Bien que la bataille juridique ne soit pas terminée, il ne subsiste plus de doute raisonnable sur le fait que Donald Trump quittera la Maison Blanche en janvier prochain. Il est donc approprié de faire un premier bilan de la présidence de cet homme étonnant. Car Trump fut un président étonnant. Un président dont les défauts extrêmement visibles, et qui ne se sont jamais atténués, ont eu tendance à cacher à beaucoup d’observateurs – y compris d’ailleurs, dans un premier temps, à votre serviteur – ses quelques qualités très précieuses.
Trump a accompli beaucoup moins que ce qu’il avait promis, ce qui est évidemment la norme en démocratie, et plus encore aux États-Unis, où le système constitutionnel des checks and balances n’est pas un vain mot. Mais il a accompli beaucoup plus que ce que ses adversaires veulent bien reconnaître.
Il ne saurait être question, dans le court espace de cet article, de détailler tout ce que son bilan comporte de positif. En matière économique, notamment, le mandat de Trump fut une réussite remarquable, avec une croissance forte et régulière, du type de celle que la France n’a plus connue depuis les années 1960, et surtout une croissance qui a profité aux travailleurs situés en bas de l’échelle salariale, fait inédit depuis des décennies On peut penser que c’est cette réussite économique qui a attiré à lui un nombre étonnamment élevé d’électeurs « issus des minorités » lors de la dernière élection – prouvant au passage l’absurdité des accusations de « racisme » proférées sans cesse à son égard – et qu’elle aurait pu lui assurer une réélection confortable, si l’épidémie de coronavirus ne s’était pas abattue sur le monde.
Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître de la part d’un homme en apparence si peu porté sur les idées et au discours si peu policé, sa principale réussite est sans doute d’ordre intellectuel. Trump a fait montre de trois qualités essentielles : le patriotisme, le courage et la clairvoyance concernant les enjeux fondamentaux (et l’on pourrait ajouter : le sens de l’humour, car Trump en est abondamment pourvu, fait totalement occulté par la détestation pathologique dont il est l’objet).
Donald Trump a vu que l’Amérique courait un danger mortel : il a compris qu’une révolution était en cours, la poussée du multiculturalisme, dont l’aboutissement ne peut être que la disparition de la nation américaine et son éclatement en une multitude de « communautés » hostiles, toujours prêtes à se sauter à la gorge.
Sans doute n’est-ce pas trop difficile à comprendre et sans doute Trump n’est-il pas le seul à avoir posé ce diagnostic. Mais il est le seul à l’avoir dit publiquement avec autant de force et, surtout, il fut le seul homme politique de premier plan à agir conformément à ce qu’exige un tel diagnostic : en se battant de toutes ses forces pour empêcher la disparition de son pays, c’est-à-dire en mettant toute son énergie à réduire à l’impuissance ceux qui veulent le faire disparaître.
Les États-Unis se trouvent aujourd’hui dans une situation qui, à bien des égards, est l’image inversée de celle qui existait durant les années ayant précédé la guerre de Sécession. Il existe désormais deux Amériques (représentant chacune grosso modo 50 % de l’électorat), qui sont divisées non pas sur ce que le pays devrait faire – ce qui est l’état normal des choses en démocratie – mais sur ce que le pays devrait être ; et même sur le fait qu’il existe réellement une nation américaine.
Par un étrange renversement, ceux qui dénoncent le « racisme systémique » des États-Unis, et plus généralement de l’Occident, retrouvent les positions qui étaient celles des théoriciens de la sécession des États du Sud. John C. Calhoun, le plus éminent d’entre eux, considérait l’esclavage des Noirs comme un bien positif : Hannah-Jones, qui dirige le « Projet 1619 » lancé par le New-York Times[1], considère cet esclavage comme le péché originel ineffaçable et impardonnable des États-Unis (et de l’Occident), mais Hannah-Jones est d’accord avec John C. Calhoun pour affirmer que « tous les hommes ont été créés égaux » n’est pas une « vérité évidente » mais un mensonge évident. L’un affirmait la supériorité de la race blanche, l’autre affirme implicitement la supériorité de la race noire, tous les deux ont le même projet : remplacer les principes énoncés par la Déclaration d’Indépendance par des principes opposés.
Et, comme l’avait prédit Abraham Lincoln, « une maison divisée contre elle-même ne saurait subsister ». Les théories racistes de Calhoun ont, très normalement, débouché sur la guerre civile, les théories racistes d’Hannah-Jones et de ses semblables ont déjà créé un climat politique ressemblant très fortement à celui des années 1850 et pourraient, si les choses continuent sur leur lancée, déboucher sur une confrontation armée du même genre.
Trump a compris tout cela, au moins dans les grandes lignes. Ce qui est déjà très bien. Mais ce qui est mieux encore, il l’a dit ouvertement, carrément. Et en même temps qu’il l’a dit, il a contre-attaqué. C’est-à-dire qu’il a réaffirmé le bien-fondé des principes américains, les bienfaits de l’American Way of Life et la grandeur incomparable des États-Unis. Et il l’a fait sans « si » et sans « mais ». Son fameux slogan de campagne, « Make America Great Again », signifiait que l’Amérique est essentiellement grande et que, si elle est parfois petite, cela ne peut être qu’accidentel et dû à l’action de mauvais gouvernants.
Bien évidemment, les vrais patriotes de tous pays contesteront que les États-Unis d’Amérique soient « la nation la plus juste et la plus exceptionnelle qui ait jamais existé sur Terre », comme l’a déclaré Donald Trump devant le Mont Rushmore, car ils auront plutôt tendance à penser que cet honneur revient à leur propre nation, mais, s’ils sont clairvoyants, ils approuveront entièrement l’intention de l’ex-président en prononçant ces mots et ils comprendront que cet homme a été, d’une certaine manière, leur porte-parole à tous.
Trump, par son élection surprise en 2016, par toute sa présidence, et par l’élan populaire remarquable qui s’est porté vers lui au mois de novembre, alors que tous les analystes « sérieux » lui prédisaient une déroute, a prouvé quelque chose de très important. Il a prouvé qu’il était possible de résister à l’avancée du multiculturalisme et de défier les oukases du politiquement correct, qui est le bras armé du multiculturalisme, car qu’est-ce que le politiquement correct si ce n’est l’interdiction de dire du bien de la civilisation occidentale en général et de son propre pays en particulier ?
Il a prouvé qu’il était possible de refuser en bloc le projet multiculturel et même de l’attaquer frontalement, brutalement et grossièrement, sans se condamner électoralement. Trump a été un refus vivant, parlant, et même parfois éructant, du multiculturalisme, ainsi que du mondialisme qui en est l’ombre portée. Et ce refus a galvanisé tout un petit peuple américain que l’on croyait disparu ou en voie de disparition. Les quatre années de la présidence Trump ont ouvert la perspective, certes lointaine mais réelle, de vaincre le projet multiculturel, au lieu de se laisser étrangler petit à petit comme s’y était résigné le parti Républicain.
Même vaincu, Donald Trump laisse donc un héritage qui pourra fructifier. Vivifiée par son exemple, la droite américaine pourrait bien se renouveler et faire émerger une nouvelle génération d’hommes politiques qui, peut-être, auront certaines des qualités de Trump sans en avoir les défauts.
Les vrais patriotes de tous les pays seraient bien inspirés de méditer l’exemple et le bilan de Donald Trump.
[1]. Selon le New York Time, le Projet 1619 vise à « recadrer l’histoire du pays, à comprendre 1619 comme notre véritable fondation. Autrement dit, placer les conséquences de l’esclavage et les contributions des noirs américains au centre même du récit de notre identité ». Le « Projet » a été publié en 2019 à l’occasion du 400e anniversaire de la première arrivée d’esclaves africains à Port Comfort en Virginie, une colonie britannique d’Amérique du Nord.