Civilisation
« Depuis six ans que nous nous battons, la PMA sans père n’est pas passée »
Un entretien avec Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif Pour Tous.
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Nouvelle manifestation géante « contre la dénaturation du mariage », hier à Paris. Après la grande mobilisation de janvier dernier et la gigantesque réunion au mois de mars sur l’avenue de la Grande Armée, les organisateurs peuvent s’enorgueillir d’une nouvelle réussite. A 17 heures, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui rentraient chez eux, alors que les queues de cortège n’étaient pas encore arrivées.
17 heures, rue Saint François-Xavier : un flux ininterrompu de manifestants quittent les lieux alors que les queues de cortèges ne sont pas arrivées aux Invalides.
Surles grandes pelouses de l’avenue de Breteuil, une foule impressionnante était massée devant un écran géant. L’information a vraisemblablement échappé aux grands médias qui n’ont diffusé que des images du rassemblement des Invalides, qui a occupé tout l’esplanade. 150 000 personnes, annonçait dès 15 heures la Préfecture de police de Paris, dont la direction avait été changée par François Hollande aussitôt arrivé au pouvoir. C’est moins de deux fois le Stade de France… « Nous avons été plus d’un million », clame quant à eux les organisateurs vers 18 heures, un chiffre sans doute plus proche de la réalité.
Cette guerre des chiffres est importante. Historiquement, toute manifestation rassemblant plus d’un million d’opposants peut faire tomber une loi.
Le soleil se lève quand la réunion prend fin. Des dizaines de milliers de personnes déambulent aux Invalides : adolescents, jeunes, familles, vieux… Des groupes de veilleurs se réunissent ici et là.
La manifestation officielle est terminée, la foule déambule sur l’esplanade.
Passées 19 heures, un attroupement se forme devant l’entrée de la rue de l’Université, celle-là même qui est verrouillée depuis des mois pour empêcher l’approche de l’Assemblée nationale. L’endroit est symbolique : c’est devant l’Assemblée qu’un sit-in pacifique avait été violemment réprimé il y a trois mois et que les premières gardes à vue abusives avaient été menées ; c’est sur les pelouses des Invalides qu’un pique-nique improvisé avait été dispersé dans les coups de la police.
Des « casseurs d’extrême-droite » (dixit Manuel Valls) se pressent devant l’entrée de la rue de l’Université.
De manière assez étrange, des pétards et des heurts éclatent très vite. Dans la foulée, des jeunes manifestants protégés d’écharpes tentent de forcer le barrage. Les CRS ripostent. Des bombes lacrymogènes sont propulsées façon mortier. Une pluie de bouteilles en verre s’abat alors sur les forces de l’ordre. Contrairement à une idée reçue, la plupart des protagonistes n’étaient pas des nouveaux-venus : ils ont participé aux mobilisations des derniers mois. Ce sont eux qui avaient subi en silence les innombrables interpellations ordonnées par le ministre de l’Intérieur. Plus étonnant encore, ils sont soutenus par les milliers de personnes restées sur l’esplanade des Invalides, dont certains se prennent au goût de la contestation active.
Les « casseurs » qui ne cassent pas se meuvent alors de l’autre côté de l’esplanade, où une armée de CRS suréquipés ont tenté un encerclement. Les Robocop postés rue de l’Université sortent alors de leurs tranchées. Débute des scènes de mouvements de foule, de charges disparates de gendarmes mobiles, de ripostes des manifestants. Un groupe de « veilleurs » reste sur place. Debout autour d’eux, des manifestants les protègent. Imperturbables, les veilleurs demeurent sur place et sont protégés par certains des « casseurs »
Tout le monde finit par partir car l’air devient irrespirable : les innombrables fusées lacrymogènes des forces de l’ « ordre » et les quelques fumigènes des manifestants envahissent les lieux. Les Invalides sont recouvertes d’un épais nuage de fumée.
Un photographe s’extirpe du nuage de fumée qui envahit l’esplanade des Invalides.
Des groupes de CRS se font prendre au piège de leurs propres jets. Des policiers en civil, sortis pour taper à tout va dans le brouillard, sortent précipitamment du nuage de fumée. Ils continuent de frapper les quelques observateurs extérieurs : tout en courant, l’un assène un coup de matraque à un jeune homme qui filme avec son appareil puis il lui asperge du gel lacrymogène sur le visage, l’homme se retranche en arrière mais un autre le frappe par derrière.
Des policiers en civil reviennent se protéger derrière les CRS après avoir effectué une charge violente et soudaine. A l’extrême-droite de la photo, on distingue plusieurs d’entre eux cagoulés et sans brassards.
Les nombreux abus commis par les policiers en civil, souvent non munis de leurs brassards et plaquant violemment dans le dos des personnes de toutes conditions, le prouvent : ils ne sont pas là pour assurer l’ordre mais faire peur. Payés avec l’argent des impôts, ils assurent une forme de terreur d’autant plus efficace qu’elle arrive sans prévenir. A côté des armées de gendarmes mobiles, que viennent faire ces ‘policiers’ extrêmement agressifs, qui se cachent et frappent à l’aveugle ? « Le préfet de police de Paris [nommé par le gouvernement] est brutal et il envoie ses ripoux brutaux », susurre un peu plus tard un observateur de la scène.
Les deux heures suivantes sont nécessaires pour faire revenir le calme : entre des moments d’apaisement, quelques charges de CRS et des contre-charges de jeunes opposants qui n’ont pas froid aux yeux. Un gigantesque cordon de Robocop se forme.
Tandis que la foule se disperse petit à petit, l’encerclement des plus tenaces se poursuit. Deux longs bus d’interpellation se positionnent. Un groupe de jeunes – moitié de filles – est encerclé au sol sans raison apparente, scène désormais classique.
Une constante depuis trois mois : des manifestants sont choisis au hasard et encerclés pendant une heure en pleine rue pour faciliter la dispersion.
Enfin, le groupe de veilleurs le plus excentré, qui n’a pas été touché par les gaz asphyxiants, poursuit le combat en lectures à la lumière des bougies. A minuit, il sera embarqué manu militari.
Dans un coin des Invalides, l’ombre de la nuit aidant, des policiers se lâchent sur quelques manifestants épars. Un homme est violemment attaqué par des agents en civil non munis de brassards. Projeté au sol, il hurle sa douleur et sa détresse ; l’homme est maîtrisé mais l’un des « policiers » place néanmoins son genou sur son bas-ventre. Croyant à une bagarre, trois CRS accourent vers la scène. « Ils sont de chez nous ! Ils sont de chez nous ! », clame finalement l’un d’eux après avoir vu la carte des agresseurs. Deux minutes plus tard, l’un des CRS sort du groupe, bien décidé à faire payer les récriminations des observateurs présents : il s’approche d’un homme, dit qu’il « ne peut pas accepter ça » et lui assène une lourde gifle. Une personne tente de réagir mais d’autres Robocop sortent des matraques.
« Nul n’est censé ignorer la loi ; nous avons fait une sommation et vous devez partir », avait tonné sans rire un grand CRS à un vieux monsieur à vélo une heure plus tôt. Visiblement de plus en plus agacés et agressifs, les hommes des forces publiques ont scrupuleusement respecté les ordres : passé minuit, il n’y a plus grand monde aux Invalides.
Une impression demeure : de plus en plus habitués aux coups de matraque et aux gaz lacrymogènes, les manifestants se durcissent. L’absence de débat et la répression démesurée dont ils ont fait l’objet les feront revenir.