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La guerre des langues

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La guerre des langues

Chaque langue possède ses propres caractéristiques pour penser le monde. Support essentiel des représentations, elle peut devenir sujette à des luttes d’influence. Des tentatives d’acculturation par les empires à la créativité scientifique, les enjeux sont énormes.

Dans la nuit des temps, l’âme des peuples façonna les langues, et celles-ci leur permirent d’affiner leur pensée. Une langue se marie intimement à l’essence d’une personne : elle l’identifie et lui permet de s’exprimer dans toutes ses nuances possibles. Ainsi, la langue est loin d’être un simple moyen de communication destiné à échanger des informations. C’est pourquoi chacune possède ses spécificités propres. Le lexique ne propose pas la même conception selon la langue. « On fait normalement de très beaux dictionnaires dans lesquels on montre qu’esprit ne veut pas dire Geist et que Geist ne veut pas dire Mind, et qu’il y a là une richesse qui appartient aux langues de manière immémoriale », relève le philologue Heinz Wismann (Penser entre les langues, Albin Michel). Sous l’influence ou la domination d’autres cultures, le vocabulaire et la conception associée peuvent créer d’énormes distorsions. Par exemple, le sens de la « communauté internationale » américaine, qui ne prend en compte que les pays qui acceptent certaines des règles des états-Unis, est fort éloigné du français « nations unies », beaucoup plus universel ; et le « marketing », verbe conjugué qui a remplacé la très neutre « mercatique » décrivant l’échange, normalise de fait l’acte consistant à influencer un individu en vue de lui faire acheter un produit. Derrière le vocabulaire se cache ainsi une conception et un imaginaire déposés par strates successives au long du temps. Le lexique rend compte d’une manière de dire et de voir le monde.

Quant à la structure grammaticale, elle semble jouer un rôle encore plus important. Ainsi, la syntaxe allemande, qui place le verbe à la fin des phrases, fait-elle la part belle à l’action. En anglais, le langage est centré sur la relation de faits bruts et non sur le résultat. Son parler fonctionne d’abord sur le plan du réel. Le français, lui, s’appuie sur l’entendement. Notre langue éclaire avant tout l’idée qui est exprimée ; le mariage des sujets, des verbes et des compléments permet de développer des nuances à un degré unique au monde. Et que dire de l’extrême spécificité des langages d’Asie, l’hindi, le russe ?

Ainsi, chaque langue est « un petit univers de sens et d’originalité conceptuelle », affirme le linguiste Claude Hagège, qui souligne le rôle étroit entre univers culturel propre et capacité de création (voir l’entretien ci après, p. 20-21). La seule manière de dépasser cette radicalité des langues n’est pas de les détruire ni d’imposer une langue unique, mais de les maîtriser tout-à-fait, nous dit Heinz Wismann. D’où l’importance de la traduction, qui permet de rendre compte, dans la limite du possible, de la pensée d’un auteur dans ses conceptions les plus nuancées.
« Esclave parlera langue du maître »

L’être et le parler se rejoignant, la langue est le toit de la maison de l’identité. C’est pourquoi elle est naturellement l’enjeu des luttes de pouvoir et d’influence. En s’imposant physiquement, les empires introduisent leurs propres cultures dans les pays qu’ils dominent. Le russe n’était-il pas obligatoire dans les écoles des nations de l’ex-URSS ? L’expansion de l’islam n’est-elle pas inséparable de l’arabe ? L’américanisation de l’Europe de l’ouest n’est-elle pas consécutive à l’implantation des états-Unis sur le continent après 1945 ? En France, la situation a considérablement évolué en l’espace de trente ans : tandis que la maîtrise intime de la langue y régresse fortement, un idiome dominant – l’américain – s’impose petit à petit.

Pourquoi veulent-ils tuer le français ? (Albin Michel) interrogeait, il y a quelques années, le professeur d’université Bernard Lecherbonnier. L’homme démontrait qu’une politique défavorable à la langue maternelle avait été lancée. En premier lieu, par les pédagogues de mai 68, pour qui la langue était un avatar de la classe dominante qu’il fallait éradiquer. « Du cours préparatoire avec la méthode globale au lycée dépourvu d’enseignement littéraire, la même volonté est à l’œuvre : retirer à l’élève l’outil indispensable à l’édification de sa propre réflexion, de sa différence. » Un tel enseignement limite la pensée et le potentiel de réflexion, affirment les linguistes. Partant, elle étouffe l’identité. Et cela intervient au moment où la puissance dominante – les états-Unis – exerce tout son attrait de séduction.

Une puissante politique culturelle

Dès les années cinquante, Washington avait gagé ses aides du plan Marshall contre des obligations « culturelles », comme un quota extrêmement élevé (près de 50% en France) de films hollywoodiens à diffuser en langue originale dans les cinémas. Le plan faisait partie d’un vaste programme d’influence toujours en vigueur et baptisé « soft power » dans les mémorandums de l’exécutif. Dans son livre La conquête des esprits (Maspera, 1982), Yves Eudes a détaillé le dispositif mis au service de l’action culturelle américaine, mêlant agences de communication du Département d’état et organismes dits « non-gouvernementaux ». « Ceux pour qui l’action culturelle américaine ne résulterait d’aucune politique volontariste et serait comme tombée du ciel avec le Père Noël devraient le relire dix fois », écrit l’homme politique Paul-Marie Coûteaux (Etre et parler français, Perrin). La pression est d’autant plus forte aujourd’hui qu’avec l’appui des états-Unis, les fédéralistes européens rêvent de créer un état continental autour du seul anglais. Le résultat de cette politique, « dont les enfants sont l’effrayant enjeu », est flagrant. Tandis qu’un président américano-compatible, élu en 2007, avait donné ordre à son ministre de l’éducation de « faire de la France une nation bilingue », TF1 diffuse un dessin animé destiné à intégrer l’anglais dans les représentations mentales des petits de 5 à 6 ans (Dora l’exploratrice), et des écoles de commerce ou d’architecture multiplient les enseignements dans la langue de l’empire. Cela va jusqu’aux enseignes de magasins, ou aux chansons de jeunes artistes français trop honteux de parler une langue maternelle inconsciemment perçue comme celle du dominé. Un tel déferlement produit une américanisation des représentations mentales, sans pour autant enrichir la culture du peuple visé, désormais incapable de faire valoir toute l’originalité de ses conceptions propres. L’individu qui perd ses mots perd en effet leurs sens. Car « il naît de sa mère et de son père, le petit homme, mais il naît aussi, et n’est tout-à-fait que par sa langue » (P.-M. Coûteaux). Certains pays l’ont compris, comme la Chine ou la Russie, qui développent autant leurs cinémas que leurs logiciels de traduction. Les élites européennes au pouvoir resteront-t-elles ancrées dans des conceptions issues du milieu du siècle passé ?

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