Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Notre garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, mis en examen devant la Cour de justice de la République pour délit d’ingérence, demande la nullité de sa mise en examen.
L’affaire viendra devant la Cour où le Ministère public, poursuivant, prendra des réquisitions.
Ce Ministère public est le Procureur général, ou l’un de ses délégués. Il représente la République, dont Éric Dupont-Moretti est un ministre, en charge de la justice. Un procureur n’agit pas de son propre chef. Comme son nom l’indique, il représente un autre, en l’espèce la République, dont Éric Dupont-Moretti est l’incarnation à l’égard de la justice.
Dupont-Moretti va donc se trouver des deux côtés de la barre, en défense pour lui, et en accusation contre lui. À qui le Procureur soumettra-t-il ses réquisitions ?
À une autorité indépendante ?
Mais laquelle ?
Le président de la République, qui la transmettra à son garde des Sceaux !
La situation est du plus haut comique.
À moins qu’elle ne soit carrément tragique, car elle illustre l’absence, au sommet, d’une autorité judicaire.
Les corps constitués intéressés se débrouillent, à grands renforts de subtilités et d’hypocrisies. Mais le constat est irrécusable. Notre justice, comme notre État, n’a plus de tête.
N’est-ce pas ainsi qu’à son procès, Maurras, prophète, interpellait le Procureur général, ou celui qui tenait sa place, l’Avocat général Thomas. « Vous, l’avocat de la femme sans tête, je ne vous raterai pas ! »
Mais la femme sans tête, comme le canard de la chanson, court toujours. Et les praticiens du droit, à l’étage en-dessous, au ras des conflits et des tribunaux, continuent comme ils le peuvent leur œuvre de justice.
Parle-t-on encore de justice ?
Dans les Affiches parisiennes, sous le titre « La digitalisation des services juridiques est devenue une nécessité », je lis ces lignes de M. Bjarne Philip Tellmann (celui-là, Eric Zemmour aurait du mal avec son premier prénom) :
« Le souci avec le droit est que de nombreux juristes et avocats ont encore une mentalité selon laquelle leur matière est plus noble et séparée du business, ce qui est une profonde erreur. Cette façon de penser n’est pas ancrée dans le réel. Soyez honnêtes, les cabinets d’avocats sont aujourd’hui d’énormes business et le droit est un secteur comme un autre qui a besoin de justifier ses écrits. Ses acteurs ont besoin d’en prendre conscience ».
Ce Bjarne qui nous fait la morale en arborant un sourire de présentateur de télé est un imbécile à qui cette revue de publications officielles n’aurait jamais dû donner la parole. Malheureusement ce propos ne fait que reprendre, en plus brutal, ce que nos « autorités » disaient depuis quarante ans, quand elles parlèrent du « marché du droit » et des « parts de marché » que nous autres, avocats, devons conquérir.
Mais où est notre serment ? Où est le sens du droit, « ce qui est juste », qui fonde notre colère et notre combat ? Où est la méthode procédurale, pour y parvenir ?
Heureusement, face à ces poncifs, le réel, comme il dit, nous rappelle, à chaque visite de client, à chaque rédaction de conclusions, à chaque plaidoirie, à notre vrai métier, qui est d’être « auxiliaire de justice ».
Nous portons notre aide au juge pour qu’il rende la justice, le mieux possible. Voilà notre réel, qui n’est pas une part de marché.
Pour le reste, ceux qui font du fric en vendant leurs commentaires de la réglementation qui, chaque jour, surabonde en précisions contradictoires, peuvent bien s’intituler « avocats ».
Ils ont le nom, et pas la fonction.
Ils ont – peut-être – beaucoup d’argent.
Mais ils n’ont pas l’honneur de la défense.
Cet honneur, qu’avait Dupont-Moretti, avant qu’il ne devienne… un ministre mis en examen par ses propres services.