Le dimanche 28, Recep Tayip Erdogan a emporté l’élection présidentielle turque avec plus de 52 % des suffrages au terme d’une campagne haletante. La victoire du leader de l’AKP est un camouflet politique pour de nombreuses puissances qui auraient préféré se débarrasser de l’embarrassant sultan d’Ankara, madré et retors, qui tient la dragée haute aux négociateurs en chef du conflit entre Moscou et Kiev.
Erdogan a donné une nouvelle leçon au commentariat occidental qui avait déjà quasiment élu, et ce dès le premier tour, son opposant Kemal Kiliçdaroglu. Encore une fois, la stratégie de l’opposition hétéroclite absolument unifiée, à un des hommes forts du XXIe siècle, a échoué lamentablement, comme ce fut cas pour Péter Márki Zay en Hongrie l’année dernière.
Les électeurs turcs avaient pourtant nombre de motifs légitimes pour se détourner de leur président : soutien coûteux au protectorat islamiste de la poche d’Idlib en Syrie, fardeau des réfugiés syriens présents en Turquie depuis une décennie, inflation exorbitante, gestion cataclysmique du tremblement de terre du 6 février 2023, entre autres. Il n’était pas besoin d’opinion politique divergente du savant dosage islamo-nationaliste de l’AKP pour s’opposer à sa réélection.
Il ne nous appartient pas de plonger dans les labyrinthes partisans de la Turquie sinon pour souligner que les thèmes et les systèmes de valeurs des élites occidentales n’y suffisent pas à séduire la majorité des électeurs. C’est certainement cela que les politologues décrivent comme la résistance populiste au progrès. En revanche, la prolongation pour cinq années du pouvoir d’Erdogan ouvre de vastes questions géopolitiques qui auront une incidence immédiate sur les communautés chrétiennes orientales.
La réélection ouvre de vastes questions géopolitiques
Ankara va-t-elle continuer à soutenir les projets de Bakou d’en finir avec le statut spécial du Haut Karabagh et d’en nier l’identité profondément arménienne ? Tout laisse à penser qu’Erevan, éloigné de son protecteur russe traditionnel, est en grand danger si les étendards panturquistes étaient de nouveau déployés par le chef de l’Etat turc.
Erdogan était-il sérieux quand il prônait un renouvellement du dialogue avec la Syrie de Bachar Al Assad afin d’organiser le retour d’au moins un million de réfugiés syriens dans leur patrie ? Les diplomates syriens attendent avec impatience des gestes concrets de leur voisin, qui se serait jusque-là beaucoup payé de mots, et dont le soutien aux dirigeants islamistes de la région d’Idlib perdure.
La Turquie va-t-elle entrer en dissonance avec le grand mouvement de réconciliation diplomatique à l’œuvre au Moyen Orient, en renforçant sa collaboration privilégiée avec le Qatar, ou bien poursuivre les initiatives qu’Erdogan a initié ces derniers mois en se rapprochant de ses ennemis d’hier, comme l’Egypte ?
Enfin, alors que le centenaire de la proclamation de la République turque se déroulera le 29 octobre 2023, Erdogan choisira-t-il de donner l’impression d’une Turquie apaisée ou fera-t-il planer la menace de provocations diplomatiques envers certaines îles grecques ou même en proposant l’annexion de la partie de Chypre occupée par son pays ?
Alors que le paysage parlementaire turc sort galvanisé par la résistance des nationalistes face aux sirènes du changement, la réponse de la coalition gouvernementale d’Erdogan à ses questions demeure ambiguë. Le débat international aurait certainement gagné à s’occuper précisément de ses questions lancinantes plutôt que de s’émoustiller avec l’immanquable défaite qu’on promettait à Erdogan. Au lieu de quoi, les nuées dissipées laissent le champ libre à l’un des dirigeants les plus dangereusement déterminés de notre temps.