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Elections allemandes: la discorde chez l’ami.

Personne, sauf quelques rares esprits perspicaces, n’avait imaginé ce qui se passe en Allemagne. Le président français parle, comme à l’école, d’une Europe qui n’est déjà plus la même.

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Elections allemandes: la discorde chez l’ami.

Le tremblement de terre du 24 septembre en Allemagne aura des répliques : les chrétiens-démocrates et les socialistes, les deux piliers de la RFA, réalisent leur plus mauvais score depuis 1949, et la CSU bavaroise tombe à 39%, ce qui est en soi une nouvelle majeure. En face les Verts et la « Gauche » ex-communiste, dans une moindre mesure, s’en tirent honorablement, et les Libéraux reviennent en force au Bundestag, dont ils avaient été exclus en 2013, avec plus de 10 % des voix. Mais tout le monde, bien sûr, est frappé par la percée de l’AfD (« Alternative pour l’Allemagne ») avec plus de 13% des voix et 94 députés dans une assemblée de 690 membres. Les observateurs attentifs noteront que les régions de l’ex-RDA conservent, ou même retrouvent, leur particularisme, avec plus de 20% pour l’AfD. La réunification n’est pas achevée dans les esprits.

Problème de majorité

Il est plus que probable que Mme Merkel reconstituera une nouvelle majorité, sans doute avec les Verts et les Libéraux (dite « coalition Jamaïque », car les couleurs de ces partis sont celles du drapeau de ce pays). Les Socialistes ont en effet annoncé qu’ils refusaient de conclure une nouvelle Grande Coalition, qui aurait eu les préférences de Mme Merkel (après tout, elle a gouverné dans cette constellation de 2005 à 2009 et à nouveau depuis 2013) et qui aurait pu passer, avec 52 % de l’électorat et 389 députés. Le ministre des Finances, Schäuble, vient d’annoncer qu’il quittait le gouvernement pour prendre la présidence du Bundestag. Le ministère des Finances ira sans doute à un Libéral, et le poste de ministre des Affaires étrangères à un Vert, dit-on. Cela permettrait de mettre cette nouvelle coalition sur pied ; mais quelle sera la cohérence de l’attelage ? Et de toute façon le sortilège qui paraissait protéger la chancelière est rompu.

Wolfgang Schäuble - Politique Magazine

Wolfgang Schäuble prend la présidence du Bundestag. L’Allemand qui dira non.

Quelles sont les raisons de la débâcle ? Bien sûr la question des migrants et la décision en 2015 de laisser plus d’un million d’entre eux entrer en Allemagne. Mais il y a encore d’autres raisons. D’abord la prospérité allemande connaît des limites : la rigueur budgétaire conduit à un vieillissement des infrastructures ; et elle renforce le refus des contribuables allemands,
véritables fourmis, à renflouer les caisses des cigales de l’Europe gauloise, latine et grecque ; la réforme Schröder des retraites et de la protection sociale en 2004 a certes permis de rétablir les comptes publics et de réduire le chômage, mais au prix de la multiplication du nombre des travailleurs pauvres. Cela dit, les Socialistes, qui avaient axé leur campagne là-dessus, n’en ont pas profité. L’explication la plus fréquente est qu’ils ont pâti de la Grande Coalition, Mme Merkel leur prenant d’ailleurs au passage bien des idées.

Et surtout il faut s’intéresser aux transferts de voix : la CDU a perdu près d’un million d’électeurs au profit de l’AfD. Remarque du même genre pour la CSU. Comme l’a déclaré son chef, le ministre-président de Bavière Seehofer, « nous n’avons pas défendu notre flanc droit ». Outre la question des migrants, Mme Merkel a en effet mené une politique en fait sociale-démocrate. Ce reniement et le fait que la chancelière et la Grande Coalition en général ont fait régner une étouffante atmosphère d’unanimisme forcé et « politiquement correct » a joué sans nul doute un rôle considérable dans la réaction des électeurs, dont ont profité aussi bien l’AfD que les Libéraux.

Problème de gouvernement

Quelle est la situation désormais ? La CDU est comme émasculée, sans programme propre, et Mme Merkel a écarté, envoyé sur une voie de garage ou laissé tomber tous ceux qui auraient pu assurer une relève. La dernière victime en date est le ministre de la Défense, Mme von der Leyen, à qui on promettait un brillant avenir, mais qui se retrouve isolée après avoir mal géré une affaire d’extrémisme au sein de la Bundeswehr, et que la Chancelière n’a pas vraiment défendue. La CSU est désormais en difficulté, et Seehofer redoute les élections à la Diète de Bavière l’année prochaine. Comment faire ? Sortir du groupe parlementaire commun qui existe depuis toujours avec la CDU au Bundestag pour retrouver plus d’indépendance ? Mais c’est l’arme nucléaire ! Et, dans une RFA qui n’est pas vraiment une fédération, se séparer trop nettement d’un parti qui, à la différence de la CSU, est présent dans tout le reste de l’Allemagne (et qui pourrait décider de se présenter également en Bavière) serait très risqué. L’idéal serait de parvenir à réorienter l’attelage CDU-CSU vers la droite, mais avec Mme Merkel et avec ses alliances prévisibles, un tel scénario paraît impossible. L’avenir politique de la CSU et de la Bavière, Land dynamique et important, sont parmi les grandes inconnues, soudainement apparues le 24 septembre.

Quant à la SPD, elle éprouve le besoin de se retremper à gauche. Cela pourrait dans le futur conduire à un rapprochement avec « der Linke », « la Gauche ». Cela fait partie aussi des virtualités nouvelles. Mais dans l’immédiat, et comme la coalition « Jamaïque » ne va pas être facile à mettre sur pied, les Libéraux n’ayant en fait pas grand-chose en commun avec la CDU-CSU ni avec les Verts, je n’exclurais pas totalement une coalition CDU-SPD finalement renouvelée, éventuellement avec les Verts, et justifiée au nom de « la lutte contre les extrêmes ». C’est sans doute la formule qui conviendrait le mieux à Mme Merkel (et à Paris…).

Conséquences prévisibles

En particulier, la chancelière a toujours courtisé l’électorat vert, par exemple en lui sacrifiant en 2014 en fait l’industrie nucléaire allemande et même européenne. Maintenant le sacrifice de l’industrie automobile, trop polluante, pourrait faciliter l’alliance avec les Verts. Mais une telle alliance ne serait pas sans conséquence : les Verts allemands ne se contentent pas de l’écologie, ils ont aussi un programme politique extérieur que je qualifierais de national-neutraliste, pas tellement éloigné, au fond, de celui de la SPD. Cela dit, ils pourraient accepter des développements européens dans le sens d’un renforcement de la solidarité financière et économique en Europe, tel que suggéré par Paris, beaucoup plus à mon sens que la CDU ou même la SPD, sans parler des libéraux de la FDP.

Quant aux Libéraux, ils le sont en matière de mœurs, ce qui ne sera plus un problème avec la CDU mais ils le sont traditionnellement d’abord en matière d’économie et de finances, ce qui n’est pas ou plus le cas de la CDU et des Verts. Ils sont en particulier très réservés au sujet de la gestion actuelle de la zone euro, et très opposés à tout « partage des charges ». Et, sur le plan international, ils sont beaucoup plus « Occidentaux » qu’« Européens ». Dans une coalition « jamaïcaine » ils poseront beaucoup de problèmes à la chancelière…

Conséquences imprévisibles

En ce qui concerne l’AfD, elle est composite : fondée au départ par des professeurs d’économie hostiles à la gestion de la zone euro menée par la BCE, elle représente désormais un ensemble fort hétéroclite, avec beaucoup de déçus de la CDU-CSU, y compris des personnalités connues et estimables, beaucoup de gens révoltés par la politique migratoire de la chancelière, et beaucoup d’extrémistes au langage particulièrement violent. Le parti a fait une bonne campagne, originale, qui a tranché sur la grisaille politiquement correcte ambiante. Mais il est loin d’être stabilisé : son ancien chef, Mme Frauke Petry, tête politique, et plus modérée que d’autres membres de la direction du parti, a décidé de se retirer, alors que les deux chefs de la « Fraktion » parlementaire, Alice Weidel et Alexander Gauland (ancien de la CDU), tiennent un langage qui en France leur vaudrait sans doute des ennuis judiciaires. Il est difficile de prévoir la suite ; mais tous ses membres sont unis par une opposition commune et résolue à l’Europe de Maastricht et de Lisbonne. Même dans l’opposition, dans la situation parlementaire actuelle ils pourront bloquer beaucoup de choses, tandis que l’entrée d’un parti aussi à droite au Bundestag, inimaginable il y a peu, peut provoquer des réactions importantes.

En conclusion : la RFA, jusqu’ici modèle de régime parlementaire rationalisé et stable, et modèle de politique extérieure prévisible, va entrer dans une période d’instabilité. Avec six ou sept partis (si on distingue la CSU) et un système électoral où la moitié des députés sont élus sur scrutin de liste à la proportionnelle, les prévisions deviennent fort difficiles.

D’autre part la RFA était déjà très en arrière de la main pour de nouvelles initiatives européennes. Elle va l’être encore plus, surtout si les Libéraux entrent au gouvernement. La volonté proclamée du président Macron de peser sur les négociations en vue d’une nouvelle majorité à Berlin pour faire adopter son grand programme européen, annoncé le 26 septembre, deux jours après les élections allemandes, risque de provoquer l’effet inverse.

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