Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

Le caractère mortifère de l’école d’Etat

Facebook Twitter Email Imprimer

Le caractère mortifère de l’école d’Etat

Une institution scolaire monopolistique d’État conduit fatalement une nation au marasme.

L’État, c’est le pouvoir, donc la force, la loi et la majesté. La sanction de l’aptitude intellectuelle par l’école d’État, décidant, par là, de la position dans l’échelle sociale, revêt donc une gravité et une solennité certaines. Le double caractère, étatique et monopolistique de cette École nimbe du sentiment du sacré sa réalité institutionnelle, ses enseignements et ses décisions relatives à l’attribution des diplômes. Sous l’autorité d’une telle École, le succès devient une élection de type divin, une bénédiction, l’échec, la Chute, la malédiction, le dam. Le succès suscité confère l’honneur à celui qui est felix car béni des dieux (ou de Dieu), l’échec vaut flétrissure, opprobre, sinon damnatio memoriae. L’École institue entre les hommes, dès leur jeunesse, une séparation d’une évidence tragique. Elle les répartit en une aristocratie composée des meilleurs comme il se doit (les aristoï,les optimates)et une plèbe massive (que Thiers appelait « vile multitude » en 1850). L’École n’engendre pas les haines de classes, mais elle les atteste, les cristallise, leur donne une dimension symbolique dans la mesure même où elle est le pouvoir et où elle opère la hiérarchie des valeurs et prépare la ventilation des situations « en toute équité » à l’en croire. Et son monopole, quasi exclusif en matière d’enseignement, absolu quant aux examens et à la collation des grades, exclut toute alternative. Souverains, ses jugements sont absolus, incontestables, comme apodictiques. Rien ne peut les invalider, en annuler les effets. A l’étranger, la ventilation des situations sociales a lieu spontanément, sans intervention du pouvoir, diffuse, subtile (parfois brutale), polymorphe, complexe, difficilement perceptible dans sa globalité, résultant de facteurs divers combinant les inégalités d’aptitude, économiques et socio-culturelles, les circonstances, les choix et les trajectoires personnels, les écoles fréquentées, les études poursuivies, l’itinéraire professionnel, et donne lieu à une « grande société » hayekienne composée d’un grand nombre de classes, de catégories socio-professionnelles et socio-culturelles, de groupes informels, et d’une pluralité d’élites, différentes, inégales et complémentaires, lors même qu’elles s’ignorent. Et si, dans cet agencement social, le rôle de l’École est important, il n’est pas écrasant .

Un système scolaire violent consacrant la loi du plus fort

Rien de tel en France. Au nom de l’Égalité, de la Justice, de la Démocratie effective, les jeunes sont tous évalués, classés selon une prétendue échelle de l’intelligence, du savoir et de la dignité y étant liée, et ce, soi-disant en toute objectivité, sur le seul critère de l’aptitude et du mérite, l’École publique constituant censément, pour les « déshérités » un « merveilleux ascenseur social ». Ils sont ainsi jugés, placés, avant même leur entrée dans le monde adulte, suivant la sentence de l’État souverain. Ce n’est pas ce qu’ils font dans la vie, sur une longue durée, qui fixe peu à peu leur position sociale, c’est l’État qui en décide, dès le début, d’après leurs seuls résultats scolaires. Et ainsi, nos concitoyens entrent dans la vie active, pour la plupart, par la grâce d’un échec dont ils porteront le stigmate toute leur vie. Parlons de l’humanisme de notre École républicaine ! Cette façon de concentrer les jeunes dans des établissements d’État pour les évaluer et décider de leur avenir, recèle indubitablement une forme de violence et tient de l’encasernement. Elle suscite une compétition malsaine qui mobilise l’intelligence au service de la volonté de puissance, secrétant ainsi la loi du plus fort codifiée par l’État. Ceci n’a pas échappé aux fondateurs mêmes de l’École républicaine. Entre 1882 et 1912, dans ses conférences à Paris et en province, Durkheim ne cesse de définir l’enseignement comme un coup de force et le rapport maître-élève comme violent et lié à un enjeu de pouvoir [1]. Plus tard, M.T.Estrela définit la relation pédagogique comme un rapport de force en lequel le savoir joue le rôle d’un instrument de domination et de symbole de puissance que l’élève doit s’approprier dans l’intérêt même de la reconnaissance de sa dignité [2]. Cette École a instillé au cœur de sa mission d’instruction dans l’intérêt de tous et de chacun, cette obsession angoissante et perverse de la lutte pour la dignité et le pouvoir grâce à l’utilisation du savoir retaillé suivant sa conception et ses visées sélectives. Elle identifie l’intelligence à la culture d’une part, et surtout, à la force d’autre part. Conformément à ses origines au sein d’une nation en révolution qui, pour soutenir une guerre contre tout un continent dut se soumettre à la plus terrible des dictatures et au plus spartiate des régimes militaires en attendant d’être stabilisée… par un tyran. Suivant l’échelle de valeurs d’une telle École, l’intelligence se ramène à un aspect et/ou à un instrument de la force brutale ordonnée à une fin de domination. La culture vaut, pour elle, dans la seule mesure où elle confère une légitimité spirituelle à la force. Et l’intelligence, instrument de cette violence, joue aussi un rôle utilitaire pour la survie de la nation. L’École d’une nation bouleversée soumise à un régime militaire de terreur et peinant pour survivre sous l’autorité de chefs violents qui sélectionnent à leur image l’élite dont ils ont besoin, voilà l’École républicaine, qui arrache la culture à la skholè, à l’otium, la lie au negotium, lui met le sac au dos, et, reléguant dans l’utopie l’abbaye de Thélème et sa liberté raffinée (« Fayes ce que voudras »), crée les classes prépas et leur régime d’humiliation, lequel, à en croire ses laudateurs, forge le caractère et fortifie l’intelligence.

L’École d’État, est inéluctablement violente, ségrégative, ordonnée au pouvoir et à tous les enjeux et bas calculs y étant liés. Elle y plie l’intelligence et manipule la culture comme critère de supériorité morale (et/ou de classe) et instrument d’habillage et d’affinement de cette intelligence réduite à sa dimension prédatrice.

Une telle École suscite inévitablement la frustration, le ressentiment et la révolte. Elle est la source d’un malaise de la société française sans exemple ailleurs, et le niveau d’études joue, à tous les plans, depuis l’insertion sociale et le degré de rémunération jusqu’au standing, un rôle impensable sous d’autres latitudes. Elle exacerbe à ce point le mal-être français que, du même coup, on l’a amplement vérifié depuis quatre décennies, elle est irréformable.

Prenons notre destin en mains, ne laissons pas l’État en décider

Le seul remède réside donc hors d’elle. J’ai exposé, sur ce site, l’exemple de la décentralisation du système scolaire italien depuis 1996. Il en existe une autre, qui serait la multiplication des réseaux d’écoles libres (sans contrat avec l’État), tels que les préconisent Philippe Nemo ou la Fondation pour l’École. Ces innovations auraient le mérite de mettre fin à la crispation française sur l’École et d’instaurer enfin un système scolaire à la hauteur de ses missions naturelles d’éducation, d’instruction et de formation. Les Français doivent reprendre leur avenir en main au lieu de le soumettre à la décision de l’État dès leur prime jeunesse. L’École doit cesser d’être un organe de l’État en majesté et devenir un instrument proche des gens, profondément inséré dans la société, liée à elle sous toutes ses formes – même s’il ne se confond pas avec elle – apte à aider les jeunes et les adultes à y faire leur chemin, proposant donc une multiplicité constamment renouvelée de cursus, de formations (initiales et continues), de passerelles, de voies et de modes d’accès aux études. N’en déplaise à Pena-Ruiz, Bachelard avait tort de dire que « la société est faite pour l’École » ; non, c’est bien l’École qui doit être faite pour la société et les individus. Dans une civilisation évoluée et réellement démocratique et humaniste, ce sont les individus qui bâtissent leur destin; et les inégalités cessent d’être verticales, créées ou sanctionnées par l’État, pour devenir horizontales et se présenter comme des différences.


[1] Cf Emile Durkheim, La science morale et l’action, présenté par Jean-Claude Filloux, Puf, 1987, Éducation et sociologie, présenté par Paul Fauconnet, PUF, 1992, L’éducation morale, présenté par Paul Fauconnet, PUF, 1992. Cf également, Jean-Claude Filloux, Durkheim et l’éducation, PUF, 1993, et Yves Morel, La fatale perversion de l’Ecole républicaine, Via Romana, 2011, pp. 63-66

[2] Autorité et discipline à l’Ecole, ESF, 1994, en particulier p. 45, et Yves Morel, L’idéal scolaire français. De l’utopie à l’entropie, Bellier, 2007, pp. 138-142

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés