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Trump punit l’Inde, alors Modi va se promener en Chine

Rompant avec une politique de l’indo-pacifique, zone géopolitique quasi imaginaire permettant d’intégrer l’Inde dans le grand jeu international de leurs intérêts, les États-Unis précipitent l’Inde dans les bras de la Chine, en prétendant l’empêcher de commercer avec la Russie. Une réconciliation inattendue de deux ennemis de taille.

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Trump punit l’Inde, alors Modi va se promener en Chine

Donald Trump a parfois de drôles d’idées. Depuis des décennies, les États-Unis tentent un rapprochement avec l’Inde. Ce n’était pas chose aisée car l’Inde fut longtemps un partenaire très proche de l’Union soviétique, même si elle n’en partageait guère l’idéologie marxiste. Mais les contraintes géopolitiques ne lui laissaient guère le choix puisque l’Amérique préférait voguer en eaux pakistanaises.

Or, depuis 1947 et l’indépendance de l’Inde et du Pakistan, les deux pays se vouent une haine farouche pour des raisons essentiellement religieuses. Musulmans d’un côté, hindouistes de l’autre, chacun « abritant » une forte minorité de l’autre religion. Les échanges de population qui se produisirent à cette époque donnèrent lieu à des affrontements terribles dont le bilan ne fut jamais connu, mais le minimum est d’un million de morts. Des millions d’hindouistes quittèrent le Pakistan occidental et le Pakistan oriental (le futur Bangladesh) tandis que des millions de musulmans abandonnèrent l’Inde. Le croisement de ces immenses cohortes se fit dans le sang pendant des mois. Il en est resté une animosité que rien n’a apaisée depuis.

L’hostilité permanente entre l’Inde et le Pakistan

Toujours pour des raisons religieuses, la question du Cachemire, au nord-ouest, a également empoisonné les relations indo-pakistanaises. Bien que majoritairement musulman, le Cachemire, dirigé à l’époque par un prince hindou, a choisi de rejoindre l’Inde lors de l’indépendance de 1947. Depuis, les troubles n’ont jamais cessé, en particulier dans la vallée du Cachemire, très majoritairement musulmane. Des mouvements séparatistes ont pris les armes, les uns pour rejoindre le Pakistan, les autres pour arracher l’indépendance.

L’armée indienne fut toujours très présente dans la région et les services secrets pakistanais, fort efficaces, étaient à la manœuvre pour aider les séparatistes. Des conflits ouverts éclatèrent entre les deux pays à trois reprises, en 1947, 1965 et 1999, sans compter celui de 1971 sur l’indépendance du Bangladesh : cette fois c’est l’Inde qui aida les Bangladeshis dans leur quête d’indépendance.

Dans ce contexte, on comprend bien qu’être allié des deux pays en même temps relevait de la gageure. Mais avec la fin de l’Union soviétique et l’effondrement de la Russie des années Eltsine, les Américains comprirent que le moment était venu de faire les yeux doux à l’Inde tout en conservant leurs solides relations avec leur pivot pakistanais. Bien sûr, après le 11 septembre, le soutien actif des Pakistanais aux islamistes afghans, et l’abri offert à Oussama Ben Laden provoquèrent un léger rafraichissement des relations avec l’Amérique. Toutefois celle-ci choisit de fermer les yeux tant cette alliance lui semblait fondamentale. L’Amérique en a attaqué pour moins que ça…

L’affaiblissement gravissime de la Russie inquiéta vivement les dirigeants indiens successifs. La montée en puissance chinoise, observée avec beaucoup de méfiance, n’avait plus de contre-poids et l’approche américaine apparut salutaire. Les relations devinrent alors de plus en plus étroites, surtout lorsque l’Amérique proclama haut et fort que l’ascension chinoise devenait menaçante. Bien sûr, à la suite du redressement de la Russie, l’Inde reprit avec cette dernière les relations commerciales qu’elle affectionnait et acheta massivement du gaz, du pétrole et des armes. Elle appréciait le savoir-faire russe, incontestable dans ce dernier domaine, même si elle avait appris à se diversifier.

L’invention de l’Indo-Pacifique

Pour intégrer davantage encore leur nouvel ami dans leur stratégie, les Américains ont développé le concept, devenu très à la mode, de zone indo-pacifique. Il prit progressivement la place de la zone Asie-Pacifique : le seul objectif consistait à associer l’Inde à une alliance informelle allant du Japon à l’Australie, en intégrant tous les alliés de l’Amérique comme la Corée du sud et les Philippines, tout en essayant de se rapprocher de l’Indonésie, de la Malaisie ou du Vietnam. L’élargissement à l’ouest de la zone Asie-Pacifique pour la transformer en indo-pacifique réjouit plusieurs de ces acteurs, inquiets de la permanente poussée chinoise, même si plusieurs d’entre eux, comme l’Indonésie ou la Malaisie, tenaient à garder de bonnes relations avec l’Empire du Milieu. Tout marchait donc bien, même si, par amitié pour la Russie et par tradition du non-alignement, l’Inde adhéra aux BRICS où la Chine joue pourtant un rôle prépondérant.

Et puis Donald Trump est arrivé avec ses droits de douane. Entendons-nous bien : la situation financière des États-Unis est extrêmement préoccupante, bien plus que ce que l’on dit généralement, et l’idée de gagner beaucoup d’argent avec des droits de douane appliqués unilatéralement à l’ensemble du monde est loin d’être absurde – du point de vue américain bien sûr. Mais ceci doit s’appliquer en tenant compte des intérêts géopolitiques de l’Amérique. Et c’est là que Trump manque de cohérence. Frapper le Brésil, le Vénézuéla ou le Viêtnam avec des taux prohibitifs, pourquoi pas ? Mettre ces droits en suspens pour la Chine, dont l’exportation des terres rares est vitale pour l’armée américaine, relève du bon sens. En revanche, punir l’Inde parce qu’elle importe du gaz et du pétrole russes, qu’elle raffine consciencieusement pour le revendre aux stupides Européens avec une marge très confortable, ne devrait pas déranger l’homme qui méprise l’Europe et discute amicalement avec Vladimir Poutine, lui déroulant le tapis rouge au sens propre du terme et rêvant de faire des affaires avec lui. Pourtant, pour des raisons connus de lui seul, Donald Trump a décidé de punir l’Inde pour ce forfait connu du monde entier depuis au moins trois ans. Il donna l’ordre d’appliquer 50 % de droits de douane à son allié, plutôt fidèle pourtant ces dernières années. Il l’a, au passage, vilipendé brutalement.

Un camouflet pour Modi

C’est peu de dire que le premier ministre indien, Narendra Modi, n’a guère apprécié la séquence. D’autant, mais Trump le savait-il, que Modi met régulièrement en avant dans ses campagnes électorales sa capacité à être ami avec les grands de ce monde, Chine exclue, en particulier les États-Unis et la Russie. Les États-Unis avaient déjà indisposé l’Inde en recevant le chef d’état-major de l’armée pakistanaise à deux reprises au cours de l’été alors qu’au mois de mai une guerre brève mais violente a opposé Indiens et Pakistanais, toujours à propos du Cachemire où des touristes indiens avaient été assassinés par des séparatistes proches du Pakistan.

Modi, comme d’ailleurs l’ensemble de la classe politique indienne, a tellement mal vécu l’ultime camouflet des sanctions qu’il s’est précipité en Chine assister au sommet de l’OCS, l’Organisation de Coopération de Shangaï. Cela faisait plusieurs années qu’il n’avait pas mis les pieds en Chine. Il y fut accueilli à bras ouverts par son ami Vladimir Poutine mais surtout, bien sûr, par Xi Jinping, ravi de l’aubaine. Ce sommet fut une réussite éclatante pour le dirigeant chinois qui a accueilli plus d’une vingtaine de chefs d’États et de gouvernement et a appelé à « unir les forces du Sud global. » La cerise sur le gâteau fut donc la présence de Modi.

La réconciliation de la Chine et de l’Inde n’était vraiment pas à l’ordre du jour. En 2020, leurs armées se sont affrontées sur les hauteurs du Ladakh, leur frontière commune, entraînant la mort de vingt soldats indiens, le bilan étant inconnu côté chinois. Ce vieux contentieux frontalier n’est pas réglé, mais devant l’humiliation subie par l’Inde, il est manifestement passé nettement en arrière-plan. Un journal anglais a affirmé que Trump avait tenté de joindre Modi avant la réunion de l’OCS et que le dirigeant indien avait refusé de le prendre au téléphone. On ne sait si c’est vrai mais personne n’a démenti. Ce qui est sûr, c’est qu’en quelques semaines Trump a durablement abîmé la relation de l’Amérique avec l’Inde faisant ainsi la joie de son grand ennemi, la Chine.

 

Illustration : 25 septembre 2025, le Premier ministre indien et le vice-Premier ministre russe. Une poignée de main garanti sans Trump.

 


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