La mondialisation ne concerne pas l’information, parce que l’information est une arme politique et de gouvernement des peuples. On le voit bien avec la situation intérieure de l’Iran, passée sous silence par nos médias depuis la Révolution islamique de 1978-1979, à laquelle ont contribué une coalition hétéroclite de communistes, d’islamistes, d’occidentalistes et d’Arabes sunnites. Jamais la Perse n’a été autant isolée sur la scène mondiale, et son isolement est encore plus visible depuis que le pouvoir a déclaré une guerre perpétuelle contre Israël, rompant avec la politique extérieure d’avant la Révolution. Regardons cela en détail.
Le roi renversé, Mohamed Reza (1919-1980) parlait d’une « alliance des Noirs et des Rouges », c’est-à-dire des islamistes et des communistes. Il faut dire que le pays avait alors deux mille km de frontière avec l’URSS, ce qui obligeait l’Etat à réprimer durement le parti communiste local. En Occident, la tradition antimonarchique héritée des révolution américaine et française, mais aussi l’orientation communiste des plus grands philosophes de l’époque, comme Sartre, Foucault, Deleuze, et plus généralement tout le système d’instruction publique, incitaient à adhérer spontanément au projet révolutionnaire dont on sait qu’il a rapidement abouti, sous la conduite de l’imam Khomeiny, à l’exclusion puis la purge de l’élément communiste. Cette alliance préfigurait ce qu’on appelle aujourd’hui l’islamogauchisme en Occident, un mouvement inspiré par la haine de tout ce qui évoque la civilisation occidentale traditionnelle.
Le renversement de l’Iran monarchique permettait à l’Arabie saoudite de prendre sa place dans la suprématie exercée sur le golfe Persique. Les deux pays n’étaient comparables que pour leur puissance pétrolière, mais très éloignés du point de vue civilisationnel et historique, sans parler de l’islam, une religion imposée ici comme ailleurs par la force des armes, à un empire perse sassanide épuisé par des siècles de guerres continuelles contre Rome. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui la révolution revête un caractère identitaire, les Iraniens insistant sur leur persianité et prenant leurs distances avec l’islam, fût-il chiite, le régime islamiste étant tenu pour responsable de la situation économique actuelle.
Depuis le meurtre par la police des mœurs de la Kurde iranienne Mahsa Amini en 2022, les Iraniens tentent de renverser le régime, malgré les puissances mondiales. Avec Donald Trump, on peut imaginer un appui américain, car le prince héritier, Reza, vit aux États-Unis et avec lui cesserait l’hostilité à Israël. En Europe, pour donner le change, on met en lumière sur les plateaux télévisés de faux-opposants qui réclament la fin des persécutions contre les femmes mais pas celle du régime : n’oublions pas que le jeu d’échec chatrang est une invention iranienne. La Russie est alliée au régime iranien actuel dans la guerre ukrainienne et verrait d’un mauvais œil la restauration d’un régime inféodé à l’Amérique. L’Arabie perdrait sa position prédominante si l’Iran se relevait de ses ruines. Les autorités intellectuelles occidentales, procédant de la même alliance des Rouges et des Noirs que dénonçait l’ancien roi en 1978, regarderaient comme une catastrophe politique le renversement de cette coalition des deux couleurs. Bref, l’Iran est toujours isolé, mais peut-être moins qu’en 2022, avec D. Trump au pouvoir à Washington et un Etat d’Israël échaudé par la guerre qu’il a vécue récemment contre le régime des mollahs. Est-ce un nouvel épisode d’un long processus, ou bien les Iraniens touchent-ils enfin au but ? Un élément nouveau est l’ébranlement du bazar de Téhéran, un baromètre important : reste à savoir s’il sera décisif. Et si, après presque cinquante ans de république islamique, une révolution sans armes et sans destruction systématique des symboles du régime honni peut être mieux qu’une caricature.
Illustration : ouverture de la session du Parlement iranien, le 30 décembre 2025.
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