La nomination de Najat Vallaud-Belkacem à l’Éducation nationale a suscité une montagne himalayenne d’articles et de commentaires indignés et féroces. Si son installation rue de Grenelle a de quoi nous plonger dans la consternation, la nouvelle ministre de l’Éducation est-elle pour autant ce fossoyeur de l’école républicaine que la critique de droite se plaît à dénoncer ?
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Avec raison, on s’est offusqué de l’affectation au poste sensible de ministre de l’éducation nationale, de Najat Vallaud-Belkacem, la promotrice de la théorie du genre et d’une révolution culturelle passant par la négation de l’identité sexuelle et par l’avènement d’un monde égalitaire fondé sur l’indifférenciation des individus. Le lancement des ABCD de l’égalité, à la conception desquels l’ex-ministre des Droits des Femmes prit une part essentielle, symbolisait cette entreprise délétère. Et on sait que leur « abandon » par Hamon a consisté en une institutionnalisation sous une forme diluée et sournoise, celle de « séquences pédagogiques enrichies » inspirées de ces ABCD, les enseignants devant y être « formés » par des « animations pédagogiques de circonscription » organisées par les inspecteurs, eux-mêmes initiés par des « séminaires académiques ». Et, comme si cela ne suffisait pas, la ministre s’obstine à contraindre les communes à appliquer une réforme des rythmes scolaires coûteuse, souvent impossible à mettre en place, et propre à fatiguer les élèves plutôt qu’à les soulager.
Une erreur de diagnostic ?
L’installation de cette dame rue de Grenelle a donc de quoi nous plonger dans la consternation. Toutefois, celle-ci ne doit pas nous égarer et nous amener à une erreur de diagnostic sur les causes du mal scolaire français. Car, à en croire ses détracteurs, la nouvelle ministre symbolise à merveille une entreprise idéologique de destruction de l’école républicaine ; et les mêmes laissent entendre que cette dernière était la « bonne » école, qui instruisait décemment tout le monde et assurait la promotion des plus « méritants », tenant ainsi lieu d’ « ascenseur social » pour les élèves d’humble origine. L’éternelle litanie ! Aucune des nombreuses critiques du système éducatif n’a pu en venir à bout, et, au contraire, ce début de XXIe siècle en a vu la défense et illustration, de Pena Ruiz et Lurçat à Lafforgue, de Brighelli à Bellamy. Et l’exaspération provoquée par la nomination de Vallaud-Belkacem a relancé la machine au quart de tour. On attribue aux socialistes une évolution égalitariste et totalitaire qui, en réalité, était inscrite dans les principes mêmes, aussi bien dans l’organisation de notre système scolaire que dans les missions qui lui étaient assignées.
L’idéal d’une école égalitaire
Ce système scolaire d’état monopolistique et centralisé, conçu comme un instrument d’instruction et de promotion du peuple, était, dès son origine, écartelé entre ses promesses de lutte contre les inégalités socioculturelles et sa fonction de reproduction de la hiérarchie sociale. Investi du pouvoir de décider seul de l’avenir de chacun, il ne pouvait, étant placé par là même au cœur du débat politique, qu’engendrer la contestation et la revendication permanentes, la massification des études, la baisse continue de leur niveau, la relativisation du souci de transmission du savoir, l’individualisation extrême des méthodes pédagogiques et des parcours, la distribution pléthorique de diplômes dévalués et la sélection opérée par les différences entre établissements, zones d’enseignement, filières, cursus et classes.
Le mal était en germe dès le début et il est apparu avant l’arrivée au pouvoir des socialistes, lesquels l’ont aggravé, mais nullement créé. Et, d’ailleurs, il ne faut pas oublier que la droite elle-même a amplement entériné l’idéal de gauche d’une école égalitaire. Le général de Gaulle en personne soutint ardemment le recteur Capelle dans son initiative de création des collèges d’enseignement secondaire (institués par les décrets d’août 1963) qu’il imposa à un Pompidou plus que réticent, au nom de la démocratisation des études. C’est René Haby, ministre de Giscard d’Estaing, qui créa le collège unique (loi du 11 juillet 1975). En 2008, Xavier Darcos, réputé pourtant pour son conservatisme, faisait l’éloge du « lycée républicain » qui, à l’en croire, avait réussi l’exploit de « relever le défi du nombre », et accouchait d’un projet prévoyant le remplacement de l’année scolaire et de la classe traditionnelle par des modules et une personnalisation maximale des parcours scolaires devant déboucher sur l’obtention des mêmes diplômes par tous les élèves. Abandonné, ce projet fut largement repris par Luc Chatel, dans sa réforme de 2009.
Le ver n’est pas dans le fruit…
On le voit, il existe, et de longue date, un consensus de la classe politique sur l’évolution de l’école en un sens égalitariste. Et il n’y a rien là que de très naturel puisque l’école républicaine, si méritocratique se prétende-t-elle, a toujours eu pour finalité la lutte contre toutes les inégalités sociales et culturelles devant l’acquisition du savoir, et que ces inégalités se trouvant partout, les initiatives visant leur abolition aboutissent nécessairement à la transformation radicale des modes de cette acquisition en vue de l’accès de tous les jeunes au même niveau de connaissance. Ce qui suppose, nécessairement, là encore, la prééminence du souci idéologique de la réalisation concrète de cette égalité à tout prix sur celui de la transmission d’un savoir et d’une culture. L’école républicaine a bien pu rendre l’enseignement ouvert à tous par la gratuité et les bourses d’études, et prétendre assurer l’instruction élémentaire de tous tout en sélectionnant une élite sur la seule base du mérite. Elle devait nécessairement, pour honorer ses principes et tenir ses promesses, devenir égalitariste ; et son rôle déterminant dans la reproduction de la pyramide sociale devait fatalement provoquer la massification des études les plus élitistes. De cela, Vallaud-Belkacem n’est pas responsable, non plus que Peillon ou Hamon.
C’est pour cela qu’il ne convient pas de dire, comme on a pu le lire lors de la nomination de la nouvelle ministre, que « c’est l’État lui-même, au plus haut niveau, qui aura tué l’école républicaine en la détournant de sa mission d’instruire ». Un peu comme une mère qui aurait tué son enfant. Non, l’état n’a fait, de réforme en réforme, que transformer son école de façon à lui faire tenir ses promesses de réaliser l’égalité de tous devant le savoir ; tout comme celles de lutter contre toutes les inégalités qui en empêchent l’acquisition – les récriminations et revendications incessantes des parents-électeurs l’y aidant. Cela étant, l’école républicaine n’a fait que suivre sa pente naturelle. Non, Mesdames Lurçat, Capel et Mazeron, non, Messieurs Pena Ruiz, Brighelli, Bellamy et autres, il ne s’agit pas de restaurer la « bonne » école républicaine équitable et méritocratique de naguère, que des politiciens démagogues, des pédagogues fous et des libéraux cupides (le diable) auraient détruite. Cette école n’a pas été détruite et ne s’est pas non plus suicidée. Elle a évolué conformément à ses valeurs, ses principes et sa finalité avouée.
Le ver n’est pas dans le fruit, c’est le fruit qui est vénéneux.
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