Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Géo-politique. Derrière les mots de bilatéralisme et de multilatéralisme, se cachent des luttes d’influence qui peuvent devenir terribles.
Le 24 septembre, dans un discours prononcé d’une voix grave et calme, le président Trump s’est expliqué devant l’assemblée générale des Nations unies : « Nous rejetons l’idéologie du globalisme et nous embrassons la doctrine du patriotisme ». « L’Amérique choisira toujours l’indépendance et la coopération plutôt que la gouvernance globale, le contrôle et la domination ».
Après lui, dans un état d’extrême excitation, le président de la République française martèle des incantations incongrues, en frappant le pupitre de ses petits poings rageurs : « La France sera là pour rappeler au monde que le fracas des nationalismes conduit toujours vers l’abîme ».
Trump s’adresse aux Américains qui l’écoutent et attendent de lui qu’il les défende, America first, c’est son job après tout. Trump vante les résultats de son administration ; l’assemblée rit ; il s’en amuse ; la presse parisienne jubile : Trump est la risée du monde ! Mais Trump est puissant et le monde le sait. Et voici que Macron proclame : « Je viens d’un pays qui a fait beaucoup d’erreurs, beaucoup de mauvaises choses ». Mais de quoi parle-t-il ? Qui est-il pour humilier la France que les puissances d’argent lui ont livrée et qu’il veut fusionner dans un Reich européen ? Imagine-t-on Poutine cracher ainsi sur les Russes, Merkel sur la Prusse, Rohani sur les Perses ? Non, Macron ne fait pas rire à l’assemblée générale des Nations-unies.
Pire, il dénonce « la loi du plus fort », « la voie de l’unilatéralisme qui nous conduit au repli et au conflit ». Au delà de ces mots vides de sens, « repli », « unilatéralisme », c’est là une immense hypocrisie qui ne fait décidément rire personne dans l’auditoire où le souvenir des bombes françaises sur Belgrade, Bagdad, Tripoli ou Damas et de l’immense gâchis à Kaboul est vivace. Toutes choses que Macron et ses protecteurs n’ont pas dénoncées comme « leurs erreurs…, de mauvaises choses » ?
S’agissant de la Cour pénale internationale, Trump déclare : « Nous n’abandonnerons jamais la souveraineté des États-Unis à une bureaucratie mondiale non élue et non responsable». Sur le commerce et les « intolérables distorsions du marché chinois »…, « l’Amérique agira toujours dans son intérêt national ». C’est clair.
Au contraire, Macron, valet de la « fortune anonyme et vagabonde », chantre du nomadisme et du citoyen hors-sol, fustige « un traitement bilatéral de nos différents commerciaux » et « un nouveau protectionnisme ».
Pourtant, il faut nous défendre de mauvais produits, fabriqués sans respect de l’environnement par des malheureux sans protection sociale et importés par des trafiquants sans scrupules dans une Europe sans frontières. Il faut aussi nous défendre de cette déportation massive par d’autres trafiquants, armateurs de bateaux négriers en Méditerranée, qui vident l’Afrique des forces vives dont elle a besoin, avec la connivence d’employeurs qui les utilisent pour tirer les salaires vers le bas et d’idéologues qui croient submerger ainsi les fondements spirituels de l’Europe.
Oui, les peuples, nous aussi, avons besoin de protection, même si ce protectionnisme réduit les marges des multinationales. On ne peut pas appliquer les mêmes règles commerciales à la Chine, au Mali, à l’Allemagne ou au Canada. Nos différents commerciaux exigent un traitement bilatéral. Même le CETA, sinon c’est n’importe quoi !
Une semaine avant les jacasseries pathétiques de Macron sur le multilatéralisme – n’est pas Talleyrand qui veut –, la Russie et Israël donnait une leçon magistrale de bilatéralisme dans une affaire dramatique qui aurait pu encore s’aggraver. La nuit du 17 septembre un missile syrien abattait un Illiouchine 20, quadrimoteur de surveillance des forces russes, près de Lattaquié ; Les 15 membres d’équipage étaient tués. Juste avant, quatre chasseurs israéliens avaient frappé un dépôt d’armements « destinés au Hezbollah », paraît-il. Un défaut de coordination de leur centre d’opération qui avait prévenu tardivement les Russes sans localiser précisément les avions, n’a pas permis d’éloigner l’Illiouchine de la zone d’attaque. La DCA syrienne en surchauffe a envoyé un missile sur l’avion russe pris pour un chasseur israélien. Il n’y a pas ici de provocation ou, comme un communiqué russe l’a prétendu, de manœuvre des pilotes israéliens pour se masquer derrière l’avion russe, techniquement impossible, tactiquement dangereux. Il s’agit bien d’une accumulation d’erreurs et de déveine.
Quoiqu’il en soit, malgré l’embarras des deux parties qui conforte la thèse d’un accident, les Russes ont décidé la livraison aux Syriens des redoutables missiles S300, naguère suspendue sur demande israélienne. Ils seront synchronisés avec les systèmes de défense des Russes qui, en clair, en auront le contrôle. Tsahal devra se méfier !
Plus au Nord, la poche d’Idlib, envahie par l’armée turque, refuge des derniers islamistes, constitue un baril de poudre et un abcès inacceptable pour la Syrie. En France les imbéciles relancent des menaces de frappes en cas d’attaque chimique par Assad et à Idlib les islamistes préparent les montages vidéo qui permettront d’y faire croire.
Las, Poutine a anticipé ; autour de la poche d’Idlib il vient de signer chez lui un accord avec Erdogan. Une zone tampon autour de la poche d’Idlib va être démilitarisée et les voies de communication réouvertes. Cet accord bilatéral – encore un, Monsieur Macron ! – est issu du processus de Sotchi que le quai d’Orsay voulait torpiller au bénéfice de celui de Genève, piloté par « les pays-des-droits-de-l’homme ». C’est raté, et M. Le Drian ne peut rien faire d’autre que louer cette « désescalade » avec son homologue turc.
Il manque à la France un chef à la hauteur de sa politique. Trump ou Poutine qui, indépendamment de l’enthousiasme ou de l’aversion qu’ils suscitent, sont, eux, de vrais chefs d’État. À leur manière. Certes, pas pour nous, mais pour leur pays.