L’Italie a le vent en poupe grâce à Giorgia Meloni mais aussi à des structures politiques saines, une véritable décentralisation et une politique internationale centrée sur ses propres intérêts. Autant d’exemples et de leçons que les Français peinent à comprendre.
Depuis quelques jours, le taux auquel les marchés internationaux prêtent à l’Italie à long terme est devenu plus bas que le taux imposé à la France. C’est une nouvelle considérable, surtout par les réactions qu’elle suscite au niveau international. La France est désormais considérée comme l’« homme malade » de l’Europe, l’Italie est prise au sérieux. Son influence à Bruxelles, à Washington, en Afrique du Nord, en Afrique est désormais supérieure à la nôtre. Le gouvernement Meloni, en place depuis 2022, échappe pour le moment à l’instabilité chronique de la vie politique italienne et l’alliance gouvernementale (entre Fratelli d’Italia, Ligue et Forza Italia) reste soudée (malgré bien des divergences et piques internes !) et conserve le soutien de l’opinion. Paris ne paraît pas comprendre l’évolution des choses et multiplie les marques de mauvaise humeur (rappels de l’ambassadeur, etc.), Mme Meloni et certains de ses ministres ne se montrant pas tendres, il est vrai, à l’égard de la France. Mais allons au-delà de ces désolantes gamineries et tentons de voir plus loin.
Il y a des raisons à l’amélioration relative de la situation italienne. D’abord une gestion budgétaire sérieuse, même sans grande réforme structurelle (sinon l’essentiel : le maintien et l’application rigoureuse de la réforme des retraites de 2011, faisant passer l’âge du départ à 67 ans, ce qui est la cause principale de l’amélioration budgétaire). Le déficit est passé de 7,2 % en 2023 à 3,3 % cette année, l’Italie sera dans les clous bruxellois avec 3 % l’année prochaine, alors que la pression fiscale diminue légèrement (et que le pays devient une destination pour les réfugiés fiscaux…). Certes le taux de croissance est faible (0,7 % cette année) mais le taux d’emploi (62,8 %) n’a jamais été aussi élevé depuis la fin de la guerre.
Une baisse sensible de l’immigration irrégulière
Outre la réforme des retraites, qui a fait augmenter considérablement l’emploi des seniors, c’est l’importance maintenue de l’industrie (avec une part beaucoup moins réduite qu’en France dans le PIB) qui explique ces performances. Le problème à long terme le plus marqué est le recul démographique, mais c’est un facteur européen. Mme Meloni manœuvre habilement. Un bon exemple est son discours sur l’immigration illégale, bien sûr marmoréen, mais dont la réalisation rencontre bien des obstacles, en particulier d’ordre juridique. Cependant elle a fait baisser de façon sensible l’immigration irrégulière : on sait que les frontières italiennes ne sont plus des passoires.
Mais Giorgia Meloni bénéficie aussi de causes structurelles plus anciennes. Et d’abord le passage au scrutin majoritaire en 1993, à la place du scrutin proportionnel qui, depuis 1946, avait permis le maintien au pouvoir de la Démocratie chrétienne grâce à des alliances diverses et successives, mais à partir de années 1970 toujours sous le contrôle indirect du Parti communiste, ne permettant pas au peuple d’exprimer réellement sa volonté. C’est cela qui a permis à la coalition actuelle d’arriver au pouvoir (en sachant que les idées « de droite » n’ont jamais fait l’objet du même ostracisme qu’en France, malgré une forte polarisation de l’opinion et du monde intellectuel).
D’autre part le président de la République n’est certes qu’un arbitre, mais respecté et influent, tandis que le tribunal constitutionnel est composé de neuf vrais juristes (trois magistrats, trois professeurs de droit, trois avocats) ce qui est une différence radicale avec son équivalent français et lui confère autorité et réelle efficacité. Du coup la vie politique italienne a atteint un certain niveau de stabilité et d’efficacité, tandis que la notre se décompose. Le Corriere della Serra du 16 septembre a publié une fort intéressante étude de cette déroute. On sent derrière la plume des journalistes un très discret mais très doux sentiment de revanche, après tant de moqueries de la part des Gaulois.
Une politique extérieure efficace
En outre l’Italie a procédé dans les années 1970 à une véritable décentralisation, respectant les contours de ses provinces historiques et les mettant toutes sur le même pied (sauf quelques dispositions particulières pour les îles, Sardaigne et Sicile, mais compréhensibles). Rome a ainsi évité l’erreur cardinale de la Devolution de Tony Blair en Grande-Bretagne, qui n’accorde aucune représentation particulière aux Anglais et donne à ceux-ci l’impression d’être les vaches à lait des Écossais et des Gallois. Ou la tendance qui se manifeste de plus en plus chez nous d’un statut spécial pour la Corse ou pour l’Alsace, qui là aussi contrevient au principe cardinal de toute structure décentralisée : tout le monde doit être traité de la même façon.
Avec une économie qui tient le coup, une vie politique qui s’est redressée, avec des dirigeants qui savent ce qu’ils veulent, avec des médias et des institutions universitaires réellement libres et qui fonctionnent, Rome peut avoir une politique extérieure, d’autant plus efficace que l’on sait calibrer ses ambitions et choisir ses axes. Au parlement européen les Italiens ont beaucoup d’influence dans les principaux groupes. Mme Meloni a choisi de ménager Mme von der Leyen et de ne pas jouer à fond la carte des partis de droite au Parlement, ce qui lui a été reproché mais qui en même temps lui assure une influence certaine à Bruxelles. Mme Meloni a su établir un rapport correct avec Donald Trump ; même si les nouveaux droits de douane américains gênent l’économie italienne, l’impression à Rome est que l’on a évité le pire. En tout cas, elle est prise au sérieux à Washington, et il y a d’ailleurs des zones de convergence idéologique.
Rome part du constat que la France a échoué en Afrique
Dans la crise ukrainienne on remarque que Giorgia Meloni, au début très en pointe dans le soutien à l’Ukraine, se montre maintenant plus modérée. Par exemple il n’est pas question que l’Italie envoie des troupes au sol en Ukraine si une « force de paix » devait être un jour établie. Rome a parfaitement compris que sans la présence américaine ce serait une aventure dangereuse. Il est possible aussi que la vision du gouvernement ukrainien soit désormais moins positive à Rome, à cause des nombreuses zones d’ombre qui l’entourent. Mais c’est vers le sud de la Méditerranée et aussi l’Afrique que Rome développe son action, aussi pour l’énergie (un très important accord gazier, vital pour l’Italie, a été conclu avec Alger) et pour les matières premières. Rome part du constat que la France a échoué en Afrique et qu’il faut tenter de ne pas céder toute la place aux Russes et aux Chinois.
On sait qu’en Libye les deux capitales soutiennent les deux camps opposés, le gouvernement reconnu par l’ONU étant celui que soutient Rome ! Les initiés ont remarqué la création tout récemment à Alger de la Fondation Mattei pour l’Afrique. Enrico Mattei avait été après la guerre le patron de l’ENI, la toute-puissante société d’État des hydrocarbures qui a beaucoup contribué au développement de l’économie italienne. Il avait refusé la tutelle des sociétés américaines (« les sept sœurs ») et avait mené une politique très active vers le Moyen-Orient et vers l’Algérie en route vers l’indépendance pour les amener à une politique de hausse des prix du pétrole annonçant le « choc pétrolier » de 1973. Sa mort dans un accident d’avion en 1962 a été souvent imputée aux services français (même si un ouvrage récent relève l’hypothèse de la responsabilité des compagnies pétrolières américaines). On comprend à quel point cette nouvelle Fondation, alors que les relations franco-algériennes sont ce qu’elles sont et que Georgia Meloni n’a pas hésité à critiquer publiquement et durement la politique française en Afrique, souligne le froid glacial des rapports entre les deux « sœurs latines ». Dans le triangle Paris-Rome-Berlin, Rome n’est plus le Junior Partner. Les responsables français devraient comprendre que, de l’Afrique du Nord à l’Ukraine en passant par Bruxelles, Rome reprend du poids et de l’influence, et que nous aurions tout intérêt à tout faire pour réparer une relation bien dégradée.
Illustration : Giorgia Meloni, au milieu des gens qui comptent. Celui qu’on ne voit pas, c’est celui qui ne compte pas.
Politique Magazine existe uniquement car il est payé intégralement par ses lecteurs, sans aucun financement public. Dans la situation financière de la France, alors que tous les prix explosent, face à la concurrence des titres subventionnés par l’État républicain (des millions et des millions à des titres comme Libération, Le Monde, Télérama…), Politique Magazine, comme tous les médias dissidents, ne peut continuer à publier que grâce aux abonnements et aux dons de ses lecteurs, si modestes soient-ils. La rédaction vous remercie par avance. 