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Les mélangeurs de l’Histoire

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Les mélangeurs de l’Histoire

Paul Éluard est un poète français, rangé dans le mouvement littéraire surréaliste, qui connut et vécut le drame de la Seconde Guerre mondiale ; il écrivit pendant l’Occupation ses poèmes de révolte et d’espoir, voulant affirmer, pour nuire à l’occupant, la liberté d’expression.

Dans le recueil Au rendez-vous allemand, suivi de Poésie et Vérité 1942, publié en 1945, on trouve son plus célèbre poème : Liberté. Sa deuxième strophe :

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom…

a été choisie pour figurer sur une pièce commémorative française de 2 euros, que la Monnaie de Paris mettra en circulation un peu avant le 14 juillet 2015. Les vers sont suivis du mot Liberté, qui n’apparaît, dans le poème, qu’après la 21ème et dernière strophe.

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A côté du texte figure le profil stylisé de Marianne, flanqué d’une grosse cocarde tricolore. Puisqu’elle est également émise en version dite « colorisée », la pièce permet aisément d’identifier la cocarde française.

Il semble que l’on ait voulu commémorer, avec cette pièce de monnaie, les 70 ans de la Libération, (1945-2015), à l’aide d’un poème symbole, écrit par un auteur dont les sympathies communistes sont avérées, donc jugé, aujourd’hui, politiquement correct. Peut-être.

Cependant, deux bizarreries attirent l’attention :

Tout d’abord, comme beaucoup de pièces de collection, elle sera disponible insérée dans une « coincard », c’est-à-dire une carte rigide illustrée, procédé apprécié des collectionneurs numismates pour mettre en valeur une pièce. Or, l’illustration choisie est sans rapport avec 1945, puisqu’elle nous transporte au XIXème siècle : « La République triomphante préside à la grande fête nationale du 14 juillet 1880 ». Image d’Épinal elle-même très tricolore, rappelant l’institution cette année-là de la fête nationale française, sur proposition de Raspail.

Herme

Sans doute parce que la référence historique de Raspail fut, non pas la prise de la Bastille, mais la fête du 14 juillet 1790, dite Fête de la Fédération, la référence-titre de l’émission de la pièce [chaque thème « historique » correspond à l’anniversaire d’un événement, annoncé notamment sur la coincard] devient : « 225 ans de la Fête de la Fédération ».

Les deux événements choisis laissent perplexe ; on note seulement les points communs : le 14 juillet, et leur inspiration maçonnique. La pièce de monnaie, partie d’une œuvre littéraire des années 1940, nous fait ainsi, grâce à son « encadrement », allègrement remonter le temps, jusqu’à une fête « très IIIe République », puis à une manifestation qui eut lieu sous un régime… encore monarchique (la famille royale y assista) – détail qui a peut-être échappé aux concepteurs de la pièce – mais détail sans importance puisque la référence essentielle en est son grand organisateur, le frère et marquis de La Fayette.

Toutes les occasions étant bonnes, pourquoi ne pas officialiser un 225ème anniversaire ? Après tout, il est trop tard pour penser aux 200 ans, quant aux 250 ans, ils sont trop éloignés.

On hésite en un mélange incontrôlé de l’Histoire, commis par nos dirigeants qui la haïssent, et à l’inverse une savante alchimie où s’entremêlent à la fois clairement et discrètement les symboles visuels, historiques, littéraires, qui sont, pour la circonstance, les témoins choisis des obscures et en même temps fameuses « valeurs républicaines », sans cesse rabâchées, mais jamais expliquées par les dirigeants français de toutes obédiences.

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