Presque deux ans après le déclenchement des hostilités, la Russie ne paraît pas aussi affaiblie qu’elle devrait l’être, ni l’Ukraine aussi victorieuse qu’on le prédisait. Surtout, une partie des narratifs change : sabotage de Nord Stream, démocratie ukrainienne, soutien américain, les médias chantent désormais sur un autre ton.
Vingt et un mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine, le conflit semble être à un tournant. La croisade occidentale lancée contre la Russie sous la houlette de Washington a clairement échoué, et dans tous les domaines. Économiquement tout d’abord. Les sanctions (nous en sommes à la treizième ou quatorzième vague, on ne sait plus) n’ont eu finalement aucun effet sur l’économie russe. Celle-ci, loin d’être « à genoux » ou d’être « détruite » en dépit de la menace martiale de notre visionnaire ministre de l’Économie et des finances, se porte fort bien. La croissance 2023 devrait atteindre 1,5 % contre 0,8 % pour l’ensemble de la zone euro et 2024 s’annonce encore mieux. Le pétrole et le gaz russe se vendent toujours, notamment à la Chine et à l ’Inde, qui en revend d’ailleurs à l’Europe. Celle-ci se fournit maintenant largement auprès des États-Unis, que ça doit bien faire rire, sous forme de GNL hors de prix, obtenu à partir de gaz de schiste, lui-même interdit d’exploitation en France. Mais comme cela ne suffit pas, surtout à l’Allemagne qui a intelligemment renoncé à l’énergie nucléaire, notre sémillante Ursula von der Leyen, autoproclamée présidente de l’Europe, a été faire son marché en Azerbaïdjan, pays très démocratique comme chacun sait : peu importe la morale, il faut bien se chauffer.
La situation n’est guère plus brillante sur le plan diplomatique. La Russie finira seule, nous prédisaient nos experts de plateaux. En réalité, c’est plutôt l’Occident qui s’est isolé. Les différents votes à l’Onu sur les condamnations de la Russie ou son exclusion des organismes internationaux reflètent une défiance croissante des pays d’Afrique, d’Asie et même d’Amérique latine. Les amis de la Russie votent contre, bien sûr, mais la majorité des autres s’abstiennent ou sont absents au moment du vote. Plus grave, ils rappellent régulièrement aux Occidentaux que la guerre en Ukraine est un problème européen qui ne les concerne pas. Les pays africains dénoncent l’intervention en Libye qui a détruit ce pays alors qu’ils s’étaient majoritairement prononcés contre cette folle idée sarkozyenne. Ceux du Proche-Orient évoquent l’agression contre l’Irak où le droit international fut allègrement violé par l’Amérique dont la morale à géométrie variable en agace plus d’un. Les récents évènements de la bande de Gaza et le soutien quasi inconditionnel de l’Occident à Israël ne vont pas arranger l’ambiance. Le récent élargissement des Brics confirme cette tendance structurelle d’un « Sud global » prenant ses distances avec l’Occident.
Subtils généraux de plateau
Quant à la situation militaire, c’est pire encore. L’offensive annoncée depuis des mois a été finalement déclenchée début juin pour un résultat à peu près nul sur le plan territorial tout en ayant provoqué des pertes considérables en hommes et en matériel. Les Russes attendaient les malheureux fantassins ukrainiens employés comme chair à canon derrière des lignes de défense remarquablement construites. Les carcasses carbonisées de Bradley américains ou de Léopard allemands jonchant la steppe ont produit un effet dévastateur sur la crédibilité d’une victoire militaire de l’Ukraine, c’est-à-dire au fond de l’Otan. La Crimée, objectif annoncé de cette offensive, est absolument inaccessible et ne sera jamais reprise. Chacun le sait maintenant : comment les Russes pourraient-ils abandonner cette terre russophone qui leur a appartenu pendant des siècles ? De plus, la base navale de Sébastopol est stratégique et la perdre au profit de l’Ukraine serait la donner à l’Otan. Plus personne ne croit sérieusement aujourd’hui que la Russie perdra la guerre et que l’armée ukrainienne, exsangue et sous perfusion otanienne, plantera bientôt son drapeau à Marioupol, à Donetsk ou à Yalta. Une nouvelle musique se fait d’ailleurs entendre depuis quelques temps en Occident, même chez nos subtils généraux de plateau.
En Ukraine également, le ton change. Ainsi, le général Valeri Zaloujny, commandant en chef de l’armée ukrainienne, a récemment reconnu que l’offensive était « dans une impasse ». Zelensky a démenti aussitôt et l’incident en dit long sur les tensions qui règnent dans le pays. Coïncidence ou avertissement ? Quelques jours après cette cacophonie, le commandant Tchastiakov, adjoint du général Zaloujny, était tué chez lui par l’explosion d’une grenade. L’explication officielle est qu’il a reçu des grenades à l’occasion de son anniversaire et que son fils en a fait exploser une en la manipulant. Drôle de cadeau pour une drôle d’explication. L’attentat est évidemment probable, et les yeux se sont tournés vers le pouvoir politique, à Kiev, en tension forte avec le pouvoir militaire depuis la défaite de Bakhmout.
L’étoile du héros pâlit
C’est dans ce contexte mystérieux que Zelensky a annoncé le report sine die des élections présidentielles prévues pour 2024. Certes, organiser des élections dans un pays en guerre n’est pas chose aisée mais la brutalité de l’annonce a choqué, notamment en Occident. L’étoile du héros pâlit lentement mais sûrement. Des manifestations sont maintenant organisées régulièrement en Ukraine dénonçant la corruption ou réclamant des nouvelles de soldats disparus. Les enrôlements forcés se multiplient et des hommes, jusqu’à 60 ans, sont arrêtés brutalement dans la rue, voire dans un bus, puis expédiés sur le front. Le pouvoir suggère maintenant aux femmes de s’engager. Une vidéo russe a circulé, montrant le cadavre d’une Ukrainienne dans une tranchée, avec les commentaires stupéfaits des soldats russes.
Zelenski réclame toujours plus d’armes et elles arrivent moins. Les États-Unis, principaux pourvoyeurs, ont leurs propres problèmes internes. La Chambre des représentants, désormais à majorité républicaine, a gelé une aide supplémentaire de 60 milliards qui devait être répartie entre Israël et l’Ukraine : la manœuvre de Biden a échoué et l’ensemble a été reporté à janvier pour de nouvelles discussions. La prochaine livraison de quelques avions F16, annoncée avec autant de publicité que les chars Leopard, ne changera évidemment rien.
Embarras à Washington
Signe des temps : la presse américaine a affirmé que le sabotage du gazoduc sous-marin Nord-Stream 2 était finalement l’œuvre d’un commando ukrainien. Un nommé Roman Tchervinski serait le coordonnateur de l’opération. L’homme n’est pas un inconnu puisque son nom a déjà été évoqué dans le cadre de l’organisation d’assassinats sur le territoire russe. On ne sait si cette énième version est vraie mais les premières accusaient plutôt les Russes qui semblent maintenant innocentés par la bonne presse anglo-saxonne. Il faut tout de même s’arrêter parfois devant ce qu’on essaye de nous faire avaler : les Russes détruisant leur propre gazoduc qui leur a coûté des milliards ! Des généraux de plateau ont affirmé cela sans sourciller sur les multiples chaines d’info au message unique. La désinformation c’est distrayant, mais il faudrait tout de même faire un petit effort de crédibilité.
En toute logique, le temps serait venu pour des négociations. Mais les Russes, persuadés que le temps joue en leur faveur, ne sont guère pressés. Une partie des Ukrainiens y serait disposée mais pas Zelensky ni son entourage. Quant à Washington, l’embarras y est palpable : Biden veut clôturer cette nouvelle guerre manquée (décidément !), mais si c’est pour négocier en position de faiblesse, la presse américaine se déchaînera sur le thème : tout ça pour ça ? Si les élections de 2024 sont annulées en Ukraine, ce ne sera pas le cas aux Etats-Unis qui vont vivre au rythme des primaires et de la campagne électorale à partir de janvier. Cela va prendre quelques mois, ce qui laissera encore un peu de temps à Poutine pour pousser son avantage. Va-t-on vers la grande défaite de l’Otan ?
Illustration : Sur Telegram, Volodymyr Zelensky fait lui état de « conditions météorologiques défavorables sur le champ de bataille ».