Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Les gens d’aujourd’hui ne prennent plus le temps de lire une œuvre aussi vaste et aussi originale que celle de Proust. Notre civilisation du travail, cette tyrannie de l’utilité et de l’efficacité, en combattant le temps mort et l’oisiveté, nous enfonce dans l’esclavage du salaire et de l’accumulation permanente des richesses matérielles. Or, lire Proust, c’est avant tout comprendre que les sensations fortes, le désir, l’érotisme, la beauté, la poésie, la mémoire, la pensée, la littérature et l’art en général, ont besoin, pour surgir, d’une vie inoccupée, remplie de silence et d’ennui.
L’œuvre proustienne est entièrement vouée au monde intérieur. Elle est renoncement au monde. Elle est un recueillement, un long murmure secret ; elle est une profonde évocation du monde ancien et de son désenchantement. Au début, la vie, le monde, la société est un enchantement pour l’enfant et l’adolescent ; ensuite, au fur et à mesure que le narrateur avance dans son roman, tout se dégrade et le monde s’avère être un poison lent qui corrompt les hommes par le mal.
Proust appartient au monde ancien. C’est un homme de la souffrance et de la solitude. Après une vie sociale remplie, il s’est retiré dans sa chambre pour se consacrer corps et âme à la littérature, c’est-à-dire au passé, au, temps, à la mémoire, à l’amour et à la mort. Il nous dit que pour reconnaître la société, on doit sortir d’elle, aller dans le désert, chercher et conquérir sa vie intérieure. « Un artiste pour être tout à fait dans la vérité de la vie spirituelle doit être seul » . Pour ce possédé de la littérature et de l’art, l’écrivain est un moine, un prophète, un saint, un héros. Mais comment voulez vous faire comprendre cela à une société qui a déclaré la guerre totale à la vie intérieure ?
L’écrivain fait partie du Panthéon littéraire. Il est à la fois porté aux nues et momifié par les académiciens séniles de sorte qu’on est en droit de se demander si l’entrée dans les programmes des universités est vraiment la meilleure chose qui puisse arriver à un écrivain. La réflexion profonde de Proust n’y émerge guère, ne doit pas émerger : elle est anti-progressiste, ancrée dans le monde ancien et secret, le monde aristocrate et chrétien, celui qu’on a massacré par tous les moyens pour le remplacer par le monde du travail et de la conversation. Le goût de la conversation, apanage de la vie sociale, est le propre de l’homme nouveau. Les fanatiques du relationnel préfèrent disserter sur la psychologie de l’auteur, la construction de ses phrases, les ambiguïtés prétendues et les mises en abyme afin de ne pas avoir à le classer parmi les infréquentables, au même titre que J. de Maistre, Rebatet, Bloy, Céline, Maurras, Bernanos.
Dans À l’Ombre des jeunes filles en fleurs, le romancier écrit : « Les êtres qui en ont la possibilité […] ont aussi le devoir de vivre par eux-mêmes ; or l’amitié leur est une dispense de ce devoir, une abdication de soi. La conversation même qui est le mode d’expression de l’amitié est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquérir. Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d’une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique se fait dans le sens de la profondeur, la seule direction qui ne nous soit pas fermée, où nous puissions progresser, avec plus de peine il est vrai, pour un résultat de vérité. »
Le cadavre littéraire Proust arrange bien mieux le doux sommeil narcotique de l’homme nouveau que la vérité vivante de son œuvre. Sauf miracle, il ne lira jamais Proust.