Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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La logique des partis exige que les futurs probables vaincus s’allient. Le RN se sentant des ailes et LFI ayant choisi la contestation radicale, le Centre macronien va donc rassembler tous les valeureux antifascistes dans une union pour la majorité présidentielle qui rassurera les bourgeois. Mais leur permettra-t-elle d’exercer le pouvoir ?
Jamais, au moins depuis les débuts de la Ve République, l’avenir politique du pays n’a paru aussi incertain qu’aujourd’hui. La bipolarisation semblait être la règle d’or et le mode incontournable de fonctionnement de la vie politique, caractérisée par une opposition pérenne gauche/droite, chacune de ces deux tendances étant structurée autour d’un parti dominant (le parti socialiste pour l’une, une grande formation conservatrice, changeant de nom au gré des circonstances pour l’autre), et toutes deux alternant au pouvoir. Tel n’est plus le cas présentement, surtout depuis les législatives de juin 2022. Ces dernières ont engendré une véritable tripolarisation de la vie politique. Trois forces s’opposent mutuellement : la nébuleuse macronienne (Renaissance, Horizons, MODEM et quelques autres), actuellement au pouvoir, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (l’inénarrable NUPES), amalgame disparate de formations de gauche unies en 2022 dans un but purement électoral, et le Rassemblement national (RN).
Les Républicains (LR) peuvent-ils prétendre jouer un rôle de premier plan, et transformer cette tripolarisation en une nouvelle « bande des quatre » semblable à celle que dénonçaient, durant les années 1980, ceux qui ne se reconnaissaient dans aucun des grands partis d’alors : RPR, UDF, PS, PCF ? Ça ne semble pas du tout certain. En 2017, ils ont complètement manqué, tant à la présidentielle qu’aux législatives, l’occasion de succéder au pouvoir à des socialistes vomis par les électeurs (à tel point que le président sortant, Hollande, n’osa pas se représenter au suffrage populaire, par peur de l’humiliation d’un score ridicule), et se sont fait damer le pion par Macron et sa toute nouvelle République en marche (rebaptisée Renaissance en 2022) ; et, l’année dernière, ils ont vu leur candidate à l’Élysée essuyer un cuisant échec (arrivée en cinquième position, avec 4,78 % des voix), avant de perdre la moitié de leurs députés aux législatives suivantes. Ils semblent, comme le parti socialiste, avoir perdu leur raison d’être. La nébuleuse macronienne a absorbé à la fois les conservateurs libéraux, clientèle des Républicains et les nombreux éléments modérés du PS, héritiers des Fabius, Rocard, Jospin, Hollande, Valls et tutti quanti. Depuis 2017, tous ceux qui sont satisfaits ou ne sont pas trop mécontents du pouvoir votent Macron et Renaissance (ou Horizons ou MODEM) et non plus LR ou PS. Ces deux formations politiques se sont fait voler leurs électeurs par Macron et les siens. Et cela explique l’échec retentissant, humiliant, de leurs candidates respectives lors de la dernière présidentielle, Mesdames Pécresse et Hidalgo. Depuis le milieu des années 1980, le social-libéralisme des socialistes avait suscité un tel écœurement que les électeurs le rejetèrent massivement en 2017 et que, depuis, celui-ci n’est jamais parvenu à les reconquérir. Mais la tornade macronienne, la même année, a frustré les Républicains du bénéfice de la traditionnelle alternance gauche/droite qui semblait devoir leur être favorable. Et, depuis, ils n’ont pas su ni pu endosser le rôle d’une alternative à la politique du pouvoir macronien, d’avec lequel les électeurs ne voient pas la différence. Ils sont condamnés à un piétinement perpétuel devant les portes du pouvoir qui leur restent fermées. Et ils ne peuvent espérer reconquérir le pouvoir en 2027, d’autant plus qu’ils sont dépourvus d’alliés sur la scène politique actuelle.
Nous sommes donc en présence de deux partis en déshérence, privés de leurs clientèles électorales respectives, et donc dans l’impossibilité de revenir à la tête d’un pays qu’ils avaient gouverné à tour de rôle des décennies durant.
La situation de la nébuleuse macronienne n’est pas plus enviable. L’actuel président de la République a institué de fait un régime personnel qui a, de fait également, remplacé la démocratie jacobine de la Ve République par une démocrature. Il a, au mépris du vœu de plus de 80 % de la population et de la représentation nationale à l’Assemblée nationale (dont les députés sont élus au suffrage universel direct) imposé une réforme drastique des retraites dont presque tous les économistes s’accordent à dire qu’elle ne sauvera pas le système actuel des pensions par répartition. Les Français sont sortis de la crise politique suscitée par cette réforme résignés mais amers. Et, même si le temps écoulé entre 2023 et 2027 atténuera quelque peu leur rancœur, il ne la dissipera pas suffisamment, on peut l’augurer, pour qu’ils ne fassent pas payer cher leur mécontentement et leur indignation au candidat qui prétendra (fût-ce de manière voilée et hypocrite) à la succession de l’actuel locataire de l’Élysée, et aux candidats de la nébuleuse macronienne aux législatives, qu’ils sollicitent un premier mandat ou leur réélection. Ces candidats risquent de se voir tirés comme des pipes dans une fête foraine, de tomber comme des mouches victimes d’un jet insecticide. Le prochain président de la République pourrait sortir des rangs de l’opposition actuelle (de la NUPES ou du Rassemblement national). Et, s’il appartient à la nomenklatura macronienne, il se retrouvera très probablement dans une situation épineuse. Les dernières législatives ont vu Macron perdre la majorité absolue dont son gouvernement disposait à l’Assemblée nationale. Les prochaines, dans quatre ans, pourraient priver un président issu du sérail macronien de toute majorité parlementaire, même relative.
Il est inutile de dire que les caciques de la macronie sont parfaitement conscients de ces risques, et qu’en bons politiciens qu’ils sont, ils songent, dès aujourd’hui, à éviter leur massacre. Simultanément, les notables du PS et des LR ont le souci de sortir d’une situation de disgrâce électorale qui les condamne à une opposition permanente et stérile et, dans le cas du PS, à une marginalité digne de celle que connaissent les groupuscules d’extrême gauche (NPA, LO et autres). Tous savent que la seule façon d’éviter un holocauste analogue à celui du PS aux législatives de 2017 et à la présidentielle de 2022 (pour Renaissance et autres formations macronistes) ou la confirmation de leur relégation dans une opposition interminable et impuissante (cas du PS et des LR) est de s’allier pour briser la vague des deux blocs d’opposition radicale au pouvoir actuel, à savoir le Rassemblement national (RN) et la NUPES (amputée du PS). Et tout les invite, voire les oblige, à une telle alliance.
La raison politique, ensuite. Force est de reconnaître qu’il n’existe pas de motifs sérieux de désaccord, en matière de gouvernement du pays, entre la nébuleuse macronienne, les Républicains LR et le PS. Au pouvoir, les Républicains et les socialistes appliqueraient, à quelques inévitables nuances près, la même politique que Macron et ses proches, lesquels sortent tous des rangs du PS ou des LR, et ne font que poursuivre, avec beaucoup plus de détermination et de succès, la politique des Hollande et Valls ou des Juppé et Fillon. Les commentateurs ont beau nous rebattre les oreilles au sujet des différences existant entre les uns et les autres, il reste que celles-ci ne sont perceptibles que par les économistes, les journalistes et les politologues habitués à analyser les programmes et projets politiques et n’apparaissent pas à l’esprit des millions d’électeurs, lesquels ont, au contraire l’impression d’une similitude parfaite entre ces prétendus rivaux, et le sentiment justifié que voter pour les uns plutôt que pour les autres ne changera rien à leurs conditions d’existence (dont ils se plaignent le plus souvent). Les mécontents votent pour la NUPES (La France insoumise particulièrement) ou le RN, les électeurs satisfaits ou pas trop insatisfaits optent pour les macroniens. Or, ces derniers verront leur électorat s’amenuiser considérablement en 2027, cependant que le PS et LR (pépinières des macroniens, en 2017, ne l’oublions pas) ne retrouveront pas le leur. L’union des uns et des autres s’imposera donc. Évidemment, l’accord entre le PS, LR et la nébuleuse macronienne ne se fera pas en un jour. Il ne sera conclu qu’au terme d’un long chemin, difficile, tortueux, émaillé de désaccords ponctuels et de péripéties diverses. Mais la raison et l’instinct de survie l’emporteront, nécessité fera loi.
Les macroniens n’ont vraiment pas le choix : la conclusion d’alliances en dehors de leur nébuleuse, à gauche et à droite, leur est indispensable pour éviter leur immolation. Les Républicains, eux, savent qu’ils ne pourront revenir aux affaires sans une alliance avec un parti propre à leur servir de marchepied. Les socialistes, eux, en ont plus qu’assez de la NUPES qui les a sauvés du total anéantissement en 2022, mais les condamne à végéter dans une opposition permanente et les place, comme toute la gauche, sous la tutelle de fait de La France insoumise, dont ils réprouvent totalement le projet politique, sans pouvoir se faire entendre. Les dernières élections internes au PS, pour le renouvellement de l’équipe dirigeante, lors du congrès de Marseille (27-29 janvier dernier), ont vu s’affronter très durement Olivier Faure, premier secrétaire du parti, et son challenger, Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, au sujet de la ligne du parti et de son maintien ou non au sein de la NUPES, le second se prononçant pour la rupture d’avec cette dernière et le retour à l’orientation sociale-libérale et européenne du PS, qui avait prévalu entre le milieu des années 1980 et les élections de 2017. Olivier Faure fut finalement réélu de justesse, mais doit, depuis, partager le pouvoir avec un Mayer-Rossignol, soutenu par des notables socialistes aussi importants que Carole Delga (qui a tenu récemment des propos incendiaires conte l’actuel chef du parti), Anne Hidalgo, Hélène Geoffroy, sans parler des vieux « éléphants » comme Stéphane Le Foll. Bernard Cazeneuve, lui, ancien Premier ministre, a quitté le PS depuis mai 2022. Et, lors de la législative partielle de la 1ère circonscription de l’Ariège, Martine Froger fut réélue, le 2 avril, grâce au soutien de la fédération de ce département contre la direction nationale du PS qui lui refusa son investiture. Le PS est au bord de l’explosion, et Faure le dirige de plus en plus difficilement. Il est probable qu’en fait la ligne hostile à la NUPES l’emportera, et que le PS, redevenant social-libéral, se verra alors obligé, étant donné sa faiblesse actuelle, de s’allier aux macroniens et, par voie de conséquence, aux Républicains LR, lesquels comptent parmi eux une tendance « sociale » affirmée, menée par Aurélien Pradié.
Encore une fois, ce tripartisme inédit macroniens-LR-PS ne se fera pas sans difficultés, loin de là. Mais il s’imposera aux dirigeants de chacun de ces trois groupes comme la seule manière d’éviter leur laminage par la NUPES et le RN en 2027.
Il reste qu’il ne leur sera pas facile de convaincre les électeurs de voter pour eux, et donc pour le « système », honni aujourd’hui de l’immense majorité de la population. Les uns et les autres auront bien du mal à défendre leurs bilans respectifs. Ils peuvent cependant tabler sur la totale inexpérience et la dangereuse incompétence de leurs adversaires communs de la NUPES (LFI, écologistes, PCF) et du RN, et les risques de catastrophe que leur politique ferait courir au pays, tant au plan politique et diplomatique (conflits avec l’Union européenne, bouleversement des institutions) qu’économique et social, ce qui ne manquerait pas d’endetter et ruiner l’État, et donc les Français eux-mêmes, à commencer par les plus humbles, que les ennemis du système prétendent représenter et aider. Ils pourraient également jouer sur le réflexe « républicain » et appeler les Français à se ressaisir et à ne pas s’abandonner à la fange du populisme de gauche ou de droite, lequel aboutit censément à une dérive dictatoriale de type anarcho-communiste ou poujadiste (voire poujado-pétainiste).
En somme, nous verrions émerger une forme inédite de « front républicain », hostile à la fois à la NUPES et au RN, et appelant à la défense de la démocratie (républicaine elle aussi) contre une extrême gauche populacière, fanatique et irresponsable et une extrême droite incompétente et toujours ancrée dans un passé pétainiste et fasciste, qui fut la période des « heures les plus sombres de notre histoire », suivant la vieille rengaine bien connue.
Ainsi définie, l’alliance macroniens (ou post-macroniens)-LR-PS trouverait un certain crédit auprès des électeurs, et pourrait voir son candidat sortir vainqueur de la prochaine présidentielle. Il semble toutefois douteux qu’elle puisse donner à celui-ci une majorité à l’Assemblée nationale. Surtout, elle n’éviterait vraisemblablement pas le succès d’une motion de censure contre le ministère qui en ressortirait, la NUPES (ou ses successeurs) et le RN renonçant occasionnellement à leur excommunication réciproque habituelle et s’accordant tacitement sur un vote commun.
Illustration : Une belle tête de vainqueur.