France
« La bonne pratique devrait être d’examiner l’utilité ou la nocivité de chaque dépense »
Un entretien avec Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia. Propos recueillis par Philippe Mesnard.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Les LR sont en nombre dans le gouvernement Attal. Est-ce à dire que la gauche n’a plus sa place dans l’hypercentre macronien ? Non. De même que les LR sont invinciblement attirés par Renaissance, les socialistes – dont proviennent Attal et Macron – seront forcés de s’allier au parti présidentiel.
Le nouveau ministère est avancé, avec le plus jeune chef de gouvernement depuis Bonaparte, lequel assumait également la fonction de chef d’État. À vrai dire, rien de bien nouveau sous le soleil, ce ministère procédant toujours de la seule volonté du président de la République, maître absolu du jeu. Trois ministères-clés (l’Intérieur, les Armées, l’Économie et les Finances) ne changent pas de mains. Sont également inchangés des ministres importants comme celui de la Justice, de l’Agriculture, du Travail et de la Santé. Catherine Colonna, diplomate de profession, unanimement louée pour sa compétence et son expérience, doit abandonner le Quai d’Orsay à Stéphane Séjourné, qui, malgré ses fonctions passées au Parlement européen à la tête du groupe Renew, ne peut se prévaloir de ces mêmes qualités, et dont tous les médias ont délibérément oublié de rappeler (pudiquement ? prudemment ?) qu’il avait été, de 2017 à 2022, le compagnon pacsé de Gabriel Attal en personne (nous referait-on le coup de Mitterrand avec Édith Cresson, en 1991 ?).
Nos journalistes se sont surtout montrés sensibles, non sans raison, à la nomination inattendue de Rachida Dati à la tête du ministère de la Culture. Une femme à la forte personnalité, incontestablement, dont l’entregent et, soit dit carrément, le culot monstre, ont été le moteur de sa réussite, bien connue pour son ambition sans frein, son absence de scrupules, son agressivité, ses violences verbales, son irrespect envers ses collaborateurs comme à l’égard de ses adversaires, et qui, présentement, n’hésite pas à trahir son parti, Les Républicains, pour intégrer le gouvernement d’un pouvoir macronien, sur lequel elle a porté, à d’innombrables reprises, les jugements les plus insultants. Dans un souci d’équilibre, relevons que ce dernier, tout à sa stratégie de concurrence contre les LR, n’a pas hésité à recruter cette personne qui l’avait injurié et voué aux gémonies. Les deux (Dati et Macron et sa clique) nous donnent assurément, en l’occurrence, un bel exemple de probité et de vertu, bien propre à réconcilier nos compatriotes avec la classe politique et à leur donner le goût de la chose publique.
Cette nomination, le maintien à leurs postes respectifs, à la tête de trois des ministères les plus importants, de Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu et Bruno Le Maire, tous trois transfuges des LR, laissent penser que Macron, en nommant ce gouvernement, donne un coup de barre à droite. C’est vrai, du moins dans une certaine mesure, et les événements législatifs majeurs de l’année 2023, semblent attester de cette orientation. Macron et le gouvernement Borne n’ont pu faire adopter leurs réformes des retraites et de la régulation de l’immigration qu’au prix d’accords avec Les Républicains. Ces derniers ne peuvent espérer retrouver tout ou partie du pouvoir qu’en s’alliant avec la mouvance macronienne (Renaissance, Horizons, UDI, MoDem) depuis que celle-ci, à l’occasion de la présidentielle et des législatives de 2017, leur a raflé leur électorat centriste et conservateur, défaite confirmée par les élections de 2022, qui ont vu leur candidate à l’Élysée arriver en cinquième position avec 4,78 % des suffrages exprimés, et leur nombre de députés réduit de moitié. À l’évidence, les Français ne les considèrent pas comme une alternative souhaitable au pouvoir macronien. Les accords laborieux des LR avec les parlementaires macroniens lors des débats relatifs à la réforme des retraites et à la loi sur l’immigration préludaient à ce rapprochement des uns et des autres. Avec l’entrée de Rachida Dati au gouvernement, un pas de plus a été fait en ce sens. Certes, les Républicains honnissent actuellement la nouvelle ministre de la Culture, mais ils savent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de persévérer dans le sens de la recherche d’une entente avec la macronie, dès lors que les électeurs ne sont plus disposés, depuis 2017, à les porter au pouvoir à la faveur d’un seul scrutin, en tant que parti dominant, maître de l’Élysée ou de Matignon. Pour reconquérir ces centres du pouvoir, ils sont désormais obligés de recourir au marchepied d’une alliance avec les macroniens, qui les mènera à la participation ministérielle, puis, si tout se déroule suivant leurs espérances, à Matignon, en attendant que l’évolution de l’opinion publique leur ouvre, peut-être, la voie de l’Élysée. À cet égard, Rachida Dati joue le rôle d’éclaireur (d’éclaireuse) des LR (lors même que ceux-ci l’ont exclue de leurs rangs), voire de pionnière, dans leur lente et difficile reconquête du pouvoir.
La nomination de Dati n’est donc pas une « belle prise de guerre », comme certains l’ont dit ou écrit ; elle est simplement un pas de plus vers le rapprochement des LR et des macroniens, les uns et les autres n’ayant d’autre choix que de s’allier s’ils veulent éviter une déroute totale aux élections de 2027. Les Français ont porté Macron à l’Élysée en 2017, puis en 2022. En 2017, ils lui ont, en outre, offert une majorité absolue à l’Assemblée nationale. En 2022, ils ne lui ont plus donné qu’une majorité relative. En 2027, il n’est pas certain du tout qu’ils portent le candidat post-macronien (Philippe, Le Maire, Darmanin ou Wauquiez) à l’Élysée, ni qu’ils lui donnent une majorité de députés, même relative. L’alliance avec LR semble donc inévitable.
Elle ne suffira cependant pas à endiguer une vague du Rassemblement national ou de la gauche. Une autre alliance sera nécessaire pour atteindre ce but. Elle est toute trouvée : elle sera conclue avec le parti socialiste. En 2017, les Français ont littéralement vomi les socialistes, écœurés par leur conversion au néolibéralisme européen et mondialistes et leur propension à faire plus grand cas de la cause LGBT, de la PMA, du mariage homosexuel, que de leurs difficultés matérielles. Et ils ont puissamment confirmé ce rejet en 2022 où la candidate du PS à la présidentielle arriva en 10e position, avec un score de 1,75 % des suffrages exprimés. Et, aujourd’hui, nos compatriotes ne sont pas plus disposés qu’hier à remettre le PS au pouvoir. Ils ne voient pas plus en lui qu’en LR une alternative au pouvoir macronien. Seuls, ils ne parviendront à rien. Or, manifestement, ils ne veulent plus appartenir à la NUPES, où ils cohabitent avec LFI, EELV et le PCF. Ils seront donc contraints, même s’il leur en coûte moralement (mais existe-t-il une morale en politique ?), à une alliance avec les post-macroniens, comme LR. Et les post-macroniens seront trop heureux de les accueillir.
Post-macroniens de tout poil, LR et PS seront donc forcés de s’unir pour éviter une submersion de la gauche et/ou du Rassemblement national, les deux grandes forces où se bousculeront les mécontents, que l’on peut prévoir nombreux en 2027. Un « front républicain » inédit verra donc le jour, tourné à la fois contre la gauche radicale (à commencer par LFI) et contre le Rassemblement national, et non plus, comme les « fronts républicains » précédents, contre ce dernier seulement. Il sera aisé aux caciques post-macroniens, LR et PS, de jouer de la peur des Français et d’en appeler à leur raison et à leur sens des responsabilités pour ne pas se jeter dans les bras de la gauche extrême ou du RN, lesquels plongeraient la France dans le plus grand des malheurs, dont souffriraient en particulier les plus humbles d’entre eux. L’alliance sera d’ailleurs facilitée par le fait qu’il n’existe aucune différence de taille entre les uns et les autres. Le PS ou LR au pouvoir feraient en gros la même politique que Macron.
Pour en revenir à l’orientation apparemment droitière du gouvernement Attal, nous dirons, pour terminer, qu’il ne faut tout de même rien exagérer, et que l’entrée de la LR Dati au ministère n’empêche nullement une future ouverture en direction du PS, d’où viennent, ne l’oublions pas, Macron lui-même, Attal et Séjourné. Et si le présent gouvernement comporte des « poids lourds » droitiers, il inclut aussi des macroniens de gauche, et non négligeables, tels Sylvie Retailleau… en attendant le gouvernement complet et les futurs remaniements.
Illustration : Olivier Faure en train de peser ses mots afin qu’on ne puisse pas lui reprocher en 2027 d’avoir retourné sa veste. Ça va être long.