framatome en particulier. Déjà une grande partie de notre patrimoine industriel a été dissipé, anéanti, perdu. De même l’agriculture et la pêche. La trahison est dans l’air.
Impossible pour un tel chef d’État de ramener l’ordre en Nouvelle-Calédonie. Et pourtant il y a quelque chose à faire que la France sait et a su faire au-delà des systèmes électoraux : se faire apprécier et aimer. À la condition évidemment d’être aimable. Il est à craindre que tout s’ensuive. Les territoires d’outre-mer, sous quelque appellation que ce soit, Mayotte, Antilles, Guyane, La Réunion, la Polynésie, tout sera jeté dans l’instabilité. Et bientôt, comme certains le pronostiquent justement, vont faire de nouveau parler d’eux les fameux quartiers livrés aux bandes, aux caïds, à la drogue, aux assassinats.
Plus un élève, plus un professeur ne peut se rendre à l’école en France sans redouter un coup de poignard. Les truands sont maîtres des routes et commandent leurs troupes depuis leurs cellules de prison. Tel est l’état de la France. Macron n’en a cure. Il poursuit sa carrière. Et sa carrière future passe par la disparition de la France qui ne lui aura servi que d’escabeau. Les élections européennes ne changent pas la donne, fondamentalement. Simplement Macron va encore davantage s’agiter pour exister, et d’abord à ses propres yeux.
Le monde change, de Gaza à l’Ukraine, de l’Afrique à l’Asie-Pacifique, de l’Amérique à l’Arctique et l’Antarctique. Il devient de plus en plus dangereux. La France risque gros partout. Macron, lui, ne croit qu’en lui-même. Il est le pur produit de l’esprit républicain.