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Le néocolonialisme de la ChinAfrique

Afrique. Le dynamisme de la politique chinoise en Afrique a pris au dépourvu tant les Français que les Russes. Sans pour autant que la Chine échappe aux confrontations ethniques et aux reproches du colonialisme.

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Le néocolonialisme de la ChinAfrique

Devenu le premier partenaire commercial de l’Afrique, la Chine a réuni le 3 septembre dernier, à Pékin, divers chefs d’État du continent autour de son président Xi Jinping. La République populaire de Chine n’a pas lésiné sur les moyens pour convaincre un Cyril Ramaphosa, un Muhammadu Buhari, un Abdel Fattah Al Sissi ou un Alassanne Dramane Ouattara de signer de nouveaux contrats privilégiés. Dans cette guerre d’influence que se livrent la France et la Russie dans le partage du gâteau économique africain, la ChinAfrique ne cesse d’allonger « sa liste toujours plus longue de pays amis » comme l’observe la radio Africa n°1.

Devenu populaire depuis peu, par opposition à la FrançAfrique ou la RussAfrique, ChinAfrique ne désigne pas une réalité nouvelle. Dès le début des années 1970, Pékin développe une politique d’approche économique et politique sur le continent africain. Il s’agit autant de tisser une nouvelle « route de la soie » que de mettre fin à la reconnaissance de la république de Taïwan par l’ensemble des pays composants l’Afrique. Mais c’est véritablement à l’aube des années 2000 que les relations entre la grande puissance rouge et les pays en voie de développement vont véritablement s’accentuer et devenir incontournables. Au grand dam de la France qui a fait de l’Afrique son pré-carré ou encore des États-Unis qui tentent de s’imposer sur le continent.

Sommet de Pékin 03/09/2018, Xi Jinping et le président du Sud-Soudan.

Le projet d’investissement de la Chine en Afrique est à l’image du pays. Gigantesque et démesuré. Rien qu’en 2015, c’est une enveloppe de 56 milliards d’euros qui a été distribuée par Pékin à ses partenaires africains, dont 5 milliards de prêts à taux zéro et 35 autres à taux préférentiels. Sans compter les nombreuses formations octroyées à une main d’œuvre qui peine à se qualifier ou encore la dizaine de milliers de bourses attribuées aux étudiants africains autorisés à venir se former dans les grandes universités chinoises. Une facilité d’accès et des opportunités que la France n’offre plus ou peu aujourd’hui pour ses anciennes colonies. Et c’est d’autant plus apprécié par la quasi-majorité des pays africains que la Chine est peu regardante sur la manière dont nombre de régimes sur le continent gèrent les droits de l’homme.

Lors du premier sommet ChinAfrique, il y a trois ans, c’est l’ancien président sud-africain, Jacob Zuma, qui résumait sur la chaîne de télévision SABC cette leçon d’humilité que Pékin impose actuellement à l’Occident :

Il y a cette rhétorique erronée selon laquelle la Chine est uniquement intéressée par les ressources naturelles […]. Que faisaient les colonisateurs ? Ils pillaient […]. Et voici la Chine qui travaille avec nous pour sortir les pays de la pauvreté. Ce n’est pas un colonisateur, c’est un partenaire.

Un partenaire ou une nouvelle “vache à lait” pour le dragon rouge. La réussite de cette politique, Pékin la doit principalement à une femme, Xu Jinghu, qui aura été presque une décennie durant la “Madame Afrique” de la Chine. Elle a sillonné de long en large l’Afrique, visité plus de trente pays alors qu’elle n’a exercé réellement que dans deux postes, une fois comme secrétaire d’ambassade au Gabon entre 1985 et 1989 et comme ambassadrice à Madagascar entre 2001 et 2004 au plus fort de la crise qui a déchiré l’île, avant de prendre sa retraite en 2016. Du moins officiellement car à 62 ans aujourd’hui, elle demeure encore la « représentante spéciale du gouvernement chinois pour les affaires africaines » nous indique le quotidien Jeune Afrique.

Sommet de Pékin 03/09/2018, Xi Jinping et le second vice-président du Burundi.

Xu Jinghu peut se féliciter du travail accompli. L’avenir commercial semble radieux pour le pays de Mao Zédong. Selon les chiffres du ministère chinois du commerce, c’est plus de 75 milliards de dollars issus des produits d’importations contre 95 milliards pour ceux de l’exportation qui ont été comptabilisés. Pétrole, minerais ou bois contre téléphones portables, médicaments, machines agricoles et véhicules recensés lors d’un reportage consacré sur le sujet par la chaîne franco-allemande Arte. Le tout au détriment de la France qui a vu ses parts de marché sur l’exportation divisées par deux face au soft power développé par la Chine qui s’est même payée le luxe d’ouvrir une base militaire à Djibouti, l’année dernière.

Pour autant tout n’est pas aussi rose que le laisse entrevoir la realpolitik pékinoise. La Chine doit faire face à de multiples problèmes comme la corruption qui sévit sur le continent, une justice guère impartiale, des accusations de désastres écologiques (comme au Mozambique où elle pratique de manière forcenée la déforestation du pays en toute illégalité affirme l’organisme d’information Media Terre) ou de financements occultes de petites rébellions dont elle serait à l’origine, une lourdeur administrative à laquelle elle n’était pas prête à faire face et une animosité croissante à son encontre. Les Africains se plaignent du comportement dictatoriaux de leurs patrons chinois autant que de leur concurrence déloyale. Ils accusent ces « Ali Babas », comme les surnomment les Algériens, de privilégier leurs concitoyens. Venus avec leurs familles, ils ouvrent des centaines de petits commerces à bas coûts et souvent de mauvaise qualité, provoquant dans certains pays des tensions qui ont dégénéré en émeutes raciales. Dans un entretien au journal Le Monde, « Feng Yuanfei, nommé responsable d’un projet mis en place par la China Harbour Engineering Company en Namibie », le reconnaît volontiers : « Employer des Chinois, c’est la routine. Ça ne pose aucun problème de gestion. En revanche, embaucher du personnel étranger peut poser des problèmes, car les façons de penser et de travailler sont différentes. ». Un mépris qui a conduit les Kenyans ou les Sud-Africains à manifester violemment contre leurs communautés chinoises. Le défunt président zambien, Michael Sata, a lui-même fait preuve d’une sinophobie rarement atteinte en Afrique Australe.

Sommet de Pékin 03/09/2018, Xi Jinping et le président du Tchad.

Afin de redorer son image en Afrique, Pékin a multiplié le nombre de ses agences d’informations, Xinhua, l’équivalent de l’AFP, et même créé un magazine nommé… ChinAfrique. Des instituts Confucius se sont installés dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et enseignent le mandarin aux étudiants qui en sont friands. Avec cette toile d’araignée tissée de part et d’autres du continent, la Chine peut désormais se targuer d’être favorablement perçue par presque 70% de la population africaine selon le dernier afrobaromètre sur le sujet. En tournée impériale cet été, « Tonton Xi » a promis que la prochaine enveloppe d’aide financière sera encore plus importante que les précédentes. Et de régler au passage quelques dettes de l’Union africaine en assurant la participation de la Chine dans la sécurité du continent. Pour un bon nombre de chefs d’État africains, qui rejettent toute notion de néo-colonialisme, l’assurance de la longévité de leur régime est à ce prix.

Sommet de Pékin 03/09/2018, Xi Jinping et le président du Bénin.

Par Frédéric de Natal

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