Affaires internationales. À considérer l’action de Trump en Syrie, on se rend compte que, là comme ailleurs, la France a effectué, par pure idéologie atlantiste ou européiste, les plus mauvais choix. Un tableau rapide des évolutions géopolitiques montre à quel point notre diplomatie est déconnectée des vrais intérêts de notre pays.
Trump l’avait annoncé pendant sa campagne électorale, il l’avait répété entre les frappes aériennes des printemps 2017 et 2018, il voulait partir de Syrie. D’ailleurs ces frappes par missiles de croisière auxquelles nous nous étions associés en représailles de prétendues attaques chimiques visaient des objectifs sans intérêt : une base de vieux Mig syriens en 2017, des infrastructures vides en 2018… Comme s’il s’agissait de donner le change au Congrès hostile à Assad.
La décision du 19 décembre de retirer les 2000 soldats américains de Syrie n’est donc pas surprenante. La démission subséquente du général Mattis, secrétaire à la Défense, couvait depuis longtemps. Trump le trouvait « démocrate » ; il avait rebaptisé le “légendaire” « mad dog Mattis » des Marines en « moderate dog Mattis ». On découvre dans la lettre de démission une vision plutôt rustique des affaires internationales où Mattis met la Chine et la Russie pêle-mêle dans le camp des méchants, avec une dévotion d’un autre âge pour l’OTAN et la prétention d’une expérience de « 40 ans d’immersion dans ces problématiques » (sic). Son éloge unanime par la grosse presse à Paris comme à Washington est une indication supplémentaire que son départ n’est pas une perte… et puis rien n’est plus remplaçable qu’un ministre de la défense…
Mattis a perdu contre Moscou
Trump ne voit donc aucun intérêt à garder du monde dans l’imbroglio frontalier entre Kurdes, Turcs, Syriens et djihadistes. Le Turc Erdogan lui a promis de s’occuper des « terroristes ». Les Kurdes implicitement visés devront donc chercher la protection de Damas, qui en sort renforcé. La diplomatie de Moscou qui gagne sur tous les tableaux est plus subtile que celle du Général Mattis. Mais Trump n’aura pas mis deux semaines avant d’amodier son propos en précisant sur place, pour le nouvel an, que le retrait de Syrie prendrait quatre mois et qu’il garderait des troupes en Irak. Est-ce un coup de théâtre ou une manœuvre pour calmer néoconservateurs et sionistes inquiets des succès russes et de la présence iranienne en Syrie ? L’avenir le dira.
Pendant ce temps, à Toulon depuis plus de deux ans pour un carénage de deux milliards, après avoir servi de piédestal à Hollande puis Macron qui aiment y faire des discours guerriers, le porte-avions Charles de Gaulle sert le lobbying parlementaire d’amiraux qui en voudraient un autre. Les petits fours au carré et les promenades en hélicoptère ne suffiront pas à convaincre les élus. Il ne leur a pas échappé que depuis deux ans, à moindre frais, les Rafale de la marine, avec l’armée de l’air, couvrent Irak et Syrie de leurs bases de Jordanie et des Émirats. L’année 2018 y aura été presque aussi intense que les précédentes ; en décembre des Rafale frappaient encore les restes de Daesh sur les rives de l’Euphrate tandis que, d’Irak, les canons de nos artilleurs pilonnaient les islamistes avec de nouveaux obus à sous-munitions « intelligentes » ultra-précises. Quelque mille soldats français engagés pour un effet militaire indéniable, mais officiellement zéro sur le sol syrien. Alors, quand Macron « regrette très profondément » que Trump y enlève 2000 GI et fustige la trahison d’un allié, il est insignifiant.
La France s’est exclue du Grand Jeu
Depuis la fermeture de notre ambassade à Damas en 2012 par Sarkozy, approuvée par ses deux successeurs, notre posture au Levant est incohérente. Cette faute nous a exclu d’un jeu stratégique où nous avions toute notre place au côté des Russes pour pacifier une Syrie qui malheureusement ne restera plus longtemps francophile. Mais il fallait virer Assad ! comme Sarkozy avait fait lyncher Khadafi pour qu’il se taise, comme Bush avait fait pendre Saddam, trop indépendant… En dommage collatéral, ces manœuvres funestes confortaient Kim Jong Un et les Mollah iraniens dans leur course à la bombe atomique pour ne pas risquer le même sort. La dévastation de l’Irak et la chute de Saddam libéraient l’islamisme radical qu’il avait naguère maté, et Daesh mettait le Levant à feu et à sang. Le bombardement de la Libye et la chute de Kadhafi semaient le chaos dans la zone sahélienne et provoquaient une traite négrière sans précédent vers l’Europe vidant de ses forces vives l’Afrique où nos armées essayent maintenant de colmater les brèches.
Plus tôt, en Afghanistan, Chirac, fort bien conseillé, avait limité notre engagement à 1000 hommes faisant de la figuration à Kaboul. En 2008 Sarkozy, moins bien conseillé, voulant bomber le torse devant l’ami américain, envoyait 4000 hommes en terrain découvert dans une mission impossible. Outre une facture OPEX de plusieurs milliards, l’aventure afghane coûta à la France 90 morts et 700 blessés dont certains gravement mutilés, pour rien !
Mais Sarkozy venait de réintégrer le commandement militaire de l’OTAN, une autre faute politique endossée par Hollande avec l’onction de Védrine dans un rapport de commande qui ne l’a pas grandi. Ce retour coûteux ne nous apportait rien, nos forces « inter-opéraient » déjà sans difficulté avec celles de l’OTAN dans une posture spécifique qui correspondait à notre statut de puissance nucléaire indépendante que l’Angleterre n’est pas. Nous y perdons maintenant 700 militaires intégrés dans l’obèse bureaucratie de l’Alliance et gagnons un poste de « Commandant suprême de la transformation » à Norfolk, sinécure lucrative réservée aux anciens chefs de l’armée de l’air en gage de leur docilité.
Après des décennies d’interventionnisme débridé, de chaos, de sang, de larmes et de désolation (Kosovo, Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Afrique et maintenant Europe submergée par les “migrants”), le réalisme de Trump pourrait, s’il résiste à son establishment, ouvrir de nouvelles perspectives. L’atlantisme inconditionnel de nos derniers présidents ne trouve plus en lui les complaisances passées, d’où le désarroi de Macron.
Le régime en place en Syrie est donc l’affaire des Syriens, non plus des Américains. Trump annonce aussi la réduction de moitié des effectifs en Afghanistan où ne resterons que 7 000 GI pour 100 000 en 2009. Gageons qu’il n’y en aura bientôt plus. Les Afghans se débrouilleront avec leurs voisins et le terroriste islamique ne s’en portera pas mieux. L’Amérique a d’autres priorités autour du Pacifique. Les déséquilibres commerciaux avec la Chine et ses visées hégémoniques sont à prendre au sérieux. S’agissant de la Corée du Nord, ceux qui se gaussaient des outrances verbales de Trump sont contredits par les faits : le discours de vœux du dictateur nord-coréen semble ouvrir la voie à une deuxième étape dans le déminage d’une crise dont personne ne trouvait d’issue. La question n’est pas ici la nature du régime, aussi odieux soit-il, mais les intérêts de l’Amérique qui pourrait un jour parrainer à son avantage une réunification « à l’allemande » des deux Corées, au grand dam de la Chine.
Si l’Amérique se replie sur ses intérêts de nation, il est à craindre que Macron, honni des Français, ne se replie sur l’Europe. Le « Gauleiter de Juncker », comme le surnomme cruellement Ardisson, a suggéré un partage de notre dissuasion nucléaire et notre siège de membre permanent au conseil de sécurité avec l’Allemagne, à laquelle il ne comprend décidément rien. Des généraux avait dénoncé une trahison lors de la signature du traité de Marrakech, il s’agirait ici d’une forfaiture.
Au même moment, l’escamotage du centenaire démilitarisé de la plus grande et tragique victoire militaire de notre histoire occultée par une absconse « itinérance mémorielle » accentue le malaise des Français. Il ne fallait pas indisposer les Allemands ? Mauvais prétexte. Dans le cœur des Gilets jaunes, dont chaque famille reste marquée par cette guerre, il y a aussi la blessure d’une mémoire profanée au nom d’une chimère.