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Sur les chemins atypiques de l’exploration sonore

Le pianiste et compositeur Nicolas Horvath, né en 1977 à Monaco, mène une carrière singulière hors des sentiers battus. Il nous dévoile les motivations de son engagement et nous détaille ses projets originaux. Entretien réalisé par Damien Top

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Sur les chemins atypiques de l’exploration sonore

Comment êtes-vous devenu musicien ? Et pourquoi le piano ? 

Je dois cela à ma bonne étoile ! J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes à des moments charnières. Rien ne me prédestinait à cette carrière : mes parents étaient des ouvriers non musiciens. J’ai toujours été attiré par le piano. Enfant, j’avais l’impression que le piano me permettrait d’atteindre un autre monde, bien plus vaste et plus riche que celui du petit et sombre appartement dans lequel nous vivions. Jusqu’à mes 14 ans, c’était ma seule ambition. À cet âge-là, j’allais rencontrer le chef d’orchestre Lawrence Foster, venu voir sa fille qui participait en même temps que moi à un concours de fin d’année. Deux ans plus tard, je partais aux USA avec une bourse couvrant tous les frais possibles pour suivre pendant trois étés les dix semaines du stage intensif du Festival d’Aspen. Et c’est lors de ces étés que j’ai compris que je voulais en faire « mon métier ». 

Vous avez enregistré Karl August Hermann, Anne Brillon de Jouy, Julius Eastman, Hélène de Montgeroult, Jean Catoire, etc. D’où vient ce goût pour les artistes méconnus qui caractérise nombre de vos programmes ? 

Le partage musical de ces génies oubliés constitue pour moi une mission. Étudiant, je pouvais lire tous ces noms dans les lettres de compositeurs et d’interprètes, mais je n’avais aucun moyen de me faire une idée de leur musique : aucun enregistrement n’existait, les partitions étaient introuvables, et je n’avais pas encore ma carte de chercheur à la BnF. N’étant pas tout jeune, internet en était encore à ses balbutiements. Ni Gallica (Bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France accessible depuis 1997) ou IMSLP (International Music Score Library Project : médiathèque virtuelle en ligne de partitions du domaine public lancée en 2006) n’étaient imaginables !
Dès que j’ai eu la chance de choisir mes programmes de concerts, j’ai toujours ajouté un tiers de créations dans mes programmes (ce qui est aussi valable pour certains compositeurs anciens).
Mes albums ayant eu un excellent retour presse, et aussi de très bons résultats auprès du public, cela m’a donné la possibilité de continuer mes explorations. Et, plus important, de faire que toutes les partitions soient à nouveau éditées et facilement disponibles pour que tous les pianistes intéressés par ces découvertes puissent à leur tour les jouer, les enregistrer et continuer toutes mes explorations ! Mon souhait le plus cher est de faire entrer ces génies oubliés dans le grand répertoire !
Mais je continue à chérir mes Bach, Mozart, Beethoven, Chopin, Liszt, Debussy et Scriabine qui ne m’ont jamais quitté ! J’ai hâte d’avoir la chance de les enregistrer !
Avec le recul, je me rends compte que, malgré moi, j’ai suivi le chemin tracé par certains pianistes explorateurs que j’admirais : Cortot, Raymond Lewenthal, Sofronitsky et Marc-André Hamelin. 

La durée d’exécution de certaines œuvres, comme les Vexations de Satie ou les Études de Philip Glass, ne représente-t-elle pas une épreuve rebutant certains interprètes ? 

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer avec de tels programmes, je n’ai jamais été intéressé par un quelconque défi. Je ne les vois pas comme des marathons, mais plutôt comme des concerts-fleuves. Si une partie du public vient pour frissonner à l’audition de ces exploits, elle reste en fin de compte car elle assiste à un vrai concert (plus long que la moyenne). 

Que nous apprennent ces partitions sur la notion de temps par exemple ? 

J’ai pu surtout explorer la notion de temps suspendu grâce aux Vexations de Satie. Cette œuvre mystique sans aucun repère traditionnel (aucune mélodie, des enchaînements d’accords ne répondant pas aux canons de l’harmonie) avec ces 840 répétitions se déroule tel un mantra. Cette œuvre est idéale pour traverser divers états psychiques et progressivement rentrer dans un état de transe qui, étrangement, ne dure pas si longtemps. Si l’on prend cette œuvre très au sérieux, sa durée oscille entre 16 et 35 heures sans la moindre pause. 

Plusieurs intégrales jalonnent votre discographie. Quel est leur intérêt ? 

Les intégrales permettent de jouer des œuvres qui sont souvent écartées des concerts car hors format ou « moins importantes ». Telles les rétrospectives du Grand Palais ou du Musée Beaubourg, on peut ainsi découvrir en concert tout l’œuvre d’un compositeur. 

Quel est votre meilleur souvenir de concert ? 

Je garde un souvenir ému de l’intégrale Erik Satie à la Philharmonie de Paris : après huit heures de concerts non stop, le public très nombreux (plus de 14 000 personnes tout au long de la nuit) m’a offert une standing ovation d’une heure ! Pour les remercier, je leur ai offert huit bis. C’est vraiment dommage qu’un moment d’échange n’ait pas été imaginé, j’aurais tellement aimé pouvoir échanger avec eux ! 

Et le pire ?

La toute dernière itération de ma Nuit du Piano Minimal en février 2014 à Kiev sur la place Maïdan. Le concert se déroulant la veille du premier massacre… l’ambiance était électrique. Pendant ce concert qui dura toute la nuit, j’entendais chants patriotiques, explosions, coups de feu, cris… La salle était pleine (la House of the Architect, le QG des manifestants) et surtout, le public ne bougeait pas ! Au bout d’un long moment, ma peur et mon envie de fuir ont disparu et j’ai vécu un moment inoubliable de communion avec le public. 

Comment naquit votre passion pour l’écriture électroacoustique ? 

Je compose de la musique ambient / noise / électroacoustique depuis les années 1999-2000. Au début en autodidacte et puis sentant mes limites, je me suis inscrit au Conservatoire du XXe dans la classe de Gino Favotti (qui m’a appris à travailler mes sons) et ensuite chez Christine Groult (qui m’a appris la forme). J’ai suivi les passionnantes master classes de François Bayle, Zanesi, Parmegiani… C’est comme cela que je suis entré en contact avec la nouvelle garde musicale et aussi les expérimentalistes dont j’ai eu la chance de faire partie.
Pendant plus de dix ans, j’avais mis cette partie de ma discographie de côté pour me concentrer sur le piano et tous ces compositeurs que je voulais servir le mieux possible, et ce n’est que récemment que j’ai réintégré toutes mes créations et que je renoue contact avec les personnes qui suivaient mon travail il y a plus de 20 ans. 

Quels sont les projets de Nicolas Horvath ?

Après un été très calme, je commence à préparer de beaux projets d’albums de musique française. Ma série sur mes découvertes continue à vive allure (un grand portrait tous les mois), plusieurs collaborations hors normes sont à venir pour le label Sub Rosa (avec le japonais Merzbow,…).
Depuis le mois de mai 2022, j’anime un rendez-vous mensuel d’une heure sur Fréquence Protestante que nous avons appelé : Musiques Actuelles.
Nous restaurons aussi mon pianoforte Zumpé, ainsi qu’un clavicorde et j’espère qu’ils seront prêts à temps cet été pour vous offrir des moments musicaux uniques !

 

Pour aller plus loin : Dates de concerts, discographie complète et informations sur le site internet de l’artiste ICI.

Photo top ©Marine Pierrot Derty

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