Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Monsieur le président,
Puisque vous avez jugé bon de nous donner personnellement de vos nouvelles, comme si nous étions des proches ou des familiers, vous me permettrez sans doute de m’adresser à vous de manière assez familière.
Au risque de vous décevoir, monsieur le président, nous n’étions pas inquiets pour vous. Les Français ont beau être un peuple plutôt fâché avec les chiffres, comme le montre notamment le niveau mathématique catastrophique de nos écoliers, la plupart ont néanmoins fini par intégrer quelques vérités basiques au sujet du virus dont vous êtes atteint. Notamment que son taux de mortalité est insignifiant pour les personnes de votre âge. Vous ne courrez aucun danger particulier, monsieur le président, vous le savez et nous le savons aussi, même si, bien entendu, un coup de malchance ne peut jamais être exclu. Mais c’est la vie. La vie qui se termine inévitablement par la mort pour chacun d’entre nous, chose que vous et votre gouvernement semblez quelque peu avoir oublié depuis le début de cette épidémie.
Imagine-t-on, monsieur le président, le général de Gaulle faire une allocution solennelle depuis son iphone pour nous informer qu’il a la grippe ?
Non, bien sûr. On ne l’imagine pas davantage nous dire, l’air grave, qu’il nous tiendra au courant jour par jour de l’évolution de sa maladie : si son nez coule plus aujourd’hui qu’hier, s’il a 38°5 au lieu de 38°3, si ses selles sont un peu molles et qu’il a pris du Smecta, etc.
Non seulement vous n’êtes pas en danger mais en plus la France ne souffrira aucunement du fait que vous soyez temporairement diminué. Vous nous assurez, avec le plus grand sérieux, que vous continuez à travailler et à suivre les dossiers les plus importants, comme si nous pouvions penser que le navire France allait se briser sur les récifs si vous lâchez la barre quelques jours.
Tout cela est ridicule. La France a suffisamment de millions de fonctionnaires – dont certains compétents – pour que l’Etat continue à tourner comme si de rien n’était même si vous êtes alité et, à supposer qu’il vous arrive malheur – ce que personne ne souhaite, bien évidemment – le cas est prévu par nos institutions : vous seriez promptement remplacé et un Français qui ne suivrait pas l’actualité ne se rendrait sans doute même pas compte de votre disparition.
Votre vie n’est pas menacée et par ailleurs vous n’êtes pas indispensable. Voilà la vérité, monsieur le président. Une vérité qui semble malheureusement vous échapper.
De même qu’il semble vous échapper que 99% de la population se moque comme de colin-tampon de ce qu’il peut arriver à l’individu Emmanuel Macron. Vous ne nous intéressez que dans la mesure où vous êtes le chef de l’Etat, où vous présidez la France pour une durée déterminée. Mais l’homme privé Emmanuel Macron nous est indifférent, aussi indifférent que n’importe lequel de nos compatriotes avec lequel nous n’avons pas de lien personnel.
Il est par conséquent pathétique de tourner de petites vidéos faussement improvisées et dans lesquelles vous semblez nous faire pénétrer dans votre intimité, comme celle-ci. Personne n’est dupe de la mise en scène et, surtout, tout le monde se fout de savoir si Macron Emmanuel a mal au crâne ou s’il a le nez bouché. Imagine-t-on le général de Gaulle se présenter aux Français en robe de chambre, avec une poche de glace sur la tête et le thermomètre dans la bouche ? Non, bien sûr, et c’est pourtant à peu près ce que vous faites.
Pour tout dire, monsieur le président, nous en savons déjà beaucoup trop long sur l’homme privé que vous êtes : que vous avez épousé une femme qui pourrait être votre mère, que vous aimez les cordons bleus, que vous semblez éprouver une attirance irrépressible pour les jeunes hommes noirs au torse musclé, et autres choses du même genre qui vont du prodigieusement inintéressant au légèrement répugnant.
Nous n’avons pas envie de pénétrer dans votre intimité. Nous n’avons pas envie d’être proche de vous. Nous n’avons pas envie de savoir si vous avez des cors au pied ou si des hémorroïdes vous poussent lorsque vous mangez trop épicé.
Comprenez, monsieur le président, que la fonction qui est la vôtre est une fonction sacrificielle, ou qui devrait l’être. Car un président ne peut être à la hauteur de sa tâche que s’il comprend que, en dépit de ses privilèges personnels, en dépit des flatteries et de l’admiration dont il est l’objet, sa personne a été réduite à néant par ses responsabilités. Pour y voir clair, il ne doit compter pour rien à ses propres yeux.
Je vous dis tout cela, monsieur le président, mais je n’ai à vrai dire aucun espoir que vous m’entendiez. Car cette petite vidéo grotesque nous rappelle, si jamais nous l’avions oublié, à quel point vous êtes égotique.
Elle nous rappelle aussi à quel point vous êtes manipulateur, puisque vous profitez de votre maladie pour nous ramoner une nouvelle fois le conduit auditif au sujet des fameux « gestes barrières », comme si nous étions de petits enfants à qui l’on doit sans cesse rabâcher les mêmes choses. Encore un peu et vous allez nous dire qu’il ne faut pas mettre les doigts dans son nez en public ou bien les pieds sur la table. Tout cela, bien entendu, pour essayer de nous persuader que cette épidémie nous fait courir un grave danger et que les contraintes démesurées que vous nous imposez depuis des mois sont pleinement justifiées.
Quant au « nous allons tous ensemble résister, le vaccin va arriver, je reviendrai vers vous très vite, bon courage » qui clôt votre intervention, le ridicule devient presque douloureux tant on est gêné pour vous de vous voir employer de si grands mots pour une si petite chose et avec un air si faux. Ne dirait-on pas, à vous entendre, que nous sommes à la veille du débarquement allié en juin 44 et que la France va enfin être libérée du joug des nazis ?
Je ne me demande même plus « si le général de Gaulle », car à ce stade je me dis qu’il faut plutôt penser que jamais le général de Gaulle n’aurait imaginé avoir un jour un successeur tel que vous. Et sans doute n’est-ce pas plus mal car, s’il avait pu voir aussi loin dans l’avenir, il aurait probablement renoncé à lancer l’appel du 18 juin.
Restez confiné le plus longtemps possible, monsieur le président, et surtout, surtout, sans nous donner personnellement de vos nouvelles, le pays ne s’en portera que mieux. Et n’oubliez pas : à Noël pas plus de six à table et Brigitte dans la cuisine avec la demi-bûche.