Il existe certainement un ange des lettres qui pousse nos regards vers certains volumes en fonction des besoins du temps.
Fin janvier, j’ai ouvert comme chaque année le solide rapport de l’association Portes Ouvertes en même temps qu’un bouquin déchiré, déniché dans une boite à livres de la rue Vanderkindere à Uccle. Le titre ? Vie des martyrs, de Georges Duhamel. Patronyme pesant ou haine de Charles Maurras à l’orée de l’Académie française, l’auteur ne m’avait jamais trop attiré. C’est le génie des couvertures du Livre de Poche, et les timides débuts d’un peu de sagesse acquise, qui me convainquirent finalement de laisser une chance au débris de pages.
Lisez la Vie des martyrs qui décrit le service du chirurgien volontaire aux armées Duhamel. La litanie des souffrances, pieusement ou abjectement endurées, le souffle des explosions, et l’humanité renaissante malgré les horreurs vous coupera le souffle.
En quelques pages, Georges Duhamel décrit l’attitude de deux estropiés, Grégoire et Auger, tous deux simples, mais au maintien différent face à la souffrance. Auger est superbe quand Grégoire multiplie les lamentations. Et Duhamel d’écrire : « Bonnes mesdames qui venez voir nos blessés et leur distribuer des livres d’images, des bonnets tricolores et des papillotes, n’oubliez pas Grégoire, qui est malheureux surtout. Surtout, surtout, donnez-lui votre plus beau sourire. Vous partez contentes de vous-mêmes, parce que vous avez été généreuses envers Auger. Mais il n’y a pas de mérite à faire plaisir à Auger. Avec une seule de ses histoires, une seule de ses poignées de main, il vous donne beaucoup plus que vous lui donnez vous-mêmes. Il vous donne la confiance. Il vous rend la tranquillité de l’âme. Si vous partez sans un sourire à Grégoire, craignez d’avoir méconnu votre tâche. Et n’exigez pas qu’il vous rende votre sourire : quelle serait alors votre libéralité ? »
En ces quelques sentences, éloignées par le temps comme la guerre de notre quotidien, voilà qu’est illustrée la problématique constante du devoir humanitaire bien compris. C’est le propos que doit retenir le lecteur de l’Index mondial de persécution des chrétiens 2024. Quand les équipes de Portes Ouvertes dévoilent qu’un chrétien sur cinq en Afrique et en Asie est persécuté, la stupeur l’emporte toujours premièrement. Soudain, le chapelet d’actualités traumatisantes, de récits pitoyables, se sédimentent en un classement qu’on aurait tort de juger artificiel. C’est plutôt notre indifférence qui doit être interrogée.
Trop lointains, les 3300 chrétiens kidnappés au Nigéria l’année passée ? Et les 400 prisonniers détenus parce que chrétiens en Érythrée ? Et les 284 églises ciblées par des violences en Éthiopie, dans un pays pourtant très majoritairement chrétien mais en proie à des affrontements ethnico-politiques constants ? La fin de la chrétienté, tellement prisée par les sermonneurs et les éditorialistes catholiques, est aussi une terminaison de notre capacité à souffrir universellement avec ceux qui témoignent de leur amour pour le Christ et son nom, par le martyr, la persécution, la discrimination.
Comme le chirurgien changeant les pansements des Poilus aux chairs brûlées, nous devons accueillir les cris de toutes les victimes de la haine anti-chrétienne par le monde. Accueillir les cris qui bousculent le politiquement correct. Accueillir les lamentations qui n’usent pas des lexiques qui nous comblent. Accueillir les sanglots qui gémissent contre notre silence, voire contre le service de nos intérêts. C’est à ce prix que cet Index aura utilement touché notre intelligence. C’est à ce prix que nous embrasserons les douleurs du lointain afin de demeurer un peu plus nous-mêmes.
L’Index peut être consulté sur : www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens