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Le Burkina Faso, l’échec de Macron en Afrique

C’était un inconnu pour les Burkinabés. Neuf mois après son propre putsch, le lieutenant-colonel Damiba a été victime d’un coup d’État le 30 septembre 2022. Ancienne colonie française, le Burkina Faso est traversé par une crise politique et économique depuis 2014, en proie aux groupes djihadistes que peine à réduire la France engagée au Sahel. Dans l’ombre, la Russie tisse doucement sa toile et pourrait devenir le prochain allié de Ouagadougou.

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Le Burkina Faso, l’échec de Macron en Afrique

Le Burkina Faso, « pays des hommes intègres », vit au rythme des coups d’État depuis son indépendance obtenue en 1960. Dirigé d’une main de fer par le capitaine Blaise Compaoré, ce dernier a été la victime d’une révolution populaire en 2014 après 27 ans de règne sans partage. Abandonné par l’armée, Compaoré a été contraint à la démission et à l’exil, laissant l’ancienne Haute Volta à son sort. Après une courte transition militaire, le pouvoir a été remis à Michel Kafando qui a gardé les rênes du gouvernement tant bien que mal durant un an, échappant de peu au putsch du général Gilbert Diendéré (septembre 2015), avant de les remettre à son tour à l’opposant de longue date, Roch Marc Christian Kaboré, vainqueur de la première élection présidentielle multipartite libre. Dès lors les événements se sont vite enchaînés au sein d’un Burkina Faso fragilisé, notamment sur ses frontières devenues poreuses.

Situé près du Mali, privé de son autorité centrale, le Burkina Faso n’a pas tardé à subir les assauts de groupes djihadistes. Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) n’a pas hésité à perpétrer un attentat dans un hôtel et dans un restaurant de la capitale, Ouagadougou, fréquenté par les étrangers, laissant derrière lui plus de 30 morts  (janvier 2015). L’organisation d’Iyad Ag-Ghal, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), s’est alliée aux Peuls radicaux d’Ansaroul Islam qui agissent dans le Nord du Burkina Faso tandis que l’Est et le Centre-Est sont la proie de l’État islamique au grand Sahara (EIGS) d’Adnan Abou Walid al-Sahraoui. Les attaques répétées des islamistes contre les populations locales, essentiellement chrétiennes, les pillages des mines d’or, ont provoqué la constitution de milices villageoises qui ont attaqué en représailles les Peuls, les massacrant sans hésitation. Un conflit ethnico-religieux larvé que n’a pas su enrayer Roch Marc Christian Kaboré et qui lui a été fatal.

Putschs, coups d’état, révolutions, djihadisme et Françafrique…

Le 14 novembre 2021, l’attaque de la garnison militaire d’Inata par Ansaroul Islam, qui fait 53 morts, va provoquer d’importantes manifestations contre le gouvernement, en dépit d’une bonne gouvernance, initiée par Kaboré, qui avait porté ses effets économiques. Malgré un changement de Premier ministre, la foule ne se calme pas, ni la colère de l’armée qui accuse le président d’avoir laissé mourir de faim et abandonné ses troupes. Le 23 janvier 2022, une mutinerie éclate et se transforme rapidement en putsch mené par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Roch Marc Christian Kaboré démissionne et passe par la case prison durant 4 mois. La France proteste mais est largement ignorée par les putschistes. Un régime militaire qui est très vite remplacé par un autre neuf mois plus tard. En octobre suivant, c’est le capitaine Ibrahim Traoré qui s’empare à son tour du strapontin suprême, accusant son prédécesseur d’être inefficace dans sa lutte contre le djihadisme (« le Burkina Faso a perdu en quelques années le contrôle de 40 % de son territoire » écrit au même moment Le Monde) et de tenter de remettre en selle Blaise Compaoré (les deux hommes se sont rencontrés en juillet 2022). Un jeu de chaises musicales qui a fini par agacer profondément la France, suspectée d’avoir cautionné ce nouveau coup d’État. 

Pion incontournable de la Françafrique, le Burkina Faso a été surprotégé par l’Hexagone qui avait « délégué » la gestion de son ancienne colonie à la Côte d’Ivoire voisine, les deux pays ayant formé une seule entité territoriale durant la colonisation avant que la France ne la scinde en deux. Deux routes séparées avec un destin commun. Rien d’étonnant si derrière le coup d’État de Compaoré on avait aperçu l’ombre du président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, ravi de se débarrasser du capitaine Thomas Sankara, mystérieusement assassiné et que ne supportait décidément pas le président François Mitterrand. Un complot orchestré dont on n’a jamais su à quel point Compaoré, son meilleur ami, y était impliqué. Paris a toujours soutenu le régime de Compaoré dont le pays passait pour être l’un des plus stables de l’Afrique de l’Ouest, du moins jusqu’à l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Il est même devenu une étape indispensable pour son successeur, le président Emmanuel Macron, en 2017. Bien que cette visite ait généré quelques tensions en raison de la familiarité, jugée condescendante, du dirigeant français envers son alter ego voltaïque.

La France et Macron dénoncés

En septembre dernier, Paris a envoyé l’amiral Jean-Philippe Rolland, en « opération déminage » comme le remarque le mensuel Jeune Afrique. Il est vrai que les relations entre la France et le Burkina Faso se sont rapidement crispées avec le putsch de Paul-Henri Sandaogo Damiba. En décembre 2021, déjà, un contingent de militaires français avait été brutalement stoppé dans le Centre-Nord alors qu’il partait rejoindre le Niger. Les gendarmes burkinabés avaient dû tirer des gaz lacrymogènes afin de sortir les soldats de ce piège, menacés par une foule en colère. En juillet 2022, de violentes manifestations anti-françaises ont eu lieu à Ouagadougou. Les manifestants, réunis au sein de la coalition M30 Naaba Wobgo (du nom d’un empereur Mossi résistant aux français au XIXe siècle) n’ont pas hésité à brandir des « pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « France, parrain du terrorisme, dégage », « Tous ensemble pour la libération du Burkina Faso », « France impériale, tyran, sangsue, dégage », ou encore « non aux accords de coopération avec la France », comme le rapporte Voice of Africa, exigeant la fin de la présence militaire française au Burkina Faso. Lorsque Traoré a pris le pouvoir, le putsch a été accompagné également de manifestations anti-françaises, l’Institut de France a été pillé dans la capitale. En réaction, Paris a accusé Moscou d’être la main agissante derrière ces émeutes. Sans avancer la moindre preuve.

Crise économique (désormais le pays bénéficie d’une aide alimentaire décrétée par les Nations unies), sociale, politique, le pays a plongé. Plus de deux millions de déplacés, victime de la guerre contre les islamistes, que peine à réduire la France qui assiste militairement l’armée burkinabé. La Russie va-t-elle remplacer la France au Burkina Faso comme le Mali a récemment décidé de le faire en mettant fin à l’opération Barkhane ? C’est ce qu’avance la France qui se justifie par le rapprochement de Damiba avec Moscou en septembre 2022, la présence de drapeaux russes régulièrement affichées dans les manifestations anti-françaises, le soutien apporté à la nouvelle junte par le fondateur du groupe Wagner, Evguéni Prigojine, sur son compte Twitter. Une hypothèse catégoriquement démentie par le capitaine Ibrahim Traoré qui a rappelé le caractère indépendant de son pays à la France et aux États-Unis (qui ont mis en garde conjointement le Burkina Faso). Une leçon de démocratie que n’a pas appréciée le président Emmanuel Macron dont les promesses grandiloquentes ne font plus rêver les Burkinabés, prêts à se tourner vers d’autres partenaires qu’ils jugent plus crédibles.

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