Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
La mort rôde sur une France privée d’espoir.
27 morts, des femmes et des enfants, le 24 novembre. Noyés dans l’eau froide de la Manche, à la limite de la mer du Nord : un des derniers résultats de la politique migratoire à laquelle la France se plie. Malgré les protestations de Darmanin et de Macron, tout ce qui se passe était évidemment prévisible. Les accords franco-anglais du Touquet signés par Sarkozy, ministre de l’Intérieur, montrent là leur sinistre insuffisance que tous les experts avaient dénoncée déjà à l’époque. Calais et ses plages environnantes sont redevenues, comme il était facile de l’anticiper, les lieux d’attente de migrants de plus en plus nombreux en vue d’une traversée vers l’Angleterre. Et la France, payée par l’Angleterre, d’une somme d’ailleurs ridicule, est chargée du gardiennage de la frontière qui est ainsi fixée en France. À elle, donc, la responsabilité ! Ce que l’Angleterre vient de rappeler avec vigueur. Darmanin comme à son habitude a d’abord souligné qu’il a tout bien fait : des centaines de gendarmes sur les plages sont chargés d’arrêter les départs de migrants ; il met en alerte les services maritimes ; enfin il part en chasse contre les « passeurs » qu’il désigne comme des criminels, ce qu’ils sont en effet : il est temps de s’en rendre compte, pas seulement sur la Manche mais dès le départ en Méditerranée. Ce que l’on sait depuis des décennies : il s’agit d’organisations mafieuses que la politique migratoire officielle de la France et de l’Europe a, pour ainsi dire, institutionnalisées. Il est vain aujourd’hui, pour échapper à ses responsabilités, de dénoncer avec des trémolos dans la voix, les pratiques criminelles que couvraient de leur voile juridico-social les choix politiques – et quelquefois les non-choix politiques – des autorités de l’État, de Bruxelles et des organisations internationales. Ne serait-ce qu’en signant la convention de Marrakech, la France s’est engeignée elle-même.
27 morts, hier. Combien de milliers en réalité au cours des quelques années écoulées. Aucune comptabilité n’est assurée, même en Manche. S’imaginer que des procédés juridiques, même coercitifs, empêcheront les flux de migrants de passer est une illusion de politiciens qui ne cherchent par des rodomontades qu’à dissimuler leur incapacité à résoudre un problème d’une gravité absolue. Aucune vision, aucune intelligence de la question. Macron, Darmanin et toute la bande gouvernementale avaient décidé d’écarter de leur discours politique cette question majeure de l’immigration pour tout miser dans leur campagne électorale sur l’unique question sanitaire où ils prétendaient avec leur « soldat » Véran jouer les généraux victorieux. En cette fin d’année, cinq mois avant l’élection présidentielle, la terrible réalité se rappelle à eux. Si ce n’était encore que Calais, mais tous les experts savent, comme le rappelle Zemmour, que l’immigration clandestine aussi bien que légale ne cesse d’accroître sa pression en France, en dépit de tous les faux chiffres officiels qui sont déversés pour rassurer le bourgeois. D’ailleurs, maintenant, c’est l’invasion de l’Europe qui est programmée. Sur sa frontière polonaise, la tentative de pénétration imaginée par Loukachenko et vraisemblablement par Erdogan ne montre que trop la détermination des potentats à se servir des faiblesses de l’Europe pour diminuer encore davantage ses capacités de résistance. Heureusement, la Pologne n’obéit pas à la Commission de Bruxelles. La Hongrie d’Orban non plus. Il n’y a guère plus que Macron qui s’imagine qu’il va trouver une réponse adéquate au niveau européen. Il a précisé, d’ailleurs, qu’il ne la concevait qu’à ce niveau-là. Le lendemain même de l’effroyable drame dans la Manche, il déclarait qu’il allait relancer Frontex et qu’il profiterait de sa présidence de l’Europe dans les six premiers mois de 2022 pour renforcer les politiques de prévention ! À ce degré d’inconcevable irresponsabilité, il est permis de se poser la question du cynisme d’une telle réponse. Tant à l’égard de la France qu’à l’égard de pauvres gens qui sont ainsi trompés et jetés dans des situations impossibles. Ce recours à l’Europe n’est une fois de plus qu’une imposture qui lui permet de se dégager de ses responsabilités et de tracer dans l’air des solutions imaginaires qui ne raviront que les gogos électoraux en aggravant le désastre humanitaire. Ce qui n’empêche pas Macron d’aller chercher des encouragements auprès du pape François !
Avec Macron, tout est à l’avenant. Les pêcheurs normands, les petits surtout, n’ont pas retrouvé pour un certain nombre leurs licences qui leur permettraient de pêcher dans les eaux des îles anglo-normandes. L’Angleterre ne les a pas délivrées. Cependant, les bateaux de pêche anglais viennent à l’embouchure de la baie de Seine ratisser profondément et largement les sols marins, en particulier pour la coquille Saint-Jacques. Les Français n’ont le droit de rien dire. Le pêcheur normand regarde l’Anglais piller son littoral. Clément Beaune, l’homme de Macron pour les questions européennes, a protesté. Tout le monde comprend bien que la protestation est l’activité essentielle du gouvernement macronien. Toutefois, rien n’est résolu. Le gouvernement anglais a posé ses marques. La France n’a encore rien fait après avoir brandi des menaces vaines sur les débouchés anglais en France, pour la bonne raison que l’industrie alimentaire française a besoin de ces débouchés. Encore Rodomont ! Et, bien sûr, Macron a répondu une fois de plus qu’il allait profiter de sa présidence européenne pour régler le problème. Il a même incité les autres pays européens à soutenir la politique française dont nul ne sait à ce jour quels sont les tenants et les aboutissants. L’Europe, vous dis-je ! L’Europe ! Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour pronostiquer qu’il n’y aura pas de solution européenne. L’Angleterre poursuit sa politique du Brexit. Elle est en train de la mener à son terme ; elle obtiendra pour elle tous les avantages. La Shell vient de s’installer à Londres, prélude à la constitution prévue d’une place off-shore aux portes de l’Europe qui aura gardé, d’une manière ou d’une autre, à son profit les avantages du marché commun, tout en évitant les inconvénients.
La France est faible, l’Angleterre le sait bien, elle a joué la carte anglo-saxonne avec l’Australie et les États-Unis contre la France, en particulier dans l’affaire des sous-marins ; et la France s’est contentée de faire semblant de s’indigner. Macron a resserré les mains de tout ce beau monde. Il est si sûr qu’avec sa présidence de l’Europe il pourra encore jouer, comme un enfant qu’il est, à la géopolitique de ses rêves.
Ascoval délocalise en Allemagne. Encore un site français qui disparaît après tant d’autres. Xavier Bertrand proteste, c’est le moins puisqu’il est le président des Hauts-de-France. Macron lui répond insolemment que c’est à lui le chef de l’état de s’occuper de cette affaire et que sa ministre Wargon fait le nécessaire en attendant qu’il assume la présidence de l’Europe, comme prévu. À ce moment-là il avisera et il décidera. Toujours l’Europe ! Cependant les capitaux allemands, avec cette grosse sagesse allemande qui les caractérise, ont rapatrié chez eux ce qu’ils considéraient comme leurs avoirs. C’est ce qu’on appelle le couple franco-allemand sur lequel le jeune Macron a fait de longues dissertations dans sa jeunesse studieuse où il s’imaginait tenir l’empire du monde dans sa tête.
Autre fait passé inaperçu : l’usine normande à Vernon de confection du moteur d’Ariane VI est transférée elle-aussi en Allemagne. C’est toute une technologie. Il y a encore des Français qui, impliqués au cours de leur vie dans les hautes technologies aéronautiques, spatiales et industrielles, savent pertinemment par leur expérience comment les Allemands ont réussi à mettre la main, avec la complicité de nos gouvernements, sur une partie du patrimoine technologique et industriel français. Considérable ! Macron est le dernier représentant de cette prétendue élite française – qui d’ailleurs n’est pas la vraie –, dont le sport national a été le bradage systématique. Doublé d’un désintérêt total et d’un mépris profond pour les populations françaises qui vivaient de tout ce patrimoine et qui se sentent aujourd’hui abandonnées économiquement, socialement, politiquement. Inutile d’aller plus loin : les exemples sont légion. De l’éolien qu’on promeut en dépit du refus des populations y compris sur des sites historiques, au nucléaire qu’on s’avise maintenant, mais peut-être trop tard, de sauver, malgré toutes les commissions fantoches, prétendument écologiques, constituées par Macron lui-même. Tout simplement parce qu’il faut garantir la sécurité électrique de notre pays !
Le monde nouveau de Macron n’aura jamais été qu’une fantasmagorie. Il a beau nous expliquer à longueur de discours dans ses innombrables déplacements à portée électorale, que jamais la France ne s’est mieux portée, que la croissance est là, que le chômage est fini, il suffit d’ouvrir les yeux pour constater qu’en réalité il ne règne plus que sur un vaste chaos. Ce qui se passe dans les Antilles françaises est révélateur de la désagrégation du pays. Faut-il parler de la situation catastrophique de zones entières, urbaines ou périurbaines, où règne le crime organisé ? Et, maintenant, c’est jusqu’au fond des campagnes, où les derniers paysans et viticulteurs doivent affronter les bandits de grand chemin. Malgré les trucages du ministère de l’Intérieur dénoncés par Xavier Raufer, les chiffres de la délinquance explosent. L’unité française est compromise, la France est atteinte dans sa langue, dans son esprit, dans sa religion, dans son histoire sans cesse conchiée, sous les auspices même du chef de l’état qui n’utilise jamais l’argument patriotique que pour sa satisfaction personnelle et son goût narcissique du pouvoir.
Et l’espoir, direz-vous ? Ce sont ces millions de Français qui croient encore en leur pays et qui, d’après les sondages, préfèrent leur armée et leurs gendarmes à leur Parlement et à leurs chefs politiques dont ils savent qu’ils ne représentent rien. Si ce peuple veut retrouver sa souveraineté et sa fierté, il lui faudra comprendre par des événements sans doute cruels qu’il a été trompé par des institutions perverses qui sont la forme achevée du mensonge officiel. Dans l’attente du cygne noir ?