Il est devenu en quelques décennies l’ennemi public numéro 1 de la Françafrique. Figure centrale du panafricanisme contemporain, connu pour ses positions radicales contre le « néocolonialisme », Kemi Seba a été déchu de sa nationalité française. Il est désormais conseiller auprès du gouvernement nigérien et entend se servir de cette position pour continuer ses attaques contre la France sans souci des poursuites judiciaires.
Kémi Séba, c’est avant tout une histoire ordinaire. Celle d’un Français d’origine béninoise, connu à l’état-civil sous le nom de Stellio Gilles Robert Capo Chichi, né d’un père médecin se réclamant de la Gauche modérée et d’une mère dont la principale activité a été d’éduquer ses enfants. Il est issu d’une immigration récente, nantie, qui s’est installée à Strasbourg, en Alsace. C’est dans cet environnement que le futur Kémi Seba va grandir jusqu’au divorce de ses parents. En 1995, il fête tout juste ses 14 ans quand il est obligé de déménager en région parisienne. C’est l’âge des découvertes, celle du début d’une conscience politique, celle de la culture hip-hop pour laquelle il se prend de passion et celle de la confrontation au racisme. Différents facteurs qui vont forger sa personnalité actuelle.
Portant de larges baggy très à la mode à l’époque, c’est un voyage aux États-Unis qui va profondément le changer. Stellio Gilles Robert Capo Chichi découvre un pays où la couleur de peau et l’argent définissent le statut social. Il n’y a pas de juste-milieu. Si les États-Unis ne sont plus régis officiellement par des lois de ségrégation raciale, il sent que la discrimination y est toujours présente. C’est dans ce contexte qu’il fait la rencontre de Nation of Islam (NOI), un mouvement porté dans les années 1960 par Malcolm X, une icône de l’afro-américanisme au destin tragique. Influente internationalement, jugée suprémaciste, nationaliste, prêchant un islam sunnite, NOI estime que les premiers habitants sur la Terre étaient noirs et qu’ils avaient leur destin entre leurs mains avant que « les diables blancs », une « race inférieure », ne viennent le leur prendre. Une révélation pour le jeune homme qui revient affublé du costume de la NOI, un costume trois-pièces avec un nœud papillon. Converti à leur doctrine, il se met à distribuer des tracts sur le forum des Halles et commence à s’intéresser parallèlement à l’histoire de l’Égypte antique.
Précurseur du panafricanisme et référence des décoloniaux
Kémi Seba ne va pas tarder à émerger sur la scène publique française. Après un voyage dans le pays des pyramides (2000), il revient dans l’Hexagone, fort de nouvelles convictions, nourri des récits de Cheikh Anta Diop, considéré par les dé-coloniaux actuels comme le père de l’afro-centrisme. Selon l’écrivain, l’Égypte fut connue autrefois sous le nom de Kémet (ou Kémi), signifiant « la terre noire ». Dans un raccourci très habile, ses partisans affirment donc que l’Égypte des Pharaons a été habitée par des Africains à la peau noire et non par ceux que l’Occident dépeint aujourd’hui. Il renie alors Nation of Islam, prend son pseudonyme actuel, et devient un adepte du kémitisme. Il confonde dans la foulée un parti kémite (2002) dont il sera un des porte-parole avant d’en claquer la porte, l’accusant d’être devenu trop intégrationniste et ouvert au prosélytisme.
La Tribu de Ka va être le mouvement qui va le faire connaître du grand public. Sans le savoir, l’homme devient le précurseur du panafricanisme en France et la référence des décoloniaux issus du wokisme. Il ne fait pas mystère de ses intentions. Il prêche la défense du peuple noir (appelé à repartir en Afrique), le refus de tout métissage et celui de toute intégration en France sur fond de mysticisme égyptien. La médiatisation dont il va bénéficier et le soutien de l’humoriste Dieudonné (dont il va finir par s’éloigner pour des points de vue divergents) vont donner de l’importance à ce groupuscule qui va vite attirer l’attention des pouvoirs publics. Le mouvement se démarquant par un certain antisémitisme et son rêve de pureté raciale, il sera rapidement dissous en juillet 2006 comme tout comme son successeur, Génération Kémi Seba, trois ans plus tard.
Admirateur du Front National et du Hamas
Kémi Seba n’entend pas en rester là. En 2008, il refonde le Mouvement des damnés de l’impérialisme (MDI). Il affirme avoir mué, confessant une adhésion totale au panafricanisme et tente de s’adresser principalement aux Afro-Français déçus par la France des droits de l’homme. Sa vision « ethnodifférencialiste », selon ses propres termes, le mène à fréquenter les milieux d’extrême-droite-ultra-nationalistes et des groupes islamistes. Il n’hésite pas à se dire aussi admirateur du Front National que du Hamas, déclare « préférer Hitler à Bonaparte ». L’émergence des réseaux sociaux va lui permettre d’acquérir une caisse de résonance à laquelle il n’avait pas véritablement droit jusqu’ici. Le MDI est mis en sommeil en 2010, un an avant son « exil », son départ vers le Sénégal.
C’est dans cette ancienne colonie francophone, marquée par une histoire esclavagiste, que Kémi Séba va exercer ses talents d’orateur. Après un passage comme porte-parole de l’Alliance panafricaniste, une association affiliée au gouvernement sénégalais, il est embauché comme chroniqueur pour la chaîne de télévision privée 2STV où il brocarde régulièrement l’allégeance économique des pays africains à la France. Il se fait le chantre d’une économie noire et souveraine qui fait écho à sa détestation du Franc CFA, une monnaie qu’il considère comme un instrument de domination néocoloniale, imposée par la France à ses ex-possessions africaines. « Nous devons créer une monnaie qui reflète nos valeurs, notre culture, et qui soit contrôlée par les Africains pour les Africains », affirme-t-il lors d’une conférence en 2018. Loin de faire l’unanimité, son combat n’est pas soutenu par les gouvernements. Dakar le poursuivra après qu’il a été reconnu coupable d’avoir brûlé des billets de 5000 FCFA. En 2019, il est expulsé de Côte d’Ivoire pour incitation à l’insurrection. Un pays dans lequel il revient secrètement en 2020 pour s’opposer au troisième mandat du président Alassane Dramane Ouattara. Des faits d’armes et une publicité qui lui permettent de jouir d’une popularité en Afrique et au sein de la diaspora. Sur les réseaux sociaux, plus d’un million d’abonnés le suivent quotidiennement.
Ennemi public numéro 1 de la Françafrique
Kémi Seba, barbe finement taillée et crâne rasé, est une figure clivante, volontiers complotiste, qui a aussi su nouer des liens avec les gouvernements étrangers. Il a été reçu en mars 2015 par l’Iran, par le mouvement italien 5 étoiles en 2018, qui s’est servi de ses diatribes anti-FCFA pour dénoncer la politique néocoloniale de la France, a été invité par le Kremlin au sommet de Sotchi Russie-Afrique de 2019 (il décrit le Président Poutine comme un « messie ») ou encore la Turquie en octobre 2021. Installé désormais au Bénin, Kémi Seba est devenu incontournable pour la jeune génération de putschistes actuellement aux commandes de divers états ouest-africains ; des kakis à épaulettes qui entendent se débarrasser de la présence française sur le continent.
Sa déchéance de nationalité, prononcée en juillet 2024, était attendue pour de multiples raisons. Officiellement justifiée par ses attaques répétées contre la France (il a déclaré que « toute force politique qui résistera au néocolonialisme sera une force que les panafricanistes soutiendront »), il est également soupçonné de servir les intérêts russes en Afrique et ceux de Wagner comme l’a relevé une enquête du mensuel Jeune Afrique. « Une médaille », pour Kémi Seba qui s’est réjoui de cette décision sur son compte X.
Pour la junte nigérienne, dont il est un soutien affiché, une occasion en or de se servir de sa dextérité de tribun. Le voilà désormais propulsé « conseiller spécial » du général-président Tiani en guise de consolation. À peine nommé, le 3 août dernier, il a accusé la France de vouloir déstabiliser le Niger et de livrer des armes aux islamistes de Boko Haram. Sans étayer de la moindre preuve ces allégations. Peu importe, le discours trouve ses adeptes aussi bien en France, parmi la diaspora, que sur le continent africain. Ayant oublié la banlieue dans laquelle il a grandi, l’enfant de Strasbourg est devenu aujourd’hui l’ennemi public numéro 1 de la Françafrique et ses diatribes pourraient bien faire des émules en France dans les décennies à venir.