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Soudan : une guerre de pouvoir aux enjeux mondiaux

Le Soudan est en proie à un conflit meurtrier entre le général Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée, et Mohamed Hamdan Dogolo, dirigeant des Forces de soutien rapide (FSR). Cette lutte de pouvoir, amplifiée par des influences étrangères et des intérêts économiques, s’inscrit dans un jeu géopolitique complexe.

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Soudan : une guerre de pouvoir aux enjeux mondiaux

L’Afrique est riche de son histoire, façonnée par ses divers royaumes et ses nombreux empires, par ses dynasties conquérantes qui ont traversé les siècles, laissant derrière elles un héritage fabuleux. Mais c’est aussi un continent continuellement marqué par la tragédie et frappé du sceau du sang.

Traversé par deux confluents du Nil, blanc et bleu, le Soudan est au carrefour de toutes les attentions géopolitiques. Terre des pharaons noirs de Koush, longtemps chrétienne, l’islam s’y est peu à peu imposé vers 1500, avant que l’ancienne Nubie ne soit occupée à nouveau par l’Égypte deux siècles plus tard. La révolte djihadiste du Mahdi Muhammad Ahmad (1891-1899) va poser les jalons du nationalisme soudanais, opposé à la monarchie égyptienne et à ses alliés britanniques. Ce n’est qu’en 1956 que le Soudan accède enfin à l’indépendance. Une république qui va rapidement sombrer dans l’instabilité, entre conflits entre musulmans et chrétiens sur fond de guerre froide et putschs en tout genre. En 2011, le Sud chrétien obtint finalement le droit de faire sécession, assumant de prendre son destin en main et privant de facto le reste du Soudan de « 75 % de ses réserves pétrolières ».

L’ascension de Dogolo

La chute du général Omar el-Béchir en 2019, après 30 ans de pouvoir sans partage, laisse le nord du Soudan dans une situation inquiétante, et un siège vacant, objet de toutes les ambitions. Pour faire face à la crise économique et pallier la fin des subventions jusqu’ici pourvues par le Fonds monétaire international (FMI), le nouveau gouvernement, composé de militaires et de civils, est contraint de mettre en place des mesures d’austérité rapidement impopulaires, générant un mécontentement général. Une tentative de coup d’État en 2021 va fragiliser encore plus davantage les institutions d’un pays pointé du doigt par la communauté occidentale qui exige le retour à la démocratie.

Le général Abdel Fattah al-Burhan est l’actuel dirigeant du Soudan. L’homme traîne derrière lui une réputation d’officier froid et calculateur. C’est lui qui a fait échouer le dernier putsch et organisé une répression féroce des manifestations pacifiques dans les rues de Khartoum, la capitale. Très proche de la mouvance islamique, notamment des Frères musulmans et de l’Iran, il n’a pas hésité à conclure récemment des accords avec Moscou, autorisant le déploiement d’une base militaire russe à Port-Soudan (comprenant quatre navires de guerre, y compris des navires à propulsion nucléaire) et l’installation de mercenaires de la société Wagner. Pour le Kremlin, cette base revêt un intérêt stratégique, car elle lui permettrait d’avoir un accès au canal de Suez et d’étendre ainsi son influence sur la mer Rouge.

Ses rapports avec le général Mohamed Hamdan Dogolo, chef des Forces de soutien rapide (FSR) et vice-président, se sont rapidement tendus à l’aube de discussions sur l’organisation d’élections multipartites. La milice paramilitaire de Dogolo, autorisée à assurer le maintien de l’ordre, s’est tristement illustrée dans la guerre au Darfour (région de l’ouest du Soudan), accusée de graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme, de viols et de massacres. Elle a même participé à la dispersion d’une manifestation lors du putsch de 2019, causant la mort de 100 personnes. Dogolo n’est pas un enfant de chœur. Entre les deux hommes, une rivalité sous-jacente pour le contrôle de l’État et de ses richesses s’est installée. Lorsqu’Abdel Fattah al-Burhan décide d’incorporer les FSR dans l’armée nationale afin de juguler cette puissance montante, Mohamed Hamdan Dogolo refuse d’obtempérer et comprend qu’il n’obtiendra pas la place de choix qu’il ambitionnait dans l’état-major.

Les crispations ne cessent de croître. Le rapprochement de Dogolo avec la Russie, le soutien affiché des Émirats arabes unis (EAU) au vice-président, ses actes de prédation sur les mines d’or du pays, sa campagne de communication pour redorer son image et ses revirements sur le putsch de 2021 alertent le général Abdel Fattah al-Burhan, qui met en garde son rival. Le 12 avril 2023, les FSR se déploient sans autorisation autour de Khartoum et Merowe. L’escalade armée est inévitable, les affrontements violents éclatent.

Trump bouleverse le jeu

Chaque camp aligne ses soutiens. Le général Abdel Fattah al-Burhan bénéficie de l’appui des États-Unis (80 % de la gomme arabique mondiale est produite dans le pays, ingrédient principal de la recette de la boisson Coca Cola), de l’Égypte, de l’Iran et des groupes rebelles du Darfour (aujourd’hui accusés d’opérer un nettoyage ethnique contre des populations hostiles aux arabes et de pratiques esclavagistes). Son concurrent, lui, peut compter sur le soutien des EAU (qui lui auraient fourni « une technologie militaire de fabrication française », selon Amnesty International), de l’Éthiopie, de la Libye du maréchal Haftar et possiblement du Tchad (qui viserait à récupérer des territoires). Le conflit russo-ukrainien s’invite également dans cette guerre. Selon le Kyiv Post et la chaîne américaine CNN, vidéos à l’appui, « les services spéciaux ukrainiens seraient probablement à l’origine d’une série de frappes de drones près de Khartoum » et agiraient contre les forces de Wagner, soutiens du FSR. Des hommes des forces spéciales ukrainiennes seraient même présents dans la ville d’Omdourman, ancien terrain d’affrontements entre les Britanniques et les mahdistes. Une guerre oubliée des médias occidentaux qui a provoqué une famine dans plusieurs régions du Soudan, « théâtre d’une urgence humanitaire d’une ampleur effroyable », selon Tom Fletcher, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’ONU.

L’avantage semble pencher aujourd’hui en faveur des FSR, qui contrôlent 90 % de Khartoum et quatre des cinq capitales du Soudan. Ironiquement, son chef se pose en « défenseur de la démocratie » en dépit des accusations d’enlèvements, de viols sur enfants et de mariages forcés portées contre ses partisans. Le général Abdel Fattah al-Burhan a dû quitter la capitale pour se réfugier à Port-Soudan et a miraculeusement échappé à une attaque au drone en juillet 2024. Avec la guerre qui se poursuit, le bilan humain est tragique (entre 20 000 et 150 000 tués), le patrimoine culturel victime d’un pillage intensif, et les trésors antiques du Soudan revendus aux plus offrants. Aucun des deux belligérants ne semble prêt à faire des concessions pour ramener la paix dans le pays. 700 000 personnes ont été déplacées depuis le début de ce conflit, qui menace désormais de déstabiliser le Soudan du Sud, lui-même confronté à de fortes tensions politiques et à un conflit armé intérieur.

Une guerre qui pourrait toutefois prendre un tournant inattendu avec le retour au pouvoir du président Donald Trump. Le département du Trésor américain a pris des sanctions à la fois contre Abdel Fattah al-Burhan, pour avoir « déstabilisé le Soudan et compromis l’objectif d’une transition démocratique », et contre Mohamed Hamdan Dogolo, accusé par l’administration républicaine d’avoir orchestré un « génocide » et de vouloir mettre en place un gouvernement parallèle, actant une nouvelle partition du Soudan. La Russie, elle-même, pourrait changer de stratégie et s’aligner sur son allié iranien afin de mieux reprendre les activités lucratives de Wagner sous son contrôle. Une position ambiguë scrutée par la communauté internationale impuissante à régler le conflit. Mais entre ambitions politiques, enjeux économiques et désastre humanitaire, aucune issue pacifique ne semble se dessiner au Soudan. 

 

Illustration : Avec la reprise de Khartoum, le général al-Burhan s’avance tranquillement vers le pouvoir suprême.

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