Ancien ambassadeur de la Hongrie en France, László Trócsányi est aujourd’hui ministre de la Justice dans le gouvernement hongrois du Premier ministre Viktor Orbán. Il est donc en première ligne dans la gestion de la crise migratoire qui ébranle l’Europe et les institutions européennes.
Quelle est votre réaction après les attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre ?
La stupéfaction évidemment. C’est non seulement votre pays qui a été visé mais c’est aussi, à travers lui, nos valeurs, l’ensemble de nos démocraties européennes. Les attentats du vendredi 13 novembre ont provoqué de la terreur dans la société.
Certains de ces terroristes seraient passés par la Hongrie en se mêlant aux réfugiés…
Voilà le problème. Il est évident qu’aucune administration n’est capable de faire face à un afflux de plus d’un million de personnes. Il est tout à fait probable que des terroristes se fondent dans la masse des réfugiés. Malheureusement, les institutions européennes ont tardé à réagir, et l’Europe donne l’impression de courir après les événements. Dans l’urgence, les chefs d’état européens ont multiplié les réunions afin de trouver des solutions à cette crise sans précédent. Cela fait des belles photos dans les journaux, mais il aurait été préférable d’agir avant que la situation devienne si difficilement contrôlable.
Votre pays est très critiqué pour sa gestion de cette crise migratoire…
La Hongrie est victime de caricatures malhonnêtes alors qu’elle ne fait qu’assumer la difficile mission de protéger les frontières de l’Europe en tant que pays extérieur de l’espace Schengen. Elle s’attache à l’intégrité territoriale, élément fondamental de la souveraineté, et elle pense qu’un État doit toujours être en mesure de contrôler qui peut venir sur son territoire. D’autant plus qu’un tel contrôle est prévu dans le Code des frontières Schengen, et doit donc être effectué par tous les pays membres en vue de contribuer, notamment, à « la lutte contre l’immigration illégale ». Or, face à la crise migratoire qui se profilait, Bruxelles a prétendu agir seul, bafouant la souveraineté des états membres pourtant parties prenantes dans cette affaire.
La Commission a tenté de mettre en place un système de répartition des migrants entre les états membres. Ce que le groupe de Visegrád, dont vous faites partie, a refusé…
Le système de quotas que la Commission européenne a tenté d’imposer sans demander l’avis de quiconque est brutal et coercitif. Il ne tient compte ni de la liberté individuelle des migrants, ni de la souveraineté des états membres. C’est un procédé technocratique coupé de la réalité. Il ne suffit pas de répartir les migrants comme des pions sur une carte de l’Europe étalée devant soi pour résoudre le problème. La Commission a voulu montrer qu’elle maîtrisait la situation. Mais en procédant de façon abrupte et péremptoire, elle a affaibli la confiance dans les institutions européennes. Le résultat c’est que ce sont les accords de Schengen qui pourraient être remis en cause. Ce serait un énorme coup dur pour toute l’Europe, y compris bien évidemment pour l’Europe centrale et la Hongrie.
Et l’érection de murs aux frontières avec la Serbie et la Croatie. était-elle indispensable ?
Dans la confusion générale, il fallait réagir. Les migrants traversaient des propriétés privées, ce qui créait des tensions avec les riverains, tensions attisées par le Jobbik, l’extrême-droite hongroise… Ne cachons pas la poussière sous le tapis : si nous cédons au politiquement correct qui sévit dans une partie de la presse d’Europe occidentale, nous cédons du terrain sur le plan politique dans notre pays. Le gouvernement de centre-droit auquel j’appartiens a donc décidé, à contre-cœur, de dresser une clôture à la frontière avec la Serbie et avec la Croatie pour pouvoir rétablir un contrôle effectif. Mais nous avons également installé des centres de transit qui permettent d’enregistrer les demandeurs d’asile – formalité prévue par la « directive procédures ». Depuis que ces décisions ont été prises, les migrants contournent notre pays en passant par la Slovénie, ce qui pose tout de même des questions sur leur volonté de coopérer avec les autorités européennes. Toujours est-il que la Hongrie a enregistré un nombre record de migrants, 180 000 personnes à ce jour. Cela aussi nous est reproché : les prises d’empreintes digitales sont présentées comme « inhumaines ». Mais, que je sache, la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’espace Schengen est réservée aux seuls ressortissants des états membres. Si personne ne respecte les règles censées régir l’Union européenne, à quoi sert-il d’en édicter ?
La responsabilité de l’Allemagne, ouvrant grand ses portes puis les refermant précipitamment, n’est-elle pas écrasante ?
La situation politique allemande, avec un gouvernement issu d’une large coalition, est complexe et alourdit les processus de décision. Mais il est évident que personne n’a vocation à accueillir « toute la misère du monde » comme l’a dit un jour un homme politique français. Prétendre le contraire n’est pas raisonnable. C’est une question de volume et d’intégration. J’ai vu en France, dans une ville comme Saint-Denis, les tensions qui peuvent exister entre communautés repliées sur elles-mêmes… à notre avis, il serait irresponsable de vouloir reproduire ce modèle partout en Europe. D’autant plus que la Hongrie n’a pas les mêmes liens historiques et intérêts stratégiques dans les régions d’origine de ces migrants que certains autres pays…
Les pays de l’Europe centrale s’opposant aux décisions unilatérales des institutions européennes… N’y-a-t-il pas là les prémices d’un conflit à venir au sein de l’Europe ?
Cette crise a ouvert un conflit entre quelques-uns des états membres et les institutions bruxelloises sur la question de l’intégration européenne. D’un côté, la Commission entend assumer davantage de pouvoir. De l’autre, des pays comme la Hongrie souhaitent que les nations conservent leur souveraineté tout en reconnaissant qu’il faut travailler ensemble sur certaines compétences. J’irai même plus loin en affirmant que la démocratie en Europe sortirait grandie d’un renforcement du rôle des états dans les institutions européennes. Car que fait-on des parlements nationaux dans le cadre actuel ? Deux visions s’opposent donc. Et dans ce grand débat sur l’avenir de l’Europe, la Hongrie compte bien faire entendre sa voix qui est celle de l’Europe des Nations.