Inimaginables il y a encore quelques mois à Hong Kong, les scènes de violence entre les lycéens, les étudiants et la police marquent l’ampleur d’une contestation populaire qui ne faiblit pas face à un gouvernement local qui prend ses ordres à Pékin. David contre Goliath… nombreux sont ceux qui s’accordent à prédire l’échec inéluctable des manifestants face à un pouvoir chinois qui n’a pas bougé d’un iota. À quelques exceptions, beaucoup de journaux et de chaînes de télévision relaient exclusivement les scènes de violence et les risques financiers que font peser sur l’économie de Hong Kong les événements de ces derniers mois. Le silence de la classe politique française est assourdissant par comparaison avec ses homologues anglo-saxons. En témoigne le récent vote à l’unanimité du Sénat américain, après celui de la Chambre des Représentants, d’un bill en faveur du statut spécial reconnu à Hong Kong en matière de commerce lié au respect des droits de l’homme. Et pourtant, tout a commencé il y a cinq ans : les Français ont eu le temps de saisir les enjeux politiques…
Cinq ans après le mouvement des parapluies…
Hong Kong, novembre 2014 : c’étaient les derniers jours du Mouvement des Parapluies (Umbrella Movement), opposition pacifique d’un million d’étudiants à la décision arbitraire de Pékin d’imposer le choix du chef du gouvernement local sur une liste de trois candidats désignés à l’avance par la Chine. Il suffisait de se promener dans les différents endroits du centre-ville pour tomber sur des dizaines de tentes de camping bleues, rouges, vertes émaillées de parapluies jaunes, le symbole d’une demande de démocratie et de liberté politique. Des étudiants avaient reconstitué une salle de bibliothèque en plein air et travaillaient, concentrés sur leurs devoirs. Des parapluies jaunes omniprésents dans les dessins, les caricatures, les patchworks, les origami, les jeux de l’oie tracés à même la rue, avec les mêmes demandes de liberté. Des barricades d’objets hétéroclites, accumulations de caddies de supermarchés, de parapluies de toutes les couleurs, de barrières métalliques, de chaises en bois, de plots en plastique blanc et orange fluorescent. Sur ces murs tapissés de post-it jaunes, verts et roses, la jeunesse de Hong Kong écrivait ses rêves, ceux des enfants nés dans les années 90.
Des années qui ont scellé le destin de Hong Kong : le 4 avril 1990 fut adoptée la Loi Fondamentale (Basic Law of The Hong Kong Special Administrative Region of the People’s Republic of China) qui entra en vigueur le 1er juillet 1997 : la rétrocession à la Chine de l’ex-colonie britannique prenait corps. Les Hongkongais jouissent théoriquement jusqu’en 2047 d’« Un pays, deux systèmes ». Las, la république populaire de Xi Jinping, trop pressée, commença par imposer le choix du chef de l’exécutif. Les étudiants ne furent pas soutenus longtemps par la population de Hong Kong, gênée par les blocages d’« Occupy Central », l’autre nom du mouvement des Parapluies. Ce fut l’échec.
… La menace de l’extradition met le feu aux poudres.
Une nouvelle décision arbitraire devait mettre le feu aux poudres en avril 2019 : un projet de loi autorisant l’extradition en Chine Populaire de quiconque a commis un délit sur le sol de Hong Kong, pour qu’il y soit jugé selon les lois de la RDC et éventuellement incarcéré dans les prisons chinoises. C’était réduire à néant toute possible opposition au régime.
Les manifestations ont commencé au printemps jusqu’à ces deux fameuses journées de juin 2019 qui virent déambuler dans les rues de Hong Kong 1 million de personnes le 9 puis 2 millions le 16, toutes abritées sous leurs parapluies multicolores. Par rapport à 2014, ils avaient plutôt 15-16 ans, parfois moins – un manifestant de 13 ans fut arrêté, plutôt des lycéens, et cette fois ils ont pu compter sur un soutien très large de la population, leurs parents et grands-parents n’hésitant pas à servir de boucliers humains entre la police et les manifestants.
Carrie Lam, qui dirige l’Exécutif depuis 2017, prise de court, laissa la situation s’envenimer, attendant le mois de septembre pour retirer officiellement son projet. Des fuites d’enregistrements radiophoniques la montrèrent en difficulté sous la pression de Pékin. Entre-temps, la contestation s’élargit pour réclamer quatre autres points : une enquête sur les violences policières à l’encontre des manifestants, la libération de ceux qui ont été arrêtés, une réforme constitutionnelle et enfin que les manifestations ne soient pas considérées comme des émeutes. Autant de demandes qui n’ont pas obtenu satisfaction et qui expliquent la persistance des rassemblements semaine après semaine.
La stratégie du pouvoir a été de laisser pourrir la situation, voire de la faire pourrir : des rixes ont éclaté dans le métro entre la police et les manifestants, et très vite il a été question des mafias, les triades, accusées d’infiltrer les groupes de manifestants en arborant les mêmes tenues. La violence des deux côtés a éclaté en particulier dans les quartiers populaires où les conditions de vie sont les plus dures du fait de la pression foncière. Ce fut d’ailleurs un des arguments de Carrie Lam, expliquant dans ses conférences de presse qu’il fallait s’asseoir à la même table, trouver les conditions d’un dialogue apaisé, et annonçant des mesures économiques en faveur des personnes à revenus modestes.
La rue maintient la pression
Mais la violence a continué, les manifestants vêtus de noir ont adopté des équipements de protection – masques, casques, en plus de leurs parapluies tout noirs eux aussi. Un jeune de 22 ans est mort en tombant d’un étage de parking. D’autres ont été blessés. On parle de personnes disparues. Un employé de 29 ans relate aujourd’hui les tortures qu’il a subies en prison depuis son incarcération au mois d’août. Il se souvient d’avoir croisé beaucoup de jeunes dans les couloirs.
Ce sont les écoles et les universités qui maintiennent la pression : peu d’images pour les premières, mais des témoins sur place rapportent que les enfants font des chaînes humaines dans les cours des écoles pendant les récréations. Que les professeurs sont solidaires des élèves. Mais aussi que les évènements divisent les familles : les parents craignant pour la vie de leurs enfants, ceux-ci bravant l’interdiction d’aller manifester. Toute une autorité se voit, là aussi, remise en question, dans une société hongkongaise où les parents se saignent pour donner des études extrêmement chères à leurs enfants.
Dans les universités, les arrestations de jeunes retranchés dans le campus de la Hong Kong University, puis de l’Université Polytechnique, ont fait la une des médias avec des images spectaculaires montrant des jets de cocktails molotov, des tirs à l’arc, l’incendie d’un camion blindé : de véritables scènes de chaos.
Il n’y avait pas que des étudiants et la population a fait diversion pour aider les manifestants.
Pékin contre la démocratie chinoise
Les jeunes sont soutenus par la population, par les députés pro-démocratie, par le journal local Apple Daily du tycoon Jimmy Lai, le seul de ses pairs à s’opposer ouvertement depuis des années à Pékin ; par des figures du mouvement des parapluies comme le très jeune et très médiatique Joshua Wong ; mais ils n’ont pas de chef.
« La situation est vraiment dangereuse. Il y a désormais de la haine entre les manifestants et la police, des violences grandissantes. Si un policier ou si un manifestant meurt, ce sera un désastre. Si un policier meurt, les autorités engageront une répression qui sera terrible. Si un manifestant meurt, la population sera en colère, et il n’y aura pas deux mais trois millions de manifestants dans la rue. Que fera le gouvernement, que fera Pékin ? Ce sera la proclamation de l’état d’urgence et la fin de toutes les libertés », affirmait le Cardinal Zen en septembre à l’hebdomadaire catholique La Nef, tout en critiquant l’absence de réaction du Vatican, pris au piège d’un accord provisoire secret passé en 2018 avec la Chine communiste.
« Pékin n’a jamais varié dans son discours, estime de son côté Jean-Pierre Cabestan dans une interview au journal Les Échos. Depuis le début, c’est non à toute démocratie véritable et cela le restera, quel qu’en soit le prix à payer. Les jeunes ne l’obtiendront jamais ».
Par Blandine Delplanque
Illustration : Depuis 2014, le Mouvement des Parapluies imagine des affiches simples et efficaces, reprenant les codes de la
culture populaire.