Editoriaux
Macron-le-funèbre
Macron s’est rué à Ajaccio pour serrer la main de François. Il a réussi à le coincer à l’aéroport pour lui offrir le livre officiel de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Rebâtir Notre-Dame de Paris.
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Alors que les tensions politiques et historiques entre la France et ses anciennes colonies s’avivent, l’affaire du crâne du roi Torea, monarque sakalave décapité en 1897 lors de la conquête coloniale de Madagascar, a réémergé. Au cœur de ce contentieux, un symbole puissant des violences de l’époque coloniale, entre profanation mémorielle et quête de réconciliation.
Alors que la France traverse une période de tumulte politique, c’est discrètement qu’elle s’apprête à mettre fin à un contentieux de longue date avec Madagascar. Au cœur des tensions entre Paris et Antananarivo, un crâne entreposé dans les sous-sols du musée de l’Homme, à Paris : celui du roi Torea, monarque des Sakalaves, la quatrième ethnie la plus importante de la « Grande Île ».
La menace monarchiste écartée, la IIIe République se lance dans l’aventure coloniale dès les premières années de son installation définitive. Le but avoué est de restaurer la grandeur de la France, blessée dans son amour-propre depuis la perte de l’Alsace-Lorraine à l’issue de la guerre franco-prussienne (1870). Sous la pression des milieux affairistes et militaires, les parlementaires acceptent de lancer les troupes françaises à l’assaut de l’Asie et de l’Afrique. Face à l’île de la Réunion, celle de Madagascar attise toutes les convoitises des pays européens. Très rapidement, l’île aux vanilles devient un enjeu patriotique pour le Parti colonial (dont les membres sont issus de toute la classe politique). Un mouvement qui peut s’appuyer sur des leaders de premier plan pour déclencher une expédition qui va rester célèbre pour l’histoire de France.
En 1885, la France arrache la signature d’un document à la monarchie merina, qui dirige Madagascar depuis un siècle. Un texte assez flou où la France a reçu la charge de « présider aux relations extérieures de Madagascar ». Si on ne parle pas encore de protectorat, le terme ne va pas tarder à être revendiqué par le plus ardent des Réunionnais, le député François de Mahy, véritable tête-pensante de cette opération qui va aboutir à la conquête de Madagascar. La reine Ranavalona III est arrêtée en février 1897 par le général Gallieni, la monarchie est abolie et remplacée par une administration coloniale. La pacification de l’Île est cependant loin d’être acquise. Dans la région du Menabe, le royaume des Sakalaves a levé le drapeau de la résistance et il faudra plusieurs mois à la France pour mettre fin à cette rébellion menée par le roi Torea. La ville d’Ambiky est prise d’assaut en août, marquée par un véritable massacre dont le monarque est la victime, décapité dans la foulée. La population entière est passée au fil des baïonnettes des Tirailleurs sénégalais qui répandent la terreur chez les rebelles pris par surprise.
Les rapports de l’époque sont accablants pour l’armée française, mais ils sont soigneusement étouffés par le ministère de la Guerre, qui ne retient que les faits de gloire de ses officiers. L’écrivain et député Paul Vigné d’Octon s’insurge alors, dénonçant publiquement des soldats africains « enivrés par le sang, n’épargnant ni femmes ni enfants » sous le regard complice de leurs supérieurs blancs. Le nombre exact de morts reste un mystère pour les historiens, qui évoquent plusieurs centaines de victimes. À l’époque, ces événements importent peu à la République, seule la victoire compte. « Cette rude leçon a eu un grand retentissement. La prise d’Ambiky a été accueillie favorablement dans la région avoisinante. Torea était un chef redouté, son territoire un refuge pour les malfaiteurs. On peut considérer désormais le Menabe comme pacifié », écrit à ce sujet un très fier capitaine, Augustin Le Dö.
Alors à Morondava, l’explorateur Guillaume Grandidier reçoit « deux têtes d’illustres Sakalaves de la Tsiribihina », parmi lesquelles se trouve celle du roi Torea. Il décide de la rapporter en France, qui s’est prise de passion pour la crânologie. Une fois sur le territoire français, le crâne royal se perd dans les méandres du département des collections d’anthropologie du Muséum d’Histoire naturelle de Paris – mais pas dans le subconscient des Malgaches qui ont été marqués par cette profanation.
Avec la dégradation des relations franco-africaines, l’affaire du crâne du roi Torea devient nationale, et même une promesse de campagne pour la Président réélu Andry Rajoelina (2023) qui peut s’enorgueillir d’avoir fait déjà céder la France en l’obligeant à lui restituer, trois ans auparavant, des objets de la monarchie merina. « Ses descendants ne peuvent célébrer son culte tant que ce crâne n’est pas revenu au pays », déclare alors le chef de l’État. « Un pays qui ne préserve pas son histoire est comme un pays sans âme », ajoute l’ancien disc-jockey qui n’est pas à une revendication près avec la France : il réclame aussi le retour des îles Eparses (les négociations avec la France sont actuellement au point mort).
La demande des Malgaches, envoyée au ministère français de la Culture, s’appuie sur une loi française adoptée en 2023 facilitant la restitution de restes humains collectés dans des conditions jugées indignes. Une commission mixte de chercheurs, historiens et conservateurs des deux pays a été formée pour authentifier le crâne. La Réunion s’est également emparée du dossier, avec Huguette Bello, présidente de la Région, réclamant à tort et à travers que Paris « répare les torts du passé, funeste exemple de l’horreur coloniale ».
Le dossier pourrait trouver un aboutissement pacifique. Plus rien ne s’y oppose puisque le Sénat a adopté une loi qui permet depuis peu d’appliquer une dérogation au principe d’inaliénabilité des collections, prenant le risque que la France doive disperser aux quatre coins de ses anciennes colonies ses trésors, acquis de « manière illégitime, voire violente » comme l’a martelé l’ancienne ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, soutien du texte. Une attente à laquelle la famille royale sakalave espère que le président Emmanuel Macron va mettre fin, grâce à sa repentance à tout-va qui crispe un bon nombre de partis politiques français. « Selon les traditions malgaches, si le corps de notre aïeul n’est pas au complet dans le tombeau, son âme erre sans cesse. Et il ne peut pas accomplir son rôle d’ancêtre protecteur auprès de son peuple et de sa descendance. Un tel retour serait un signe de pardon entre les Malagasy et les Français », assure la princesse Marie-Frania Kamany, citée par RFI. Selon les autorités malgaches, l’annonce pourrait être faite en janvier 2025, au cours du sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Commission de l’océan Indien (COI) à laquelle participera la France. De quoi redorer le blason terni du Président Rajoelina qui cherche à faire oublier le bilan calamiteux de ses années de pouvoir.
L’affaire du crâne du roi Torea illustre les défis complexes liés à la mémoire coloniale et à la réconciliation entre nations. La perspective d’un retour prochain, grâce aux efforts conjoints de Madagascar et des autorités françaises, marque néanmoins une étape symbolique dans le processus de réparation historique. Ce geste attendu pourrait enfin permettre de tourner la page d’un passé douloureux, tout en ouvrant la voie à un dialogue plus serein entre la France et Madagascar sur les questions mémorielles.
Illustration : Rachida Dati a rappelé qu’Emmanuel Macron a fait des restitutions « l’enjeu d’un apaisement des mémoires entre la France et ses partenaires africains » : un crâne contre des îles, cela suffira-t-il ?