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L’esclavage par ascendance, une réalité toujours vivante

L’esclavage par ascendance, encore présent dans certaines régions d’Afrique, désigne une forme d’asservissement héréditaire où des individus naissent esclaves en raison de leur origine familiale. Malgré son abolition officielle, cette pratique persiste dans l’indifférence générale et loin de la bien-pensance occidentale.

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L’esclavage par ascendance, une réalité toujours vivante

Alors que l’humanité a universellement condamné l’esclavage comme une abomination du passé, il subsiste, dans certaines régions d’Afrique, une forme ancienne, pernicieuse et méconnue : l’esclavage par ascendance. Héritée des pratiques esclavagistes précoloniales et coloniales, cette forme d’asservissement perdure de manière informelle mais brutale, enfermée dans des dynamiques sociales, religieuses et communautaires où l’individu naît esclave parce que ses ancêtres l’étaient.

Avec les débuts du commerce triangulaire, ce sont des millions d’Africains qui sont arrachés à leur terre natale pour être envoyés dans les plantations des Amériques. Une pratique dénoncée par les associations abolitionistes durant des années et qui va finir par provoquer une violente guerre civile entre le sud et le nord des États-Unis. Au cours du XIXe siècle, les nations occidentales finissent par l’abroger. Mais bien avant la traite transatlantique qui va faire la fortune de familles et de certains ports maritimes, l’esclavage existait déjà sur le continent africain, notamment dans les sociétés précoloniales.

Entre le VIIe et le XIXe siècle, la traite orientale, puis la traite transatlantique, intensifient la demande d’esclaves africains. Des dizaines de royaumes comme le Dahomey (Bénin), l’Oyo (Nigeria) ou l’Ashanti (Ghana) participent à la capture de leurs congénères et à la vente de millions de personnes, parfois contre des armes, de l’alcool ou des biens manufacturés échangés avec les « blancs ». L’esclavage devient un pilier économique pour plusieurs États africains comme ceux des sultanats de Sokoto ou de Zanzibar, vastes marchés de captifs à ciel ouvert. Le djihadisme foulani en Afrique de l’Ouest, à l’époque où Napoléon Ier devient empereur des Français, va d’ailleurs renforcer le commerce de l’esclavage pour qui refuse la nouvelle tutelle dominante.

Une assignation quasi génétique

La colonisation de l’Afrique par les grandes puissances européennes (France, Royaume-Uni, Belgique, Allemagne ou Portugal) achève de mettre fin à ce commerce inhumain comme celui de la traite blanche organisée par les États barbaresques. Du moins officiellement, car dans les faits, à l’ombre des autorités coloniales, les pratiques d’esclavage vont perdurer, notamment sous une forme héréditaire.

C’est sous le terme « d’esclavage par ascendance » (ou de caste) que l’on désigne ce phénomène peu évoqué en Europe. Il trouve ses racines dans les structures sociales anciennes et les hiérarchies traditionnelles, au sein de certaines sociétés africaines, comme chez les Soninkés, les Peuls ou les Touaregs, souvent localisées dans des régions rurales, isolées ou soumises à un fort conservatisme coutumier. La stratification y est rigide : nobles, gens libres, artisans, griots, esclaves. Ces hiérarchies sont parfois justifiées par des récits religieux ou mythologiques. Dans certaines communautés, cette assignation est d’ailleurs quasi génétique : les « castes » esclaves sont cantonnées à des tâches subalternes, ostracisées socialement, privées d’accès au mariage avec les classes dites libres, et exclues de la terre ou de l’héritage.

« Le phénomène d’esclavage par ascendance est très répandu dans la région sahélienne, c’est un phénomène qui est très présent dans les sociétés sahéliennes, mais également dans les sociétés côtières », explique, amer, Ousmane Diallo, chercheur à Amnesty international, interrogé par la BBC. C’est le cas des Haratines de Mauritanie, ces Africains noirs qui peinent à faire entendre leur voix dans une société dominée par les les Beidanes arabo-berbères. Une réalité pour plusieurs milliers de personnes en dépit du décret d’abolition de l’esclavage en 1981, puis de sa criminalisation en 2007 dans le pays. Ils peuvent être contraints à travailler sans aucun salaire, interdits d’accéder à la propriété, et vivre sous le joug de familles « maîtresses » (dites) maures blanches. Des ONG comme Anti-Slavery International ou IRA Mauritanie dénoncent régulièrement les violences, les viols et l’impossibilité de s’émanciper pour ces populations.

On naît encore esclave

Dans le nord du Mali, les Bellahs noirs sont les descendants d’anciens esclaves des Touaregs. Malgré l’interdiction de l’esclavage en 1905 par les autorités coloniales françaises, ils restent discriminés et subissent encore des formes de dépendance féodale. Sans réelles protections juridiques, les Bellahs sont souvent assignés à des tâches agricoles ou domestiques, sans aucune reconnaissance de leur liberté individuelle, certaines femmes servant de jouet sexuel. Certains tentent bien de fuir au risque de se faire rattraper et encourir de violentes représailles. Toute forme de remise en question est irrémédiablement stoppée, ceux qui osent résister sont assassinés, comme Diogou Sidibé en juillet 2022 qui avait osé revendiquer son droit à exploiter son champ agricole. Une situation qui a pourtant été dénoncée par des influenceurs qui ont vainement lancé la campagne « Mali sans esclaves » et qui rappellent que leur pays est signataire de plusieurs conventions contre l’esclavage. Loin de minimiser ce phénomène, les gouvernements se réfugient, quant à eux, derrière les traditions, ce cocotier qu’ils n’entendent pas secouer, au nom de la cohésion ethnico-sociale.

En 2008, un jugement historique a condamné un homme pour avoir réduit une femme à l’esclavage dans le nord du Niger. Cette affaire, relayée par la BBC et Amnesty International, a révélé l’existence de milliers de personnes réduites à l’état de servitude héréditaire dans cette partie de l’Afrique sub-saharienne. Une enquête qui a démontré que des filles, souvent juvéniles, pouvaient être offertes à des familles de maîtres, en tant qu’« wahaya » (épouses esclaves, aussi appelées « sadaka » en haoussa), sans droits ni émoluments, souvent utilisées à des fins sexuelles. Une manière même de contourner la loi islamique qui n’autorise que quatre épouses, créant ainsi de véritables harems d’esclaves. Car, selon la croyance toujours bien établie dans cette partie de l’Afrique, on naît encore esclave, non parce qu’on a été capturé, mais parce que ses ancêtres l’étaient. Pourtant, cette ancienne colonie française a également aboli l’esclavage en 1960, lors de son indépendance, sans véritablement faire appliquer les lois votées dans ce sens, avec une justice parfois complice. Peu aidés, des militants, des ONG et des survivants continuent de lutter, au péril de leurs vies, afin de faire interdire l’esclavage par ascendance.

En 2025, à quelques heures de vol de Paris, des hommes, des femmes, des enfants sont considérés comme du bétail, vendus, achetés ou échangés. Le tout, au nom d’une tradition d’ascendance que le monde occidental refuse de nommer ou de regarder en face, préférant à la lumière de la réalité, l’obscurité d’œillères bien-pensantes sur fond de postures à géométrie variable. Une véritable tragédie humaine, une autre réalité de l’Afrique.

 

Illustration : Le Mali, musulman à 95 %, n’a toujours pas adopté une législation efficace contre l’esclavage par ascendance.

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