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Gramsci est vivant [PM]

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Pour Gaël Brustier, la pensée de droite est en train de saper la prédominance intellectuelle de la gauche. Une thèse appelant des nuances mais qui a le mérite de remettre au goût du jour les écrits du théoricien marxiste italien Antonio Gramsci et notamment sa conception de l’hégémonie culturelle.

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C’est le top, pas le flop ». Formule publicitaire d’un communiquant en panne d’inspiration ? Non, satisfaction du premier secrétaire du parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, tout heureux d’annoncer le résultat de la votation organisée par le PS entre le 16 et le 18 octobre. Et peu importe si l’initiative a provoqué un déluge de critiques parmi les élus et les partenaires de la gauche. Le PS fait ce qu’il peut pour exister. Une couverture médiatique, un buzz, même critique, est déjà un succès. Lucide, Cambadélis l’a lui-même reconnu au congrès de Poitiers : « La gauche n’est plus en situation d’hégémonie culturelle ».

C’est par cette formule en forme d’épitaphe que commence l’à demain Gramsci (Le Cerf) du politologue Gaël Brustier, ancien président des jeunes du Pôle républicain de Jean-Pierre Chevènement et critique percutant du libéralisme. Philosophe marxiste, penseur des crises du capitalisme, cofondateur du parti communiste italien en 1921, Antonio Gramsci a forgé un certain nombre d’outils théoriques – « guerre de mouvement » et « guerre de positions », « société politique » et « société civile » – toujours utiles à la compréhension des enjeux politiques et idéologiques de notre époque.

C’est sa conception de « l’hégémonie culturelle », développée dans ses Cahiers de prison, qui retient aujourd’hui particulièrement l’attention. Gramsci la forgea comme une réponse au non-avènement des révolutions communistes dans les pays industrialisés, révolutions annoncées par Marx et Engels comme une nécessité de l’histoire. Ces dernières n’ont pas eu lieu, affirme Gramsci, à cause de l’hégémonie culturelle de la classe dominante, le prolétariat adoptant, sans même en avoir conscience, les intérêts de la bourgeoisie.

Un concept utilisé par la critique néo-marxiste
S’il y a belle lurette que la France, et l’Italie avec elle, ont perdu leur industrie, le concept a fini par être utilisé par la critique néo-marxiste pour désigner tous les moyens non coercitifs mis en œuvre par un état pour maintenir son emprise sur la société civile. Pour prendre le pouvoir, mais aussi pour le conserver, il ne suffit pas d’être maître des institutions et des moyens de production.

Il faut aussi s’assurer l’hégémonie culturelle – la culture étant entendue au sens large – pour édifier le « sens commun », expression désignant chez Gramsci tout ce qui, moralement et idéologiquement, est ressenti par les gens comme allant de soi.

Or, analyse Brustier en redonnant un coup de jeune à un auteur peu étudié en France, l’influence culturelle que la gauche possédait depuis au moins mai 68 a désormais basculé à droite, dans un « front culturel commun » conservateur, identitaire et anti-libéral – parfois, tout cela en même temps ! D’où la popularité des thèses d’un Michel Onfray, d’un Alain Finkielkraut ou d’un Eric Zemmour, malgré une gauche qui détient toujours en France à travers la classe politique, les médias et l’ensemble des institutions, ce que Jacques Julliard a appelé le « monopole de la parole légitime ».

La meilleure illustration de la défaite culturelle de la gauche reste cependant le succès des manifestations contre le mariage homosexuel. Face aux foules mobilisées par ce « Mai 68 conservateur » – c’est ainsi que Brustier l’a qualifié dans un précédent livre –, la gauche a « refusé de mener la bataille, en préférant miser sur l’évidence plutôt que sur l’argumentation ». Sans s’apercevoir que le magistère moral qu’elle a si longtemps exercé n’avait plus du tout la même emprise sur le champ politique. N’ayant rien vu venir, elle n’a pas su réagir. Est-ce l’explication à la brutalité hors de propos du pouvoir socialiste à l’encontre des foules pacifiques de la Manif pour tous ?

Le supermarché des valeurs
Brustier dresse ainsi un réquisitoire sans appel contre une gauche qui réduit son offre politique à une sorte de supermarché des « valeurs » pour le moins floues, à l’image de ces motions désincarnées des congrès du PS dont raffolent tant les caciques du parti. Mais comment cette gauche qui ne se posait pas de questions sur son avenir, puisque le sens de l’Histoire était censé la couronner en majesté, en est-elle arrivée à « succomber politiquement et à sortir de l’Histoire »? Pourquoi une telle déréliction ? Observateur attentif de l’évolution des idées et des mouvements politiques, Brustier estime qu’elle a commis deux erreurs qu’elle paie aujourd’hui au prix fort.

La première, c’est d’avoir adopté les logiques portées par le néolibéralisme anglo-saxon impulsé par Margaret Thatcher et Ronald Reagan dans les années 80 et qui se traduiront, en France, par la substitution, avalisée par François Mitterrand, de l’utopie européenne à l’utopie socialiste. Une conversion parfaitement assumée par le PS de 2015 : François Hollande en digne héritier des chrétiens de gauche comme Jacques Delors, qui l’eût cru ? Dans cette brèche ouverte dans le socialisme marxisant à la française, s’engouffre aujourd’hui un national-populisme façon Marine Le Pen.

La seconde, c’est d’avoir été incapable de proposer un projet mobilisateur après la crise de 2008 alors que le « bloc historique » de la mondialisation heureuse – l’adhésion des différentes catégories sociales à un même projet politique, selon Gramsci –, se fissurait de toute part. Force est de constater en effet que la social-démocratie européenne poursuit son déclin à mesure qu’une droite conservatrice, parfois franchement « réactionnaire », gagne des points un peu partout sur le Continent.

La classe politique perdante
Longtemps vainqueur dans les urnes, la gauche aurait donc laissé la droite gagner dans les têtes. Identités, sécurité, frontières nationales, maîtrise des flux migratoires sont en effet des thèmes qui dominent aujourd’hui le débat public, ce qui aurait été inimaginable il y a peu. Mais que Brustier se rassure : l’analyse pessimiste qu’il fait de l’état de la gauche peut s’appliquer à l’ensemble de la classe politique qui semble avoir perdu de vue l’importance de la bataille culturelle.

Comme si la logique usée de nos institutions politiques condamnait désormais les partis de l’establishment à n’être plus que des machines électoralistes où les ambitions de personnes supplantent systématiquement la confrontation des idées. Pourtant, « faire de la politique en temps de crise implique de prendre au sérieux l’idéologie », résume notre auteur qui se réjouit, pour finir, de l’apparition, sur les ruines de l’ancienne gauche, d’authentiques mouvements ou figures gramscistes tels Podemos en Espagne ou… le pape François !

L’avenir politique de l’Europe pourrait-il se dessiner depuis les marges et les périphéries chères au cœur de l’évêque de Rome ? En France, certaines candidatures hors du système partisan ont ainsi pu être envisagées à la présidentielle de 2017, sans que personne ne trouve l’hypothèse particulièrement absurde.

C’est en cela que le petit livre intelligent de Brustier vise juste : le gramscisme n’est pas mort. Il prospère aujourd’hui sur le néant culturel produit par l’opposition factice d’une gauche et d’une droite institutionnelles au fond d’accord sur l’essentiel : pour elles, l’important est de gagner la prochaine élection…

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