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En Côte d’Ivoire, une monarchie au centre des querelles politiques

Transformées par la colonisation et les indépendances, les monarchies présentes sur le continent africain ont récemment retrouvé une place centrale dans les équilibres politiques. En Côte d’Ivoire, la monarchie baoulé, qui illustre cette résurgence, est devenue un acteur clé des luttes actuelles de pouvoir.

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En Côte d’Ivoire, une monarchie au centre des querelles politiques

Jadis conquérantes, les monarchies en Afrique ont été reléguées au rang de supplétifs administratifs par la colonisation, puis réduites à leur simple expression traditionnelle à l’heure des indépendances par des politiciens avides de s’en servir pour leurs propres intérêts ou soucieux de réduire leur influence. Revenues sur le devant de la scène à travers tout le continent, elles sont aujourd’hui inévitables pour tous les candidats qui souhaitent atteindre le strapontin suprême de leur pays. Certaines ont même été restaurées dans leurs regalia, et associées aux affaires du Gouvernement. C’est le cas de la République de la Côte d’Ivoire qui a instauré une Chambre des rois et des chefs traditionnels en 2015, véritable parlement autonome qui n’a qu’un pouvoir de consultation mais reste hautement respectée dans cette ancienne colonie française.

Parmi les nombreuses royautés qui se partagent les 322 462 km2 de la Côte des Dents se trouve celle des Baoulés, appartenant au groupe des Akans. Répartis en vingt sous-ethnies, ils composent 38 % de la population actuelle de la Côte d’Ivoire. Fuyant une violente guerre civile dans le royaume Ashanti, les Baoulés, menés par la reine Abla Pokou, sont venus s’installer dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest au cours du XVIIe siècle. Ils tirent leur nom d’une légende qui affirme que, bloqués devant le Comoé, la souveraine a consenti à sacrifier son premier-né pour que les hippopotames du fleuve puissent former un pont naturel afin de leur permettre de passer de l’autre côté. Constatant la mort de son fils, Abla Pokou se serait exprimé ainsi : « Bâ wouli » (l’enfant est mort). En dépit de sa puissance militaire, la monarchie baoulé va connaître des soubresauts dynastiques qui vont progressivement l’affaiblir. C’est cette ethnie portée par un prince Akoué, Felix Houphouët-Boigny (1905-1993), qui va être le porte-drapeau de la lutte contre la colonisation. Planteur, médecin, ministre de la Ve République, fondateur du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement Démocratique Africain (PDCI-RDA), cette future pièce maitresse de la Françafrique va diriger son pays d’une main de fer dans un gant de velours jusqu’à sa mort. Pendant plus de trois décennies, il ne va pas hésiter à museler son opposition ou mettre au pas toutes les monarchies locales aux penchants sécessionnistes. Les Baoulés vont conserver le pouvoir jusqu’au putsch de 1999 qui chasse alors le Président Henri Konan Bédié (1934-2023) du siège hérité de son prédécesseur.

Une situation bicéphale délicate

La guerre civile qui s’ensuit va provoquer une profonde crise de succession au sein de la monarchie baoulé, coincée entre loyalistes et rebelles (2002). Le roi Nanan Kouakou Anoungblé III doit fuir vers Abidjan, la capitale administrative de la Côté d’Ivoire, laissant un trône vacant. La princesse Christine Akissi Djé, sa cousine, profite de son absence pour mettre en avant ses prétentions qui se renforcent au décès du monarque la même année. Mais dans ce Game of Thrones africain, c’est finalement la sœur du souverain défunt, Akoua Boni II, qui va s’imposer, prenant la charge de régente. Couronnée reine des Baoulés en 2017, la crise devient plus profonde lorsque son propre fils, Michel Kassi Otimi Anvo, décide à son tour de revendiquer le trône, fort de sa légitimité de prince héritier. La monarchie se déchire tout comme le PDCI-RDA où l’ethnie y est majoritaire.

L’élection présidentielle de 2020 devient l’objet d’une âpre lutte entre les deux mouvances qui s’affrontent à coup de communiqués. Lorsque son fils, suivis par 300 roitelets et chefs de canton du pays baoulé, décide d’apporter son soutien à l’ex-Président Henri Konan Bédié, la réaction de la souveraine est immédiate. Dans une déclaration rendue publique, elle dénonce un « gangstérisme intellectuel » perpétré par les partisans du prince Michel Kassi Anvo. Cette situation bicéphale prend un tournant délicat quand la reine finit par apporter son soutien au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHPD) du Président Alassane Dramane Ouattara. Pour une partie des Baoulés d’obédience sudiste et chrétienne, cette alliance à un dirigeant aux origines nordiste et musulmane sera mal vécue, augmentant les tensions dans la royauté. « Chaque camp joue de ses relations au sein du royaume afin de gagner une bataille psychologique avant la grande confrontation politique » écrit le Journal d’Abidjan avant le scrutin électoral qui verra finalement la victoire du candidat RHPD pour la troisième fois consécutive. Michel Kassi Anvo exprime alors « sa vive préoccupation au regard des menaces qui pèsent sur la cohésion sociale » du royaume.

La monarchie baoulé au cœur des querelles politiques nationales

Le décès de la reine Akoua Boni II en juillet 2023 ne résout pas le problème de la succession au trône. Une fois enterrée, un an plus tard, selon des rites funéraires tenus secrets afin que le corps de la défunte ne soit pas profané, le Conseil royal décide de ne pas donner la couronne à son fils mais à un autre membre de la famille royale, promptement couronné sous le nom de Nanan Kouakou Djé II en juin 2024. Certains contestent encore cette désignation et estiment qu’il s’agit d’une « forfaiture » comme le rappelle Afrik Soir. Le prince Otimi Kassi Anvo n’entend pas se défaire de son héritage aussi facilement et refuse de renoncer à son sceptre. « Pour nous, Otimi Kassi Anvo est roi. Nous, on n’a pas encore perdu notre roi », rappelle Nanan Kouadio Dan II, un roitelet Akan qui est le porte-parole du prince déchu.

Avec le prochain scrutin présidentiel, prévu en octobre 2025, la monarchie baoulé se retrouve une nouvelle fois au cœur des querelles politiques nationales. Le décès d’Henri Konan Bédié a laissé un parti orphelin. Ses héritiers se disputent encore son héritage. Dans les rangs du PDCI-RDA souffle un vent de révolte. Mamadou Touré, ministre de la Promotion de la jeunesse, n’a pas hésité à pointer du doigt les influences tribalistes qui règnent dans ce parti, comme l’indique Le Monde, faisant craindre une reprise des hostilités ethniques qui pourrait frapper de plein fouet la monarchie. En parallèle, plusieurs ministres du gouvernement d’Alassane Dramane Ouattara se sont rendus au chevet du nouveau souverain afin de lui présenter les hommages du président de la République. Nanan Kouakou Djé II a aussi reçu un autre soutien de poids avec la Chambre des rois et des chefs traditionnels qui l’a reconnu dans ses regalia. Un adoubement en bonne et due forme. Mais pour les partisans du prince Kassi Anvo, aucun doute : Alassane Dramane Ouattara serait à la manœuvre pour assurer, à lui ou son successeur, un vote des Baoulés garantissant au RHPD la continuité du régime actuel. Ce que nient naturellement les principaux intéressés.

La monarchie baoulé, en proie à une profonde crise dynastique, continue donc de jouer un rôle déterminant dans le paysage politique ivoirien. Alors que le pays se prépare à l’élection présidentielle l’année prochaine, la position du nouveau roi sera cruciale, selon les analystes locaux. Entre tensions tribales, luttes d’influence et alliances politiques, l’avenir de la Côte d’Ivoire se dessine également à travers les conflits internes de cette monarchie historique. Les mois à venir s’annoncent désormais décisifs pour l’équilibre du royaume et de la nation entière.

 

Illustration : En 2018, Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, se rend à Ansuta, ville natale de la reine Abla Pokou, pour rencontrer Sa Majesté royale Osei Tutu II, monarque de l’empire ashanti (et franc-maçon).

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