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Parler, c’est agir

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Parler, c’est agir

Dans le roman de Laurent Binet, La septième fonction du langage, qui vient d’obtenir le Grand Prix du Roman de la Fnac, il est longuement question de sémiologie. Je ne m’attarderai pas sur le roman lui-même ni sur ce qu’il y a d’étonnant à voir donner une telle distinction, faite pour appâter le grand public, à un livre qui semble d’abord s’adresser à des intellectuels faisandés ; je m’intéresserai aux propos d’un des protagonistes.

Après avoir rappelé que le linguiste Roman Jakobson n’avait relevé que six fonctions du langage, un personnage – jeune professeur qui prépare un doctorat – nous apprend qu’un philosophe américain a théorisé une septième fonction, la fonction performative (de l’anglais to perform, qui signifie exécuter, accomplir, rendre effectif, et qui vient de l’ancien français « parformer » de même sens) fonction qu’on peut résumer par la formule : « Quand dire, c’est faire. » Le jeune professeur s’extasie sur cette découverte, qui prolonge et même dépasse les travaux du grand Jakobson. Il s’agit pourtant d’une chose connue depuis la plus haute antiquité, comme aurait dit Alexandre Vialatte.

En effet, le grand maître de la fonction performative n’est-il pas le Dieu créateur du premier chapitre de la Genèse, puisqu’il lui suffit de dire pour que les choses qu’il nomme existent aussitôt de manière absolue et définitive ? Et ne transmet-il pas une partie de ce pouvoir à Adam en lui demandant de nommer les animaux afin qu’ils soient confirmés dans leur être ? Cette fonction créatrice est si essentielle qu’elle s’incarne dans la deuxième personne de la Trinité, que saint Jean appelle dans le prologue de son évangile, le Verbe, « par qui tout a été fait ». Et de même que le Dieu créateur du premier livre de la Bible transmet mystérieusement son pouvoir performatif à l’homme encore impeccable du Paradis, Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, transmet le pouvoir de sa Parole dans les sacrements qu’il confie à ses apôtres et à travers eux à son Église. Car dans les sacrements, ce sont les paroles qui font ce qu’elles disent, par la vertu spirituelle que le Christ leur a associée.

Néanmoins, les paroles ne suffisent pas si la matière n’y est jointe ; par exemple, dans le baptême, les paroles « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » doivent être accompagnées de l’aspersion de l’eau afin que le sacrement opère. Dans le mariage, les paroles sont sans effet sans la matière, qui est dans ce sacrement l’union charnelle accomplie des époux, qu’on appelle la consommation.

Je cite le sacrement de mariage pour la raison que le jeune professeur du roman de Laurent Binet donne comme premier exemple de paroles performatives la formule du maire, qui marie deux personnes en disant « Je vous déclare mari et femme », précisant, après d’autres exemples, que « c’est le fait même de prononcer ces phrases qui fait advenir ce qu’elles énoncent. » Il est pourtant clair que la volonté de singer le prêtre ne suffit pas à accomplir ce qu’il fait et montre au contraire la misère des hommes, et plus particulièrement des modernes copieurs du sacré et autres penseurs de balbuties, qui n’ont rien compris, ni au sacrement, certes, ni peut-être même à la fonction performative du langage, qu’ils croient pourtant avoir découverte et théorisée !

Rien compris au sacrement, car le prêtre sait, lui, que ce qu’énonce la cérémonie au cours de laquelle il célèbre le mariage ne sera effectivement accomplie qu’après la nuit de noces ; c’est pourquoi un mariage non consommé est déclaré nul par les autorités ecclésiastiques, pour la raison qu’il n’a pas eu lieu en effet. Raffinement dont le maire ne se préoccupe guère : une fois que ses actes sont signés et cosignés par les témoins exigés par la loi, tout est pour lui dans les règles, donc terminé !

Mais pourquoi l’Église, société spirituelle, se préoccupe-t-elle de l’exercice physique réussi de ce que le bon moine Rabelais appelait « faire la bête à deux dos » ? Parce que l’Église sait que Dieu seul est capable de remplir pleinement la fonction performative du langage, et que les hommes, qui l’exercent par délégation, n’en ont pas le plein exercice. Afin que les hommes puissent faire advenir ce que leurs paroles énoncent, il faut qu’ils se soumettent aux lois physiques de la création de Dieu, il faut qu’ils coopèrent avec les lois que Dieu a inscrites dans la matière de sa Création, il faut qu’ils accomplissent – ou fassent accomplir – l’action qui consacrera la vérité pleine de leurs paroles.

Quand le suzerain adoube un combattant en lui disant « je te fais chevalier », il sait qu’il ne fait que proposer une vie chevaleresque à un jeune homme, qui devra la vivre en la remplissant de ses exploits effectivement chevaleresques, accomplissant ainsi ce qui n’était qu’une promesse, ou un projet, de son suzerain. Quand je dis à un ami « je promets de t’aider », ce n’est pas cette parole qui aide mon ami, mais ce seront les actes que je poserai pour l’aider concrètement qui rendront mon engagement performant.

Nos classiques l’avaient compris, qui circonscrivaient l’usage par les hommes de la fonction performative du langage à la scène, c’est-à-dire à un lieu d’illusion. C’est au théâtre, dit l’abbé d’Aubignac, que « parler, c’est agir » (La pratique du théâtre) ; c’est dans la tragédie, note Corneille, qu’on « ne doit parler qu’en agissant, et pour agir », précisant d’ailleurs, lui qui se veut un dramaturge vraisemblable, que les « discours bien sentencieux » ne sont rien s’ils ne sont pas suivis des actions qu’ils énoncent, précision qui explique qu’il ne soit pas exactement d’accord avec le théoricien d’Aubignac (Trois discours sur le poème dramatique). Sur la scène, en effet, dire, c’est faire, dans le sens où, par les lois constitutives de l’art dramatique, ce sont les paroles dites qui créent l’action et ses diverses péripéties, le poète resserrant étroitement les liens qui unissent les discours aux événements qui les suivent afin de plaire aux spectateurs en les attachant à l’action qu’il leur montre. Au théâtre, et plus spécialement dans le tragédie, lieu du destin, le spectateur sait que les discours sont suivis d’effets nécessaires, voulus et calculés par l’auteur.

Mais dans la vie réelle, il en va tout autrement, puisque les paroles, qui devraient être suivies des actes qu’elles énoncent pour être effectivement performatives, ne le sont que rarement et de manière très incertaine. Ce n’est pas parce que j’annonce que je vais conquérir le monde, comme Picrochole, que je le conquiers. Ce n’est pas parce que j’annonce la baisse du chômage qu’il baisse. C’est parce qu’Alexandre mène avec ses armées les campagnes victorieuses que l’histoire nous rapporte, qu’il se crée un empire, non parce qu’il aurait fait un discours de conquête. D’ailleurs, les grands stratèges ne disent pas d’avance ce qu’ils vont faire, ils pratiquent l’art essentiel du secret, et c’est pourquoi ils accomplissent de grandes choses.

Au fond, les linguistes qui se glorifient d’avoir découvert la fonction performative du langage, aussi bien que ceux qui les copient, ne sont que de vains bavards, des Matamore ridicules dont les œuvres sont sans consistance, à l’aune des exploits du héros burlesque de Corneille dans L’illusion comique. Est-ce pour nous le faire comprendre que Laurent Binet les montre tellement sots ? Ce serait tout à sa gloire, mais j’aurais peur qu’en embouchant pour lui les trompettes de la renommée, d’ailleurs si mal embouchées aux dires d’un finaud que je vous laisse reconnaître, j’aurais peur de faire montre d’une précipitation hasardeuse.

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