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Gardiens des mouvements

En 1700, Raoul Feuillet fait paraître sa Chorégraphie, ou L’art de décrire la danse par caractère et signes démonstratifs. Le mot finira par désigner les danses réglées par les chorégraphes qui ne sont plus ceux qui notent les danses mais inventent les évolutions des danseurs.

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Gardiens des mouvements

Quand Degas sculpte à la fin du XIXe sa Danseuse, grande arabesque, deuxième temps, on est encore dans un répertoire fini, en quelque sorte, et les spectacles de danse ne différent que par la maîtrise technique d’évolutions compliquées des danses villageoises ou de salon qui exigent qu’on répète quasiment sans variation un code, comme lorsque Feuillet invente les signes qui signifient qu’on plie le bras ou qu’on effectue un « pas tortillé de côté ». Avec le XXe siècle apparaissent d’autres manières de danser, qui s’écartent totalement des mouvements si bien réglés : le danseur évolue autrement, pas forcément plus librement, d’ailleurs, et d’autres notations naissent, repérant la position du corps et des membres, les évolutions dans l’espace de la scène : Laban élabore sa cinétographie. Feuillet, Rameau, Laban, Saint-Léon, Zorn, Benesh… les systèmes se suivent, avec toujours l’idée de fixer et transmettre pour pouvoir reproduire, l’écriture de la danse devant résoudre en permanence les paradoxes du mouvement arrêté, de l’évolution figée, du plan et du corps. Cette partition d’une danse complètement chiffrée pour pouvoir être déchiffrée et exécutée à nouveau est comme la partition d’une musique distinguant chaque mesure et chaque instrument, s’offrant d’abord d’un seul tenant comme si l’exécution était simultanée alors qu’elle est linéaire. La partition abolit le temps que l’interprète restituera.

Sur cette notion du « dessin à danser », le musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon et l’Institut national d’histoire de l’art ont réuni des documents étonnants, mélangeant avec bonheur les cours de Fred Astaire et les carnets de chorégraphes contemporains, des photographies de ballets et leurs schémas dessinés, des pièces ethnographiques et des manuels de danse de salon. À chaque fois, il s’agit de mettre en mouvement le lecteur ou d’offrir à l’expert (chorégraphe ou danseur) le support sûr d’une incarnation fidèle des œuvres. Tout n’est pas immédiatement plaisant et une certaine fascination pour l’abstraction vient parfois diminuer le plaisir de la découverte, mais l’idée même de noter la danse comme on note la musique et les paroles est fascinante, comme le sont tous les systèmes inventés à partir de ce désir commun.

L’exposition accueille aussi les notations des carrousels et des mouvements de troupes à l’exercice et esquisse en fait la grande exploration de toutes les codifications du mouvement humain, qu’il s’agisse de danser ou de travailler. Une œuvre, entre autres, réussit à donner une vue synoptique des défis de cette représentation : La Bionni Contradanse tirée du Wahhall Hollandois (1762) : sur une seule colonne on trouve la description écrite des évolutions des huit danseurs, les mêmes figurés en pieds en perspective axonométrique, le schéma à la verticale de leurs évolutions, enfin la partition, chaque colonne indiquant les différents temps de la séquence complète. Gageure impossible à tenir pour les danses plus compliquées : les chorégraphes ont rivalisé d’ingéniosité pour tout dire sous la forme la plus codifiée. On s’en enchante comme de découvrir une écriture inconnue dont on sent frémir le sens, juste à la porte de notre intelligence, ou de notre corps.

Chorégraphies. Dessiner, danser, XVIIe – XXIe siècle.
Le musée des beaux-arts et d’archéologie, Besançon, jusqu’au 21 septembre 2025.

 

Illustration : Raoul Auger Feuillet, Chorégraphie ou l’art de décrire la dance (Paris, Feuillet et Brunet, 1700, pl.68-69), Paris, bibliothèque de l’INHA,

Lucinda Childs, gabarit pour Melody Excerpt, 1977, Feutres de couleurs différentes, crayon, correcteur blanc, ruban adhésif sur papier Pantin, Centre national de la danse, fonds Lucinda Childs 12.

 

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