Depuis la fin du siècle dernier, l’importance stratégique de l’Arctique n’échappe pas aux spécialistes. La récente volonté du président américain Trump de s’emparer du Groënland, en espérant ne pas avoir besoin de recourir à la force, affirmait-il, démontre l’importance géopolitique du territoire danois. À l’évidence, l’Union Européenne, machin géostratégique de bisounours, ne s’y attendait pas.
Il y a plusieurs définitions possibles de la géopolitique. L’une d’entre elle considère qu’il s’agit d’un rapport de puissances à puissances, dans tous les domaines, par lequel chacun vise en premier lieu à défendre ses propres intérêts. Cette définition est celle qui est revenue à l’ordre du jour avec la réalité du monde multipolaire dans lequel nous sommes entrés, un monde dans lequel nombre de pays comme la Chine, l’Inde, la Russie, les pays de l’Indo-Pacifique, et ceux, aussi, qui forment ce que l’on appelle de plus en plus « le Sud Global », se détachent ou se sont déjà détachés de longue date de ce que fut l’Occident, afin de défendre leurs propres intérêts.
L’Union Européenne ? À la remorque du monde tel qu’il est
L’Union Européenne, sous parapluie américain, ne s’en rendait pas compte, ou faisait mine de ne pas s’en apercevoir. Les nouvelles orientations géopolitiques américaines montrent à quel point cette Europe-là est une « puissance » de papier, perdue dans le monde multipolaire que les États-Unis viennent d’accréditer. Le président américain, comme ses homologues chinois, russe, indien, brésilien… s’inscrit dans la géopolitique aujourd’hui dominante. Pendant ce temps-là ? Les dirigeants des pays de l’Union Européenne courent de réunions de crise en réunions de crise, incapables de s’intégrer dans le monde des rapports de force en train de se déployer sous leurs yeux, pour cette simple raison qu’ils ont, chacun, abandonné leur souveraineté, particulièrement en ce qui concerne les outils des politiques internationales, à une structure, l’UE, sans réalité concrète. Une vague construction qui, comme telle, ne bénéficie d’aucun respect dans le concert multipolaire des nations.
Pourquoi le Groënland pourrait devenir américain
C’est dans ce contexte que s’inscrit la volonté de mainmise américaine sur le Groënland. Tout comme le reste de l’Arctique, le Groënland devient une zone géopolitique de hautes tensions. L’heure des liens de coopération construits par les acteurs de la région est révolue. L’Arctique et le Groënland sont devenus des espaces convoités, ce qui pose la question de savoir qui a légitimité pour décider de l’avenir de cet espace, une question à laquelle Trump répond en prenant tout le monde de court. Les convoitises viennent des ressources réelles ou supposées présentes sur l’ensemble des territoires concernés. Plus encore sur ce fait : avec le réchauffement climatique, ces ressources deviennent chaque jour plus aisément accessibles. Il n’est de ce point de vue pas anodin que, fin avril 2025, le chef d’État américain ait réaffirmé sa volonté d’accélérer l’exploration minière dans les océans, y compris dans les eaux internationales.
Une volonté d’annexion multi-causale
Déjà, en 2019, Trump proposait d’acheter le Groënland. L’insistance avec laquelle les États-Unis revendiquent la région ne tient pas uniquement à des questions de ressources. Cette insistance est multi-causale. Peuplé de 57 000 habitants pour 2,2 millions de km2, le territoire est l’un des rares espaces inexploités de la planète. Selon les spécialistes, il regorgerait de terres rares, ces métaux indispensables pour les hautes technologies, en plus de son uranium et de ses hydrocarbures déjà identifiés. Qui plus est, sa position géographique est devenue stratégique car le Groënland est au centre de trois routes maritimes dont l’importance s’impose à très grande vitesse pour le commerce mondial, du fait de la fonte des glaces : une route maritime du Nord-Ouest, une route maritime du Nord-Est et une route transpolaire. Ces routes réduisent énormément les distances à l’échelle mondiale, et donc les délais pour le commerce. C’est bien de géopolitique dont il s’agit. D’un rapport de puissances à puissances en vue, pour chacune, de défendre ses propres intérêts. Il n’est dès lors pas difficile de comprendre pourquoi les États-Unis ne retrouvent pas le numéro de téléphone de l’Union Européenne. Comme il ne faudra pas être surpris, si cela se produit, de voir les États-Unis s’emparer d’un territoire appartenant à l’un de ses alliés de l’OTAN, le Danemark, mettant ainsi probablement un terme à l’existence de cette organisation. n