Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Le 26 juillet 2022, le président Emmanuel Macron a effectué une visite de quatre jours en Afrique. L’occasion pour le dirigeant français de rappeler que ce continent, confronté à de multiples crises, reste une priorité de l’Élysée. Un déplacement qui n’a toutefois pas fait l’unanimité parmi les Africains, agacés par la condescendance affichée du dirigeant français.
Cameroun, Bénin et Guinée-Bissau sont les différents pays africains qu’Emmanuel Macron avait décidé de visiter entre le 26 et le 28 juillet, trois mois après sa réélection comme président de la République française. Un voyage sous le sceau de « la continuité et la constance de l’engagement du président de la République dans la démarche de renouvellement de la relation avec le continent africain » comme le précise le palais de l’Élysée sur son compte Twitter. Mais aussi une véritable course contre la montre pour Emmanuel Macron qui tente de sauver ce qui reste encore d’influence française sur le continent africain, sous les assauts permanents de la Russie, la Chine, l’Inde ou même de l’Allemagne dans les secteurs économiques et militaires.
Pour son premier discours prononcé au Cameroun, première étape de son voyage officiel, Emmanuel Macron a fait fi de l’art de la diplomatie. Offensif, il n’a pas hésité à dénoncer « l’hypocrisie » des pays africains qui soutiennent la Russie de Vladimir Poutine, vague allusion détournée au récent accord de défense signé entre Yaoundé et Moscou en avril dernier. Au Bénin, Emmanuel Macron a réitéré ses propos, critiquant une « présence hybride » en Afrique, pointant du doigt la présence des mercenaires russes du groupe Wagner qui ont remplacé les Français au Centrafrique et au Mali, appelant les différents pays africains concernés à ne pas croire les « contrevérités propagées par la Russie » et tentant de les convaincre de soutenir l’Ukraine. Le président français a averti : il ne lâchera aucun kilomètre carré aux Russes et entend réinventer le dispositif militaire français en Afrique. C’est d’ailleurs ce dernier point qui a été abordé en Guinée-Bissau, à la tête de la présidence de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), son dernier déplacement. « Nous avons longuement évoqué le risque de déstabilisation que la situation au Sahel fait porter sur l’ensemble de la région de l’Afrique de l’Ouest et j’ai réitéré au Président [Umaro Sissoco Embalo], la détermination de la France, d’abord à rester engagée au Sahel et dans toute la région, mais aussi à changer sa doctrine » a déclaré le président français lors de sa dernière étape dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest, plaque tournante du narcotrafic. Une pique volontairement lancée à l’attention de la junte malienne qui a récemment mis fin aux activités de l’opération Barkhane mise en place par la France afin de stopper l’avancée des djihadistes islamistes vers Bamako, la capitale, en 2014.
Une fois les discours passés et les manifestations de joie savamment orchestrées dans la plus grande tradition françafricaine, le déplacement d’Emmanuel Macron n’a en réalité provoqué aucune euphorie sur le continent. Bien au contraire. Sur la toile, les Africains se sont irrités « de ses leçons de morale et de son mépris constant » envers l’Afrique. Au Cameroun, dirigé d’une main de fer par Paul Biya depuis 40 ans, certains ont remarqué le soin avec lequel le président français a évité les sujets polémiques comme le manque d’alternance politique ou les atteintes aux droits de l’homme régulièrement dénoncées par les ONG. Il n’a pas daigné rencontrer les leaders de l’opposition qui ont fait part de leur mécontentement, évoquant un vrai « dédain » de sa part. « Ce truc-là mal élevé, qui énerve tout le monde, est-il vraiment digne de parler aux Africains ? » s’est demandé Banda Kanu, président du parti Nouveau Mouvement Populaire (NMP) sur le plateau de Média Afrique TV, avant de publiquement traiter le président français de « vaurien arrogant ». En qualifiant Moscou de « dernière puissance impériale coloniale », Emmanuel Macron a lancé une valse de commentaires contre lui sur les réseaux sociaux. « Qui maintient des dictateurs au pouvoir en Afrique depuis 50 ans ? » lui a rappelé, énervé, un internaute.
Au Bénin, les poignées de main et sourires de circonstances n’ont pas effacé les irritations très perceptibles de certains officiels locaux. C’est d’ailleurs la seule image de cette visite qui est restée ancrée dans tous les esprits. Dans une vidéo devenue virale et très commentée, on voit le ministre béninois des Affaires étrangères, Aurélien Agbenonci, s’approcher du président français alors qu’il est en plein discussion avec son homologue, le président Patrice Talon. Se voulant chaleureux, Emmanuel Macron l’accueille en lui tapant l’épaule avant que le ministre ne montre son agacement en nettoyant son épaule du bout des doigts. Sur les réseaux sociaux, Aurélien Agbenonci est devenu une star pour de nombreux Africains qui l’ont félicité d’avoir « humilié » ce président français « qui essaye toujours d’établir sa supériorité en traitant les autres comme des enfants » ainsi que le rapporte Andalou Agençy (AA). Si les médias français se sont bien gardés de diffuser la vidéo, elle est pourtant devenue un des trends les plus regardés et commentés sur Twitter, contraignant le ministre à affirmer que le président français lui avait montré une poussière sur son costume, dont il s’était promptement débarrassée. Vraie ou fausse excuse diplomatique, le geste est devenu le symbole d’une Afrique qui manifeste régulièrement son rejet de la France. Une France qui voit son pré carré se réduire inexorablement ; une influence dont le déclin s’est accentué depuis le dernier coup d’État au Mali en mai 2021.
La junte militaire au pouvoir a d’ailleurs vertement critiqué les discours d’Emmanuel Macron et l’a exhorté « d’abandonner définitivement sa posture néo-coloniale, paternaliste et condescendante », traduisant une nouvelle fois cette incompréhension persistante entre la France et ses anciennes colonies. « La Françafrique vit une période d’instabilité profonde. Rongée par la corruption de ses élites, minée par une grogne sociale sans réponse, lassée d’une relation incohérente avec Paris qui peut se montrer intransigeant sur le respect des droits fondamentaux avec certains et abandonner toutes valeurs pour rester aux côtés de certains dictateurs installés à vie dans un simulacre de démocratie qui ne peut pourtant tromper personne » et que les nouvelles générations d’Africains ne veulent plus voir, résume La Libre Afrique, à propos de ce voyage présidentiel. Une visite dont le résultat reste en demi-teinte, loin des reportages dithyrambiques qui lui ont été consacrés par les chaînes françaises, et qui risque de conforter la vague d’enthousiasme que suscite la Russie dans les milieux politiques africains.
Illustration : Paul Biya, président du Cameroun, totalement séduit par Emmanuel Macron et ses leçons de politique intérieure.