Le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, veut faire des enfants de parfaits petits modernes au lieu de simplement leur transmettre les fondamentaux scolaires : savoir lire, écrire et compter. Pour lutter contre l’idéologie républicaine, cette pensée de la défiance, la philosophe Chantal Delsol en appelle à une pensée de la confiance.
La réforme sur les rythmes scolaires, présentée par Vincent Peillon, provoque une levée de boucliers de la part du corps enseignant et des parents d’élèves. Une preuve de plus que l’éducation nationale est impossible à réformer ?
Ce qui se passe, c’est surtout que les gouvernements se hâtent, presqu’en permanence ou au moins à un rythme accéléré, de promouvoir des réformes qui portent en général sur des points marginaux mais qui sont données pour capables de résoudre le problème dans son entier. Chaque fois cela coûte une fortune de déplacer cette énorme masse, et peu après on recommence dans l’autre sens. Bien entendu, il y a toujours des gens que cela n’arrange pas, et qui font grève. Tout cela est dérisoire. On ne réformera pas cette usine à gaz en enlevant deux heures d’Histoire ou en libérant deux ou trois après-midi par semaine. Les problèmes sont beaucoup plus profonds. On agite la surface pour faire semblant d’agir, alors qu’il faudrait plonger au fond.
Quand le ministre de l’éducation nationale déclare « qu’il faut arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social », quand il concocte une charte de la laïcité obligatoire, est-il dans son rôle ?
Il est dans le rôle parfait d’un idéologue un peu daté, persuadé que l’état peut éduquer les enfants à la place des parents et en faire un bataillon de petits soldats à son service et à sa solde. Il ne faut pas hésiter à le dire : c’est du fascisme. Ce n’est pas parce que Monsieur Peillon parle au nom des Lumières qu’il peut tout se permettre. Arracher l’enfant à l’influence de sa famille pour le mettre sous influence étatique, c’est meurtrier de toute façon, quelle que soit l’idéologie au nom de laquelle on le fait. Devant cela, nous n’avons plus qu’à entrer en dissidence.
Nombreux sont ceux à parler « d’égalité des chances » alors que, chaque année, un enfant sur trois entre en sixième en ignorant les bases de la lecture, de l’écriture, du calcul. Comment expliquer l’échec de l’éducation nationale ?
L’une des raisons est la pédagogie nouvelle qui, par exemple, apprend aux enfants de maternelle la linguistique au lieu de leur apprendre les éléments basiques de la lecture/écriture. Je veux dire qu’il s’agit de méthodes prétentieuses et emphatiques, délivrées dans des langages aberrants auxquels on ne comprend rien – et c’est fait pour : cela rend les enseignants importants et branchés, c’est le propre de l’esprit IUFM. On en arrive donc à cette absurdité : les enfants de maternelle font de la linguistique et, en 4e année d’université, il faut leur apprendre l’orthographe, qu’ils n’ont jamais acquise… Il faut revenir au lire/écrire/compter et s’en tenir absolument là, et c’est d’ailleurs ce que font avec succès toutes les écoles hors contrat qui commencent à fleurir ici et là.
L’école doit-elle tenir un rôle éducatif ou ne doit-elle être qu’un lieu de transmission des connaissances ?
C’est un lieu de transmission des connaissances, et c’est pourquoi on devrait parler de ministère de l’Instruction publique – ce sont les parents qui sont en charge de l’éducation, au moins dans un pays libre qui se targue de démocratie. Cependant, il est vrai que la transmission des connaissances ne peut jamais être exempte d’une transmission éducative : le savoir n’est pas absolument neutre ! C’est ici qu’intervient la relation entre les professeurs et les parents.
Qu’en est-il de la morale ? En existe-t-il une universelle, susceptible d’être enseignée dans tous les établissements scolaires ?
Oui, je crois qu’il existe une morale universelle, mais c’est un objet de croyance, un idéal auquel nous tendons, et sûrement pas un corpus qui pourrait tenir dans un manuel… Nous sommes des humains, des êtres incarnés, et tout ce que nous transmettons est particulier. Par exemple, nous transmettons la différence entre le bien et le mal à travers une morale particulière (la nôtre), de même que nous apprenons le goût à nos enfants avec des pommes de terre davantage qu’avec du riz, et nous leur apprenons à parler avec le français et non avec le chinois, car nous connaissons ce dont nous sommes dépositaires. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas élargir notre regard. Mais il est vain et infatué de croire que nous pouvons transmettre directement une morale universelle, comme si nous étions déjà devenus des anges… Hélas ! il nous reste pour cela du chemin à parcourir.
Les parents sont souvent absents des débats. Comment l’analysez-vous ?
Les parents sont souvent absents en raison de cette idéologie de la toute-puissance républicaine qui prend les parents pour des demeurés auxquels il faudrait arracher les enfants pour que ceux-ci deviennent enfin modernes… L’idéologie républicaine est une pensée de la défiance : elle prend la majorité des citoyens pour des imbéciles et confère tout pouvoir à un petit groupe de sachants (c’est le « fer de lance » de Lénine) dont les professeurs laïcs. Ce serait une grande victoire d’entrer dans une pensée de la confiance (qui correspond, soit dit en passant, à notre culture chrétienne originelle et à la pensée démocratique en général), et de faire en sorte que les enseignants et les parents travaillent le plus possible ensemble.
Dernier livre paru : L’âge du renoncement, éditions du Cerf, 304 p., 22 euros.
Entretien paru dans le numéro de novembre 2013 de Politique magazine.
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