Après seize mois de maladie, après les innombrables errances des restrictions et libérations conditionnelles, les gouvernements ont mis au monde une nouvelle religion séculière : la vaccination. Le communisme fut défini ainsi, et, comme lui, cette croyance inédite se construit sur la base d’une sorte de lutte de classe : les vaccinés, avatar hygiéniste du prolétariat de Marx, se lèvent contre les non-vaccinés, réincarnation des bourgeois exploiteurs. Le pouvoir incite au ressentiment, l’utilise et en abuse à ses fins, fait naître des haines qui n’osent dire leur nom, mais qui, pourtant, le sont. Les sociétés se déchirent à l’avantage de ceux qui les dirigent, puisqu’une société démantelée peut aisément être manipulée, donc assujettie.
C’est, bien entendu, la propagande qui a rendu possible tout cela – ce parfait outil de tant d’égarements. Les gouvernants ont indiqué la voie, donné des directives, puis, des personnalités se sont mises en campagne. L’Union soviétique avait institué cette étrange catégorie sociale qui, d’une certaine manière, prolongeait la classe politique : les personnalités. C’était l’ouvrier stakhanoviste, la danseuse étoile, le tractoriste émérite, le scientifique détenteur du prix « I. V. Staline », l’écrivain engagé, et tant d’autres – devanciers de ce qu’on appelle aujourd’hui du nom impossible d’« influenceurs », courroies de transmission entre le parti et le petit peuple.
Comme dans l’URSS d’autrefois, la bonne et juste parole des personnalités est répandue par la presse. De nos jours, le mécanisme est inversé, mais cela ne change rien à son mode de fonctionnement : c’est la presse, non plus le pouvoir, qui fait les personnalités, et celles-ci – pas toutes, bien entendu, mais la plupart –, une fois créées, se mettent au service du pouvoir.
Au plus bas échelon de cette construction se trouve le vacciné radical, celui qui, comme dans les affaires de désinformation montées par les services secrets, est utilisé comme caisse de résonance de la propagande officielle. Il est porteur de l’injonction venue d’en haut et, avec un peu de chance pour ses manipulateurs, il devient fanatique d’une cause qu’il ne comprend que très imparfaitement.
Il est, sans s’en rendre compte, la victime de l’exploitation de cette peur insoutenable qui lui a été induite. De la part du pouvoir, il s’agit d’une réussite notable, mais non moins perverse. Le vacciné radical démontre ainsi qu’avec un minimum d’habileté – car des dirigeants capables de tortueuses combinaisons machiavéliques n’existent plus, ils sont tous très rudimentaires –, tout peut lui être imposé, et qu’il prend cette imposition pour l’expression libre de son choix.
Collabo ou refuznik ?
Le vacciné radical, qui mène avec de plus en plus de vigueur la lutte de classe, est prêt à tout. Prêt, en premier lieu, à accepter et soutenir toute forme d’exclusion des autres, ses ennemis qu’il traite d’imbéciles égoïstes et voudrait les voir enfermés dans des goulags sanitaires. Il est prêt, pour cela, à les dénoncer, quitte à le faire anonymement. De voir se constituer des fichiers et autres systèmes de surveillance le met en joie. Apôtre intransigeant ayant reçu la vérité absolue, il lutte pour que le droit de douter soit interdit aux autres. Il est, surtout, prêt à abandonner toute logique, à s’interdire la pensée au nom de sa sécurité médicale, qui n’existe que parce qu’elle lui a été promise par les gouvernants, les personnalités et les journalistes. Sans se rendre compte, il met en place un système de prophylaxie sociale dont les gouvernants se félicitent parce qu’ils pourront s’en servir dans nombre d’autres occasions.
Comme le collaborateur d’autrefois – que ce fût du parti répressif et de son service secret, en Union soviétique, ou des forces militaires d’occupation, ailleurs – le vacciné radical ruine la société, et il le fait avec conviction et enthousiasme. Est-il conscient de sa condition ? Non, car la peur qu’on lui distribue jour après jour l’aveugle. Et, comme toujours, le collaborateur de bonne foi est le plus dangereux, le plus nuisible.
Ce qu’ils se sont laissé imposer, ils veulent le voir imposé à tous. Au nom de ce qu’ils pensent être leur choix – et qui n’en est pas un, parce qu’il leur est venu par la manipulation de la peur, et parce qu’ils ont accepté l’idée de la solution unique, donc de l’absence de choix –, au nom, donc, de ce non-choix qu’ils espèrent salvateur, ils veulent voir abolie la liberté des autres de choisir. Mais quand un groupe croit avoir fait un choix, quand il est persuadé que celui-ci est le meilleur, et quand il exige qu’il soit dicté à tous – c’est que la société, et non sa direction politique, est devenue totalitaire. Intolérable, invivable, elle est désormais vouée au suicide moral.