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Le politique et la technocrate

Trump a décidé que son mandat l’obligeait vis-à-vis de ses compatriotes. Ursula von der Leyen a décidé que le sien l’obligeait vis-à-vis des financiers qu’elle sert, qui ont fétichisé le « libre-échange ». Ce sont tous les Européens qui sont d’ores et déjà victimes d’une idéologie utopique et de gouvernants aveuglés par un unionisme coupé du réel.

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Le politique et la technocrate

Fin juillet, le président des États-Unis et la présidente de la Commission européenne ont signé un « accord » sur les droits de douane réciproques applicables entre les deux entités qu’ils représentent. Ce traité a donné lieu à de nombreuses réactions, aussi bien raisonnées qu’épidermiques, et plus financières qu’économiques ou politiques. Cet accord est-il un « bon accord » ? Pour qui ? Il semble désormais nécessaire de prendre un peu de recul pour essayer de voir, au-delà des conséquences plus ou moins immédiates, ce que cet accord révèle et en quoi il est ou non porteur d’avenir.

Les causes de la négociation

Pour expliquer l’action assez brusque qu’il mène depuis sa réélection, il faut comprendre l’analyse qui a conduit le président Trump aux diverses manœuvres qu’il a entreprises. En arrivant une seconde fois au pouvoir, il a d’abord constaté que son pays, perméable aux migrants venus notamment du Sud, était entravé par un nombre important de chômeurs qui, ayant des difficultés à vivre, maintenaient dans le pays un état d’esprit morose et pesaient lourdement sur l’essor économique. Parallèlement, il a constaté que la politique menée depuis cinquante ans et qui consistait à permettre au pays de consommer plus qu’il ne produisait grâce à la toute-puissance du dollar et la liberté absolue du commerce, avait conduit à une situation ingérable, le taux d’endettement du pays obérant gravement toute initiative politique1. Enfin, il a constaté que ses principaux alliés avaient largement profité de la supériorité militaire des États-Unis pour restreindre fortement leurs dépenses régaliennes (notamment de défense), pour accroître leurs propres productions industrielles et concurrencer ainsi fortement l’économie du pays. Son souci majeur étant de protéger la population qui l’avait élu, il a décidé de s’attaquer à ce qu’il a considéré comme étant la racine du mal : le déséquilibre économico-financier inhérent au modèle économique qui prévaut dans le monde actuel, modèle qui avait permis aux États-Unis de s’imposer comme le chef du monde dit libre au siècle dernier mais qui a fini par se refermer sur eux comme un piège.

Depuis le début de sa campagne électorale, il s’était toujours montré comme un homme d’affaires pragmatique, essentiellement préoccupé de la prospérité de son pays et n’ayant que peu d’appétence pour les idéologies quelles qu’elles soient. C’est dans ce contexte qu’il a décidé de négocier au coup par coup avec chacun de ses partenaires des accords plus équilibrés en appliquant brutalement sa méthode de négociation d’entrepreneur immobilier : on annonce à la partie adverse un objectif irréaliste que nul ne peut accepter, on fait ensuite souffler le chaud et le froid par des annonces exagérées et contradictoires ayant pour but de déstabiliser celui avec qui on négocie et on arrive ensuite à sembler faire des concessions en proposant ce qui était véritablement l’objectif d’origine, soigneusement caché… comme par un joueur de poker !

La fin du libre échange

Dans le cadre de l’accord signé avec l’Union européenne en juillet, il a strictement appliqué sa stratégie – stratégie qui semble plus difficile à appliquer dans les relations avec la Russie, car le président Poutine, en bon joueur d’échecs, est nettement moins sensible aux effets d’annonce.

Nouvel Horace face aux Curiace, en choisissant de négocier avec chacun de ses partenaires pris isolément, le président Trump a porté un coup fatal à l’idéologie libérale sur laquelle reposent, depuis le traité de Maastricht, les « valeurs » européennes. Bâties sur un libre-échange, généralisé entre toutes les nations du monde, ayant tourné le dos à toute « préférence communautaire », elles mettent en avant les quatre libertés fondamentales que forme la libre circulation des biens, des services, des hommes et des capitaux. C’est en vertu de ces quatre libertés que n’importe quel consommateur installé dans n’importe quel pays européen peut avoir accès à n’importe quel produit ou service originaire de n’importe quel point du globe. Dans la course à la vente, ce mécanisme a été à l’origine de toutes les délocalisations – génératrices de chômage dans les pays où la protection sociale était la plus élevée – et de la dégradation sournoise de la qualité des produits vendus – les normes de sécurité n’étant pas de même niveau dans tous les pays2.

Les États-Unis, pays riche, ont longtemps profité des biens et services en provenance de l’étranger et d’une main-d’œuvre bon marché sur leur sol. Le dollar étant la monnaie de réserve, ils ont pu en créer autant que nécessaire pour consommer au-delà de tout besoin, jusqu’à ce que ceux qui les détenaient finissent par s’apercevoir qu’ils n’avaient en fait plus aucune valeur intrinsèque. Les dettes américaines en dollars ont atteint un tel niveau que les prêteurs potentiels n’ont plus confiance en la valeur de la monnaie étalon et demandent désormais des taux insupportables… mais continuent à en accumuler faute de pouvoir les recycler. Pour rétablir la situation dans son pays, le président Trump a donc notamment décidé de faire chuter la valeur du dollar, d’imposer à ses alliés des achats contraints et d’augmenter les droits de douane sur les biens et services importés – quitte à faire baisser la consommation.

La nature de l’Union européenne

En face, pour négocier, les Européens ont remis leur avenir économique entre les mains d’une technocrate dont la seule préoccupation est de maintenir les « valeurs » du libre-échange. Dans un monde surmédiatisé, du moment qu’au regard de l’opinion publique l’accord avec les Américains paraît être plus intéressant que ce qu’il aurait pu advenir si le président Trump avait mis en œuvre les mesures invraisemblables claironnées pendant la prétendue négociation, elle pouvait proclamer que l’accord est bon. On dit que le président américain aurait de son côté officiellement regretté que les Européens n’aient rien négocié, n’aient fait aucune contreproposition et aient facilement capitulé.

Pour faire bonne mesure, il en a profité pour faire intégrer dans l’accord l’obligation pour l’Union européenne d’acheter du gaz naturel liquéfié américain (plutôt que russe, pourtant moins cher et moins polluant), d’investir dans des industries américaines et d’acheter du matériel militaire américain. La présidente de l’Union européenne n’avait aucun pouvoir et aucun mandat pour signer ces derniers engagements mais, trop heureuse de pouvoir afficher que les droits de douane imposés par le président américain étaient très largement inférieurs à ceux annoncés en cours de discussion et qu’ils étaient supportables par l’industrie automobile allemande, elle a tout accepté. Les pouvoirs publics des États membres de l’Union ont protesté contre cet « accord honteux », mais aucun d’entre eux n’a, pour l’instant, annoncé qu’il ne le ratifierait pas, ayant trop peur (?) d’être accusé de torpiller « l’Europe ».

Mais faut-il vraiment en accuser uniquement Madame von der Leyen ? Dans cette négociation, il y avait face à face le président légitimement élu d’un pays puissant dans lequel il a la responsabilité du bien commun et la présidente d’un agglomérat de pays aux intérêts divergents et n’étant unis par aucun principe fédérateur (depuis qu’ils ont refusé leurs « racines chrétiennes »). Ursula von der Leyen, ne représentant pas une nation, ne peut défendre qu’une opinion particulière, voire une idéologie, alors que Donald Trump, président d’un État, a été investi du pouvoir d’en défendre les intérêts pratiques. La technocrate n’a derrière elle aucune force organisée et indépendante pour faire valoir son point de vue – pas même une unité de vue et d’intérêts entre les divers pays qu’elle est censée représenter – alors que le président américain peut s’appuyer sur un État puissant, notamment sur les plans technique, économique et financier, et sur l’armée la plus forte du monde. Dès lors, si les États membres de l’Union européenne considèrent que cet accord n’est pas conforme à leurs intérêts personnels, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes dans la mesure où ce sont eux qui ont abdiqué leur souveraineté entre les mains de la représentante d’une entité artificielle… laquelle ne se prive pas d’outrepasser ses pouvoirs sans que personne ne le lui reproche sérieusement.

 

1. Au 31 juillet 2025, la dette brute des États-Unis dépassait 37 000 milliards de dollars et les intérêts dus pour les sept premiers mois de l’année s’élevaient déjà à plus de 1 000 milliards !

22. Les tribulations de la loi Duplomb n’étant qu’un petit exemple parmi de nombreux autres.

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