En Syrie, la fête est finie. Après le grand relâchement qui a suivi la chute du gouvernement Assad, le 8 décembre 2024, l’heure était à la fête dans les chancelleries et les rédactions. Le dirigeant honni et toute l’histoire récente du parti Baas syrien disparaissaient et, avec eux, des décennies d’affrontements, de défiances, semés d’horreurs.
Alors que la Syrie était maculée par une guerre civile odieuse depuis 2011, les explosions de joie furent nombreuses à Alep, Homs ou Damas. Le XXe siècle aurait pourtant dû apprendre aux observateurs occidentaux, et tout spécialement aux Français, que les peuples sont inconstants, et leurs affections plus moutonnières que raisonnées. Aujourd’hui, l’heure est à l’inventaire en Syrie. Et les défis sont nombreux, le premier d’entre eux étant certainement l’impossible action des hommes d’Ahmed al-Charaa pour affronter le désastre économique quotidien de son pays. 90 % des Syriens vivent encore sous le seuil de pauvreté, et si l’étau des sanctions internationales pèse un tout petit moins sur la Syrie réelle, elle continue de saccager le quotidien des familles dans des proportions que les lointains observateurs ont le plus grand mal à estimer. Même en pleine crise de énergétique, nous ne nous représentons que difficilement ce qu’est un pays où les soldats sont payés 20 dollars et dans lequel l’électricité se négocie à l’ampère.
Progression des islamistes zélés aux responsabilités
Tout ne réside cependant pas dans la débandade économique du pays. Les hommes de l’ancien dirigeant du Front al-Nostra, soit l’incarnation d’Al-Qaeda en Syrie, dirigent désormais tout un pays, dont les multiples composantes, chrétiennes mais pas seulement, sont loin de communier dans l’application littérale du Coran. Après les tapis rouges et les embrassades internationales, le dirigeant syrien doit désormais faire face aux remontées de terrain qui abondent partout. Comme l’indiquait ainsi récemment Mériadec Raffray, rédacteur en chef des pages Monde de Valeurs Actuelles, de retour de Syrie, les valises sont prêtes dans de nombreuses familles chrétiennes qui ne constatent pas au quotidien l’avènement des promesses d’ouverture que la Syrie clame à l’international. Au contraire, c’est la progression des islamistes zélés aux responsabilités intermédiaires qui retient l’attention, laissant craindre l’imposition d’un islamisme d’atmosphère très étranger à la vie de nombreux quartiers.
Un groupe jugé terroriste par tous nos services de renseignement
Par ailleurs, le noyau dur des hommes d’HTS qui accompagnent Ahmed al-Charaa n’ont strictement aucune expérience pour assumer la direction d’un pays de vingt millions d’habitants, voisinant avec la Turquie, le Liban ou Israël. Cette impréparation aux fonctions les plus éminentes ne manque pas d’alerter les élites qui demeurent encore en Syrie et doutent de l’avenir des autorités de fait. Une situation qui interroge suite aux péroraisons de l’Union européenne, d’Emmanuel Macron et d’autres dirigeants internationaux, toutes assez laxistes avec les autorités syriennes. Premier bailleur de fond international en Syrie, l’UE a par exemple tous les moyens d’exprimer ses exigences avec Damas. Elle ne s’en privait sous Assad. Elle doit ainsi multiplier les exigences en matière migratoire, sécuritaire, et de respecter des libertés fondamentales des diverses confessions vivant en Syrie. Elle apparaîtrait sinon comme un acteur hypocrite. De même, l’offre faite par Emmanuel Macron d’inviter sur le perron de l’Elysée, le nouveau dirigeant syrien est alarmante. Paris pourrait être visité demain par le patron d’un groupe jugé terroriste par tous nos services de renseignement. Un paradoxe qui couronnerait certes la stratégie de relations publiques des conseillers londoniens d’Ahmed al-Charaa mais qui ne conforterait certainement pas le grand public sur la prescience diplomatique du président de la République.