Vieilles fiertés, coutumes rassurantes, mœurs policées, gloires certaines, vocabulaire étendu, principes assurés, leçons chèrement apprises, patrimoine lentement accumulé, tout doit être brûlé sur l’autel de l’avenir, qui exige qu’on lui sacrifie tout, dans un fol acte de foi. Il s’y mêle une volonté prométhéenne d’imposer un monde précis à la nature et aux hommes, une impuissance rageuse à constater que le futur rechigne à se conformer aux désirs des experts, l’antique tentation de pureté qui aboutit toujours aux ravages, et le désespoir des coupables qui veulent cacher leur faute en empêchant qu’elle soit jugée. Le présent qu’ils bâtissent ressemble de plus en plus à une ruine incertaine qui vacille ? Il faut détruire tout ce qui pourrait être un élément de comparaison, il faut en effacer le souvenir, il faut en empêcher l’étude, il faut même que la simple évocation de ce passé soit considérée comme un sacrilège, un blasphème envers le dieu Avenir. Macron, qui prétend un jour, à la faveur d’un incendie, rendre Notre-Dame « plus belle » – en fonction de quels critères ? – et qui explique un autre jour, à la télévision américaine, que « nous devons déconstruire notre propre histoire » (CBS, 18 avril 2021), est ce parangon de destruction idolâtre. Tous les maux viennent du passé, tout le salut viendra du futur. Il faut régénérer sans fin la société et les populations et on ne peut y arriver qu’en détruisant les passés têtus qui rappellent d’autres histoires et d’autres géographies.
Une déconstruction experte
Nous évoquions le mois dernier la Commune et Napoléon, phénomènes complexes accommodés à la sauce Procuste pour les palais contemporains. Nous venons de célébrer l’anniversaire du putsch d’Alger. Le rapport Stora l’avait précédé, avec ses partis pris infâmes, sa méthode viciée, ses propositions idiotes et, surtout, sa réception déshonorante par les Algériens : les uns ont expliqué que la démarche n’avait aucun sens, les autres que la France devait répondre d’un prétendu génocide (« les millions de martyrs de la guerre d’indépendance » selon le général Saïd Chengriha, chef d’État-Major de l’Armée nationale populaire), et les mépris ne s’ajoutaient aux insultes que pour mieux affirmer que la France devait payer pour ses crimes. Bel effet d’une déconstruction experte. Macron croyait résoudre les très réels problèmes ethniques en France (« se débarrasser du racisme dans nos sociétés », CBS) en ne jouant que sur les représentations, les imaginaires, et, surtout, en croyant qu’il suffirait qu’il décide, lui, que les représentations changent pour que, miracle, tous les esprits se conforment immédiatement à la nouvelle configuration officielle ! Comme s’il s’agissait de mettre à jour les cerveaux en y téléchargeant de force la version 5.21 de la suite logicielle FranceEnMarche (CulpabilitéEM, DébatEM, ConsentementEM, RuissellementEM). Mais ça ne marche pas comme ça. Le monde n’est pas qu’une représentation. La population française n’a jamais été un ensemble homogène mais un composé indéfiniment alimenté d’ingrédients divers qu’on ne cherchait pas à tout prix à fondre en une parfaite alchimie – et qu’on cherche aujourd’hui encore moins qu’hier à homogénéiser puisqu’on célèbre et exalte des différences sous prétexte d’éliminer des discriminations.
Balkaniser la France
Le rapport Duclert, sur le Rwanda, ne marchera pas mieux que le rapport Stora ; ou alors il aura le même effet pervers : justifier que la France se ruine un peu plus en réparations très réelles pour des fautes très imaginaires. On ne décide pas unilatéralement d’apaiser les mémoires, surtout quand les mémoires sont très volontairement entretenues enragées par des pouvoirs qui ont besoin d’un bouc émissaire ; pas plus qu’on ne décide les terroristes à ne pas attaquer en leur affirmant qu’on n’est pas leur ennemi. Macron imagine apaiser les relations de la France avec l’Algérie ou le Rwanda comme s’il ignorait qu’Erdogan reprend la propagande algérienne (outre ses propres mensonges sur l’Arménie) et que les États-Unis poussent à la roue pour le Rwanda (les États-Unis ayant l’habitude d’accuser la vieille Europe pour faire oublier leurs propres crimes, plus nombreux et plus certains). Au bout du compte, la France aura réussi l’exploit de se balkaniser en moins d’un siècle sous prétexte de s’universaliser, et toute ces déconstructions intellectuelles n’auront abouti qu’à sa destruction. Qu’on nous présente déjà comme une renaissance.