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Danièle Masson : Patrick Buisson « La fin d’un monde » /NRU

La fin du monde civilisé

La fin d’un monde est un livre sombre, d’une lucidité implacable, sans
échappatoire ni espoir. C’est aussi – contrepoint réjouissant pour le lecteur – un
festival de bons mots, d’expressions retournées contre elles-mêmes, d’ironies
cruelles. Un regard sur la table des matières en témoigne : « krach de la foi,
pas de pitié pour la piété populaire ; notre Père qui êtes odieux, pères manquants,
fils manqués ». Virtuose du verbe, Buisson se déchaîne dans le domaine
sexuel : « Fatigues du surbouc, de la bandaison à la débandade de l’homme blanc,
de l’agit-prop au vagit-prop », etc…

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Danièle Masson : Patrick Buisson « La fin d’un monde » /NRU

De l’homo religiosus à l’homo oeconomicus

On s’étonne qu’instruisant le procès d’un monde contemporain décadent,
Buisson n’évoque pas les facteurs exogènes. Rien sur l’islam ; nulle allusion
au grand remplacement. Le danger pour lui, n’est pas la substitution d’une
civilisation à une autre, mais, à l’intérieur de la France et de l’Europe, la
transformation de l’homo religiosus en homo oeconomicus.
Ce « tombeau du monde ancien » n’a pas été érigé par d’autres que
nous‑mêmes, tout est endogène. Dans le krach de la foi, c’est de l’intérieur
de l’Église que sont venues les attaques contre le christianisme. Si l’agonie
de la France rurale – qu’il appelle « ethnocide bienveillant » – est le fruit du
machinisme et du crédit, ce sont les enfants d’agriculteurs qui les ont souhaités
et donc précipité son agonie.

Le leitmotiv du livre, c’est la déliaison, la séparation. Déracinement du
paysan, rupture de son pacte avec la nature ; séparation de la religion et de
la piété populaire imprégnée de paganisme ; séparation du père et du fils, de

l’homme et de la femme. Comme dit Pierre Manent, « on n’habite pas une
séparation » ; d’où le désarroi du monde contemporain. L’homme y est privé à
la fois d’appartenance et de transcendance.

Déracinement paysan

Le déracinement paysan ouvre le livre. Alors qu’autrefois la synchronie
était parfaite entre le cycle liturgique et le cycle des travaux agricoles, alors
que c’est en se soumettant à elle que le paysan maîtrisait la nature, « le
tracteur Mc Cormick, nouveau maître », bouleverse l’agriculture, rattrapée par
la révolution industrielle. « Elle entre de plain-pied dans le circuit capitaliste à
l’écart duquel elle s’était tenue jusque-là. »

Le lecteur profane comprend bien la nostalgie de Buisson : « Le travail du
paysan était quelque chose qui sortait de lui et qui passait dans les choses », alors que
« l’homme des machines leur appartient déjà. » Mais il songe aussi que le progrès
technique était inéluctable : ne peut-on alors dissocier progrès technique
et régression morale ? Ne peut-on infléchir le mouvement du progrès en
lui imposant des limites et une orientation ? Pour Buisson, la réponse est
négative : « Au bout du compte, l’anthropotechnie de la modernité aura eu raison
d’un type humain plurimillénaire, en lui substituant un homme déraciné, organisme
génétiquement modifié par l’alliance du capitalisme et de la technique, négatif absolu
de ce fils de la glèbe qui, en ménage avec la création, épousait la terre, selon le mot
d’Henri Pourrat, non pour l’exploiter, mais pour la faire valoir. »

Le krach de la foi

L’essentiel du livre – de la page 83 à la page 320 – est consacré au krach
de la foi, au sacré massacré et à leur corollaire, « la pornographie de la mort ».
Ce sont aussi les pages les plus convaincantes. La religion – dont l’étymologie
possible est religare : relier – a été arrachée à ses racines, la privant de son
humus païen, et divisée contre elle-même par un clergé urbain avide de se
réconcilier avec « ce monde » pour lequel le Christ n’a pas prié.
L’originalité de Buisson – relative puisqu’il l’emprunte à François-André
Isambert – c’est que la déchristianisation n’a pas été naturelle, fruit d’une
longue sécularisation qui s’origine dans les Lumières et la Renaissance : elle
est en réalité « exchristianisation » cléricale ; les masses ne se seraient pas
déchristianisées mais elles auraient été repoussées hors du christianisme par
une véritable trahison des clercs. Le lieu géométrique en est, bien sûr, Vatican II
ou « la résurgence de l’esprit munichois », et ses conséquences, illustrées par la
transformation de la messe, « la messe à l’envers », non plus autel du sacrifice
mais table conviviale, l’ambon préféré à l’autel, le one-man’s show du prêtre
(l’expression est de Joseph Ratzinger) face au peuple.

L’exchristianisation s’apparente au déracinement paysan. Les clercs,
épousant la modernité, se sont attaqués à la piété populaire, la privant de
son legs païen, de cette synchronie entre Dieu, les hommes, la nature, qui
s’exprimait dans les bénédictions des récoltes, des sanctuaires, des sources,
en inculturant la foi par la fête. Noël correspondant au solstice d’hiver, la
résurrection du Christ au réveil de la nature au printemps.

La Sécurité sociale avait remplacé les Rogations, mais surtout les nouveaux
prêtres, souhaitant purifier le christianisme des scories du paganisme,
accomplissaient ce que Leroy-Ladurie déplorait : « Il ne faut surtout pas
dépaganiser le christianisme, sinon on tue tout à la fois. »

Et puis la réconciliation avec le monde vidait les églises. On se rappelle la
superbe apostrophe de Maurice Clavel dans Dieu est Dieu, nom de Dieu : « Vous
n’êtes pas allés au monde, vous vous êtes rendus au monde… Comme une place forte
qui n’a pas tenté sa sortie… Sachez déjà, pour votre plus grande honte, combien il
attendait sourdement que vous résistiez, ce monde… Vous l’avez suivi au suicide,
alors qu’il espérait malgré lui votre coup d’arrêt. »
Et de conclure que le temps du Concile fut le temps de « la grève
illimitée de l’Esprit ».

La mort interdite

Le corollaire de l’exchristianisation est ce que Buisson appelle « une société
thanatophobe » ou « la pornographie de la mort ». C’est par là qu’il introduit
son livre, avec comme amorce la pandémie de covid-19. La mort n’était plus
considérée comme le terme naturel de la vie, ni comme l’entrée de l’aventure
spirituelle, mais comme un dysfonctionnement technique, et donc évitable.
L’épreuve était profondément définie par Marcel Gauchet : « Nous étions voués
à vivre désormais à nu et dans l’angoisse, ce qui nous avait été épargné depuis le
début de l’aventure humaine par la grâce des dieux. »
Buisson reprend les thèses de Philippe Ariès sur la mort interdite,
clandestine, sur la pointe des pieds, exacerbées par l’interdiction des messes et
des funérailles publiques au plus fort de la pandémie.

Masculin, féminin

Les cent trente dernières pages rappellent Le Suicide français d’Eric
Zemmour, Buisson rappelle comme lui le mot de Balzac : « En coupant la tête
du roi, la Révolution a coupé la tête de tous les pères de famille. » Meurtre du père,
remplacé par les papas-poussettes, féminisation de la société, néo-féministes
dont Buisson rappelle cruellement que « 90 % sont lesbiennes, et viennent au
mouvement pour la drague. » Qu’il s’agisse des paysans, du christianisme, des
relations père-fils, homme-femme, toute évolution-régression se fait sous le
signe de la séparation.

Le dernier chapitre – « L’ultime baroud des phallocrates » – a quelque
chose de réjouissant : Buisson y prend en quelque sorte sa revanche
d’homme, avec un bel éloge des bistrots, « lieux par excellence de la parole
masculine », avec la misogynie de Brassens, avec les amitiés viriles du cinéma
français : Gabin‑Belmondo, Gabin-Delon, Ventura-Constantin. Il a oublié
Jacques Perrin et Schoendoerffer. Pourtant ces deux-là confirment son constat
final qu’avec l’hécatombe des deux guerres mondiales et la fin de la guerre
d’Algérie, c’est « toute une culture masculine du sacrifice à plus haut que soi » qui
meurt. Le « dressage anthropologique » qui « visait à transformer l’individu en
homo oeconomicus » est réussi et achevé.

Le livre de Buisson est à la fois nostalgique et sans espoir. Il ne veut
rien savoir du mot de Cioran, « l’espérance, c’est démentir l’avenir », ni celui
de Bernanos : « l’espérance est une héroïque détermination de l’âme, et sa plus
haute forme est du désespoir surmonté. » Autrement dit : quand l’espoir trébuche,
l’espérance se lève ; ou bien : les nuits les plus noires débouchent sur les plus
belles aurores. Le lecteur attentif de La fin d’un monde croit plutôt assister à la
fin du monde civilisé.

DANIÈLE MASSON
Patrick Buisson « La fin d’un monde »
Albin Michel, 2021

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