La laïcité est devenue, peu à peu, le porte-étendard du sécularisme. Brandie à tout bout de champ pour nier la dimension spirituelle d’un pays, cette notion, plutôt récente, ne s’est implantée que dans trois pays : la Turquie, le Mexique et, bien sûr, la France.
Depuis le 11 janvier, on réaffirme à qui mieux mieux le rôle de la laïcité comme socle de notre démocratie. L’assimilation de cette laïcité au « droit au blasphème » est significative. Elle ne relève pas d’une vision biaisée ou réductrice. Préparée par notre « siècle des Lumières » et la Révolution, institutionnalisée par la IIIe République, la laïcité s’est d’emblée présentée comme le rejet de la religion du domaine public et la négation du christianisme.
Mouvement historique naturel de distinction des pouvoirs spirituel et temporel
Certes, ce mouvement était conforme à l’évolution historique de la justice et du droit tendant à distinguer les domaines du spirituel et du temporel et à prévenir les possibles empiétements de l’un sur l’autre. Les premiers chrétiens firent cette distinction, pratiquant et prêchant tout en se comportant en loyaux sujets de l’Empire romain (« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui lui revient »). Les souverains d’Europe, tout particulièrement en France (opposition violente entre Philippe le Bel et Boniface VIII, Pragmatique Sanction de Bourges en 1438, articles gallicans des évêques en 1682) et dans le Saint-Empire (Querelle des Investitures de 1075 à 1122), défendirent l’indépendance de leur pouvoir à l’égard du Saint-Siège. Mais, en aucun cas, les souverains n’exclurent la religion de l’État, de la vie publique et de la société. En Angleterre, le schisme henricien de 1534 institua la rupture avec l’Église catholique, mais non avec le christianisme, toujours présent à la tête de l’État (le roi, chef de l’Église anglicane) et dans la société anglaise.
L’Europe connut un mouvement général de développement des libertés individuelles vis à vis des églises, de sécularisation des institutions et d’autonomie de la connaissance à l’égard des vérités révélées, là encore sans exclusion de la religion. En Angleterre, la Magna Carta (1215), l’Habeas Corpus (1679) et le Bill of Rights (1689) reconnurent les droits fondamentaux des sujets royaux sans remettre en question la religion d’État. En Allemagne, l’Aufklärung intégra les conquêtes de la raison à la vision chrétienne de l’homme et du monde et ne mit pas en cause les écritures ni les églises luthérienne et catholique qui se partageaient l’Empire.
L’entreprise révolutionnaire de déchristianisation
Rien de tel en France : Voltaire, déiste, assimile la religion à la superstition. Diderot, Helvétius, d’Holbach, Morelly et Damilaville sont athées, anticléricaux, et demandent une éducation des jeunes Français par des maîtres laïcs, agents de l’état. La Révolution met à la disposition de l’état les biens du clergé, abolit les ordres, impose un serment de fidélité aux prêtres, devenus fonctionnaires, et fait prévaloir, avec la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, une philosophie morale antichrétienne. Les divers projets éducatifs révolutionnaires sont les uns areligieux (Condorcet, Lakanal, Daunou), les autres ouvertement opposés à la religion (Lepeletier). Enfin, Bonaparte, par le concordat de 1801, fonctionnarise les prêtres, asservit la religion à son pouvoir (il impose le Catéchisme impérial) et transforme les évêques en « préfets violets » à ses ordres. Au XIXe siècle, les régimes qui succèdent à la Restauration se fondent sur les principes et le legs de la Révolution, tiennent en laisse l’église, excluent la religion de l’État et, en matière scolaire, s’accrochent au monopole de l’Université.
La conquête des institutions par les républicains (janvier 1879) inaugure la grande offensive contre l’Église : expulsion des Jésuites (1880), laïcisation totale des jurys universitaires, monopole universitaire de la collation des grades (1880), interdiction d’enseigner aux membres de congrégations non autorisées (1880), institution d’une école primaire laïque et obligatoire (1882), institution du divorce (1884), expulsion des congrégations (1902-1904), interdiction d’enseigner à tous les membres du clergé (1904), et enfin, séparation de l’Église et de l’État (1905). Et, le 8 novembre 1906, Viviani se félicite à la Chambre que les républicains aient « éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus ». On ne saurait se montrer plus clair. La laïcité a toujours consisté en une déchristianisation de la nation. L’école d’État est la matrice permanente de cette laïcité, et l’enseignement confessionnel est devenu une annexe de l’Éducation nationale depuis la loi Debré (1959) qui place sous la tutelle de cette dernière les établissements scolaires dits « libres » (?)
Laïcité : un mot révélateur
Cette notion même de « laïcité » révèle d’ailleurs sa nature idéologique et partisane. Si les libertés de conscience, de pensée, d’expression, de culte (ou d’incroyance) sont reconnues par tous les pays évolués, il n’existe que deux pays, la Turquie et le Mexique, qui, à l’instar de la France, excluent totalement le fait religieux de la conception de l’homme étayant l’action de l’état. Ceci explique que le mot même de « laïcité » (du grec laos, peuple) n’ait d’équivalent en aucune langue étrangère. Les peuples étrangers comprennent si peu cet esprit d’exclusion (et d’hostilité à peine contenue) qu’ils n’ont pas de mot pour le désigner.
Les Anglo-Saxons parlent de secularity pour distinguer les champs de compétence de l’État et des diverses églises, de secularism pour le régime juridique ou le parti pris de cette distinction ; les peuples germanophones emploient le mot weltlichkeit (« mondanité » au sens d’être dans le monde et non dans une institution religieuse), de säkularismus pour désigner la sécularisation de l’État , ou de trennung von Kirche und Staat pour la séparation de l’Église et de l’État . En espagnol, est apparu au XXe siècle le terme de laicidad, forgé d’une part par les républicains espagnols désireux d’importer la laïcité française, d’autre part par les gouvernements mexicains qui instituèrent la séparation de l’Église et de l’État ; la Turquie kémaliste accoucha du néologisme laiklik, imité du français.
La laïcité, socle du totalitarisme actuel
La laïcité emprisonne la religion dans la sphère privée et lui dénie toute dimension sociale, culturelle et politique. Or, tout homme et toute société ont une dimension religieuse. Nier cette dernière revient à mutiler nos compatriotes ainsi réduits à la condition de clones d’un Homme universel abstrait ramené à la seule raison en ce qu’elle a de plus général. C’est d’ailleurs ce qui explique l’échec de notre modèle républicain d’intégration. Aucune personne issue de l’immigration ne peut envisager de s’amputer de sa spécificité éthique et culturelle pour se fondre dans une masse indifférenciée d’individus qui pensent et disent tous la même chose. Le modèle social de la laïcité française évoque Le Meilleur des Mondes d’Huxley ou la zone de transit d’un aéroport international parcouru par des foules de gens qui n’ont rien en commun sinon leur présence ici et maintenant.
Au service du totalitarisme soft qui régit notre vie et notre pensée, coulée dans le moule de la bien-pensance d’un pseudo-humanisme universaliste, la laïcité permet de sanctionner durement ceux qui s’écartent de ce conformisme, et n’accouche que de fausses libertés, tel le droit au blasphème, qui sapent les valeurs fondamentales de notre civilisation et travestissent en âge d’or de la liberté notre ère de total asservissement.