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Voyage dans la France qui dépayse 

Connaissez-vous Nanterre ? Ce fut le chef-lieu des Parisii – peut-être –, le lieu de naissance de sainte Geneviève, un riche bourg d’Île-de-France, une ville industrielle. On y créa dans les années 1960 une université, une préfecture, c’est aujourd’hui l’une des plus grandes communes de l’agglomération parisienne avec près de 100 000 habitants. Bon, c’est juste derrière La Défense, mais c’est la banlieue moche. On ne se promène pas en banlieue. On a tort : à défaut d’être beau, c’est souvent instructif.

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Voyage dans la France qui dépayse 

J’étais donc l’autre jour à Nanterre pour affaires. Je me garai dans un parc de stationnement souterrain. La sortie était sombre, et nauséabonde ; un nom était rageusement inscrit sur tout le mur : Nahel. Tout le monde se souvient du nom de cet adolescent et de sa mort : un crime raciste qui souleva légitimement les banlieues françaises, ou une bavure policière qui déclencha de graves émeutes urbaines, ou un fait divers tragique exploité pour susciter une vague d’attaques contre la police, de destruction de bâtiments publics et de pillages, on ne sait pas très bien encore, un an seulement après. Perplexe devant ce message de bienvenue, j’en méditai la cause, et la conséquence sur le passant : incurie municipale, incivilités de la jeunesse, vague impression d’hostilité avant d’avoir rencontré qui que ce soit.

À la recherche de l’entrée de la préfecture, je déambulai sur un vaste boulevard qui devait recouvrir la ligne de train, bordé d’immeubles de bureaux des années 1970 et 80. Tâchant de me repérer, je levai les yeux vers la plaque de rue. Il était inscrit : Boulevard du 17 octobre 1961. Personne longtemps ne s’est souvenu de ce massacre de manifestants algériens pacifiques lors d’une manifestation à Paris, massacre dissimulé par un préfet de police scélérat et une presse docile, peu préoccupée du sort des invisibles, les travailleurs immigrés. Heureusement, un historien courageux militant pour la vérité et les droits de l’homme a fait des recherches, a publié un livre, vingt ans après, un romancier soucieux de la justice en a fait un roman policier à succès et le souvenir des deux cents morts sous les yeux des Français s’est réveillé. Bon, on n’a pas retrouvé les cadavres, mais la police a tout fait pour dissimuler son crime ; bon, on n’a pas les noms ni les identités ni l’état-civil exacts, on ne sait pas quels jours sont morts les morts qu’on a établis, bon, on ne peut pas prouver qui les a tués, mais est-ce si grave : la police tue, c’est bien connu. Il n’y a que des gens d’extrême droite pour prétendre que si on n’avait jamais pris conscience de ce massacre, c’est peut-être qu’il n’avait jamais eu lieu.

Mais qu’importe la réalité, qu’importent la vérité et la justice, quand on a raison

Je m’avançai sur le boulevard : à gauche, c’était le siège du tribunal, une cour remplie de véhicules de police, une entrée pour les piétons, désaffectée. L’adresse officielle était peut-être autre, peut-être seulement un cedex, mais l’intention paraissait claire : chaque policier, chaque magistrat et chaque prévenu devait passer par le « boulevard de la police assassine et de l’État raciste réunis ».

Passé le boulevard des Provinces Françaises, le boulevard du 17 octobre 1961 devient le boulevard Abdenbi Guemiah. Je me demandai qui était cet homme, ce n’était pas un personnage connu de l’histoire de France, je ne sais pas pourquoi, il y avait eu juste avant le boulevard Joliot-Curie, peut-être était-ce un érudit arabe méconnu, pourquoi pas un musicien arabo-andalou ou un joueur d’oud. Heureusement une plaque ornée de la photographie d’un jeune homme me renseigna : Abdenbi Guemiah était mort à dix-neuf ans, le 23 octobre 1982, « parce qu’il a commis le crime d’être jeune et arabe ». Là aussi, après quelques recherches, on se dit que ce fait divers oublié n’était peut-être qu’un drame de voisinage, dans lequel la victime n’était d’ailleurs pour rien. Mais qu’importe la réalité, qu’importent la vérité et la justice dans une affaire précise, quand on sait qu’on a raison sur le fond.

Pauvres jeunes de ces quartiers à qui l’on serine depuis l’enfance que la police assassine, que l’État est raciste et que les Français sont méchants. Pourquoi en sortiraient-ils ? Que leur reste-t-il comme aventure de jeunesse possible, sinon les trafics, les armes et les grosses voitures, et encore, pour un tour de quartier ? Comment s’étonner que tout incident, toute rencontre avec un policier soit toujours sur le point de virer au drame. Il paraît qu’il y a dans sa cité, déjà, une fresque à la mémoire de Nahel. Il faudra que j’aille la voir, une prochaine fois. Madame Sabrina Sebaihi, député sortant Europe Écologie Les Verts, investie par la NUPES puis par le Nouveau Front Populaire, a été réélue avec 57,99 % des voix.

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