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L’Empire comme forme de stabilité

Pour une refondation libérale de l’État. L’Empire libéral comme forme de réorganisation de l’État. Éléments de doctrine institutionnelle – de 1852 à 1868-1869-1870, et transposition contemporaine.

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L’Empire comme forme de stabilité

Le retour à la forme impériale ne se laisse pas réduire à un goût du décor ni à un simple débat de personnes. Il renvoie, dans l’histoire française, à une figure de droit public et de pratique gouvernementale : l’Empire comme réorganisation de l’État lorsque l’État, par impuissance ou par fragmentation, menace de se dissoudre. Le Premier comme le Second Empire s’installent dans des périodes où les mécanismes ordinaires ne parviennent plus à tenir ensemble l’autorité, la décision et l’unité nationale. Le Second Empire, surtout dans sa phase finale, ajoute une nuance décisive : il cherche à devenir un Empire libéral, c’est-à-dire un Empire parlementaire, dont les grandes inflexions sont ratifiées par le pays. Le mot historique est plébiscite ; dans une langue contemporaine d’État de droit, la forme moderne du plébiscite est le référendum.

1.I. L’Empire, réponse française aux périodes de désagrégation

Dans la longue durée, l’Empire apparaît moins comme une fantaisie dynastique que comme une réponse à la crise de l’État. Quand le pouvoir se morcelle, quand les légitimités rivales s’annulent, quand l’exécutif est trop faible pour gouverner et que le législatif est trop divisé pour décider, la tentation d’un centre s’impose : non pour abolir toute liberté, mais pour restaurer la continuité, la lisibilité, l’obéissance et l’efficacité de l’appareil public. La tradition bonapartiste se nourrit de ce diagnostic : l’État doit d’abord tenir ; les formes politiques doivent ensuite s’ajuster pour permettre la durée.

Cette logique s’est manifestée deux fois avec une netteté presque didactique : au sortir de la dislocation révolutionnaire, puis au sortir de l’impuissance institutionnelle et de la conflictualité sociale qui suivent 1848. Dans les deux cas, l’Empire se présente comme une forme de reconcentration apte à refaire l’État, et comme une promesse d’ordre qui prétend refermer la parenthèse des improvisations.

2.II. Le Premier Empire : reconstruire l’ossature après la dislocation

Le Premier Empire s’inscrit dans la sortie d’un cycle où la France a traversé, en peu d’années, des ruptures de souveraineté, des conflits internes, une instabilité de régimes et une pression extérieure constante. À ce moment, la question n’est pas d’abord celle du titre, mais celle de la capacité à gouverner : faire tenir l’administration, faire tenir le droit, faire tenir les finances, faire tenir l’autorité.

Cette refonte repose sur un principe de forme : substituer à la dispersion des initiatives et à la rivalité des centres un appareil hiérarchisé, lisible, exécutoire. La centralisation administrative, la chaîne préfectorale, l’unification normative, la codification, la stabilisation des instruments de puissance publique répondent à une demande profonde : que l’État cesse d’être un champ de forces et redevienne une forme. Le Premier Empire incarne ainsi une refondation : non seulement une direction, mais une méthode de gouvernement. Il rétablit une continuité qui rend possible l’action longue. Qu’on l’approuve ou qu’on le condamne, sa logique est transparente : la stabilité institutionnelle et la cohérence administrative sont posées comme les conditions de la souveraineté effective.

3.III. Le Second Empire : refonte après l’impuissance institutionnelle

Le Second Empire naît d’une désagrégation d’une autre nature : celle d’un régime représentatif jeune, conflictuel, instable, où l’affrontement entre l’exécutif et l’assemblée rend la décision incertaine et l’autorité contestée. La IIe République ouvre un horizon démocratique, mais se heurte à des antagonismes que les institutions n’arrivent plus à contenir : peur de l’émeute, peur de la guerre civile, peur du désordre social, et, en face, impuissance des mécanismes parlementaires à produire un gouvernement durable.

Le principe bonapartiste consiste alors à replacer la continuité au cœur de l’édifice : un centre exécutif fort, se réclamant directement du suffrage universel, est présenté comme l’organe de stabilité et d’unité. La Constitution de 1852 fournit la matrice : l’exécutif domine l’architecture, l’administration est consolidée, la représentation est encadrée. L’objectif proclamé est de reconstituer l’État, de le rendre opérant, et de substituer à l’oscillation permanente un ordre durable.

À ce stade, la légitimité ne se cherche pas seulement dans le jeu des assemblées ; elle est revendiquée comme une ratification populaire. Le mot du XIXe siècle est plébiscite : un oui national censé couvrir la refonte. La langue d’aujourd’hui, dans un État de droit, appelle cela référendum : question posée au corps électoral, campagne, contrôle, proclamation des résultats, puis insertion du résultat dans l’ordre normatif.

4.IV. 1868-1869-1870 : l’Empire libéral, ou la stabilité par l’intégration parlementaire

La singularité du Second Empire tient à ce mouvement final : comprendre qu’un État fort ne peut durablement se maintenir dans la fermeture. La réorganisation véritable ne consiste pas seulement à reconcentrer ; elle consiste aussi à intégrer la discussion, le contrôle, la responsabilité politique, afin que la stabilité ne soit pas confondue avec l’étouffement. À partir de la fin des années 1860, l’Empire tente d’atteindre une forme plus moderne : un centre durable, mais une vie parlementaire réelle.

Dans cette phase, l’architecture de 1852 n’est pas reniée ; elle est assouplie, corrigée, complétée. Le but est de conserver un centre impérial garant de l’unité, tout en donnant au Parlement une capacité effective d’action et de contrôle, et en rendant le gouvernement tributaire d’une majorité et d’une responsabilité politique plus tangible. Autrement dit : l’Empire demeure l’Empire, mais il accepte que la discussion parlementaire devienne une ressource de stabilité au lieu d’être une menace.

Le trait décisif est la méthode de consolidation : les grandes inflexions sont ratifiées par le pays. Les plébiscites de la fin de l’Empire jouent ce rôle de couverture et d’onction. Dans une langue contemporaine, il s’agit d’un référendum d’approbation : la forme moderne du plébiscite. L’acte populaire ne ratifie pas un détail ; il consacre un nouvel équilibre institutionnel, tout en affirmant la continuité des fondements.

5.V. Transposition contemporaine : réviser ne suffit pas, refonder devient la condition

Dans le cadre juridique actuel, une restauration impériale au sens strict ne relèverait pas d’une simple révision interne. Le droit en vigueur organise les procédures de modification, mais conserve un principe de continuité républicaine qui rend impossible, par la seule voie ordinaire, l’abandon de la forme républicaine. La conséquence, du point de vue des formes, est claire : une restauration cohérente supposerait une refondation constituante, c’est-à-dire l’adoption d’une Constitution nouvelle, et non un simple ajustement de la Constitution existante.

Le modèle historique bonapartiste suggère alors une méthode : un mandat politique explicite, une rédaction constitutionnelle articulant centre impérial et responsabilité parlementaire, puis une ratification populaire. Traduction contemporaine : un texte constitutionnel soumis à référendum, dont l’adoption vaut fondation. Le référendum joue ici le rôle que jouait le plébiscite : il donne au nouvel édifice une légitimité proclamée supérieure à la seule mécanique parlementaire.

6.VI. Les piliers d’un Empire parlementaire inspiré de 1868-1870

Un Empire libéral ne peut fonctionner que si l’on distingue clairement la centralité de l’État et la conduite quotidienne du gouvernement. Quatre piliers s’imposent, si l’on veut une stabilité sans fermeture. Centralité impériale constitutionnellement contenue : l’Empire suppose un centre, magistrature de continuité et d’unité, mais strictement encadrée par les contreseings, les procédures, et des limites explicites. Gouvernement réellement responsable devant la représentation nationale : la politique quotidienne est portée par un gouvernement qui vit et tombe selon la confiance de la chambre élue ; le contrôle parlementaire est effectif (budget, commissions, enquêtes, censure).

Recours au peuple comme ratification de la forme de l’État : les bascules essentielles sont soumises au référendum d’adoption, forme moderne du plébiscite, dont l’effet est de fonder et de consolider la Constitution. Garanties de continuité et de libertés : vacance, empêchement, minorité, conflits de compétence, indépendance du juge, protections des droits et des procédures ; la stabilité n’est pas un slogan, c’est une technique.

7.VII. La paix comme produit de la forme : l’Empire contre l’entraînement vers la guerre étrangère

Une thèse finale peut couronner l’ensemble : la forme impériale, comprise comme réorganisation libérale de l’État, est présentée comme une assurance contre l’entraînement vers la guerre étrangère. Le raisonnement n’est pas moral ; il est institutionnel. La guerre devient plus probable lorsqu’un pays gouverne dans l’instabilité, l’émotion et la surenchère ; elle devient moins probable lorsque la décision est longue, continue, responsable et lisible. Un pouvoir instable est exposé à la diplomatie à éclipses : chaque équipe arrive, dément la précédente, corrige sa correction, et donne au dehors l’image d’un État dont la parole n’est pas sûre. Or une parole incertaine augmente le risque de malentendu, de test, de provocation et de surenchère. L’instabilité interne produit un bruit diplomatique qui rend l’escalade plus facile.

Un pouvoir fragile est aussi exposé à la fuite en avant extérieure : lorsque l’assise intérieure est contestée ou vacillante, l’affirmation internationale peut devenir une tentation. La guerre ou la quasi-guerre sert alors de ciment, de diversion, de drapeau levé pour obtenir l’unité que l’on ne parvient plus à construire par la politique intérieure. Le mécanisme est ancien : la fragilité interne cherche une compensation au dehors. Dans un Empire parlementaire inspiré de 1868-1870, la centralité impériale joue au contraire comme frein. D’abord par la continuité : une magistrature durable réduit les zigzags, rend la parole de l’État plus prévisible, diminue les occasions d’erreur de calcul. Ensuite par la décision longue contre l’émotion courte : la guerre est souvent fille de l’instant, d’un incident et d’une indignation ; un centre stable impose la temporisation, exige la preuve, force la délibération réelle au lieu de subir le moment. Enfin, par l’impossibilité de la diversion : un centre qui ne dépend pas de la survie quotidienne d’une majorité n’a pas besoin d’un conflit pour se refaire une santé.

L’objection demeure : un centre fort peut lui aussi mener à l’aventure. C’est ici que l’Empire libéral devient indispensable : la centralité doit être contenue par la responsabilité gouvernementale et par le contrôle parlementaire. Ce n’est pas la stabilité personnelle qui pacifie ; c’est la stabilité juridiquement réglée. La paix, au fond, dépend moins des tempéraments que de l’architecture qui empêche l’emballement. Dans cette perspective, l’Empire, compris non comme nostalgie mais comme forme de réorganisation et de stabilité libérale, peut être défendu comme une assurance contre les aventures extérieures nées de la fragilité intérieure : un centre pour tenir la ligne, un gouvernement responsable pour rendre des comptes, un Parlement pour contrôler, et, lorsque l’essentiel est en jeu, un référendum pour ratifier ou refuser.

8.Conclusion

Le fil conducteur demeure : l’Empire apparaît, dans l’histoire française, lorsque l’État se défait. Le Premier Empire réorganise l’État après la dislocation révolutionnaire ; le Second le réorganise après l’instabilité institutionnelle, et tente, dans sa phase 1868-1869-1870, d’atteindre une forme plus moderne : un Empire qui conserve la centralité mais accepte la responsabilité parlementaire, consolidé par des plébiscites, c’est-à-dire, en termes d’aujourd’hui, par des référendums.

Un retour à la forme impériale pensé dans cette logique ne serait donc pas un retour en arrière. Il serait une refondation : un centre pour refaire l’État, un Parlement pour empêcher la fermeture, et un acte populaire pour donner à la nouvelle forme sa légitimité. La paix elle-même, dans cette doctrine, devient l’effet de la forme : continuité, lenteur, responsabilité, lisibilité. Là où l’instabilité fabrique l’improvisation, l’improvisation fabrique l’escalade, et l’escalade fabrique la guerre, une architecture stable et libérale oppose une barrière.

L’Empire et l’Union européenne : une compatibilité structurelle

Dans une perspective européenne, la forme impériale de l’État apparaît, paradoxalement mais logiquement, comme l’une des plus compatibles avec l’esprit institutionnel de l’Union européenne. Celle-ci n’est ni un État-nation classique, ni une fédération pleinement constituée, mais un ensemble politique fondé sur la continuité, la négociation, la hiérarchie des normes et la primauté du droit sur l’instabilité des majorités conjoncturelles.

L’Empire libéral, tel qu’il s’est esquissé dans la phase 1868–1870, repose sur des principes analogues : un centre politique durable distinct du gouvernement quotidien, une séparation claire entre la magistrature de continuité et la responsabilité gouvernementale, et une capacité à inscrire l’action publique dans le temps long. Cette architecture correspond davantage à la logique européenne qu’un régime soumis à des alternances rapides, à des revirements diplomatiques fréquents et à une instabilité gouvernementale structurelle.

Dans ce cadre, la centralité impériale ne s’oppose pas à la coopération européenne ; elle la facilite. Un État doté d’une continuité institutionnelle forte parle d’une voix plus lisible, plus prévisible et plus fiable. Il réduit les risques de rupture, de surenchère ou de diplomatie émotionnelle, et s’insère plus naturellement dans un ensemble fondé sur la concertation, la patience stratégique et l’équilibre. Ainsi comprise, la forme impériale n’est pas une survivance pré-européenne : elle peut être envisagée comme une forme de gouvernement particulièrement adaptée à un espace politique continental qui privilégie la stabilité, la durée et la responsabilité institutionnelle sur l’agitation et l’improvisation.

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