Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Tel un chef Jivaro, le président Macron a fièrement accroché à sa lance les têtes coupées, puis réduites, de ses ennemis abattus : les partis de droite et de gauche. Nous en aurait-il vraiment débarrassés ? Les gnomes de cette espèce sont, hélas, toujours prêts à rejaillir de leurs cendres. S’il veut vraiment en finir avec eux, voici la méthode que nous lui conseillons.
Il lui faudra d’abord constater que les députés qui composent l’Assemblée nationale ne représentent pas les Français qui les ont élus. Ces députés paraissent les représenter parce que les électeurs les ont choisis parmi d’autres candidats. Mais c’est un faux semblant. On sait très bien que, majoritairement, le choix d’un élu n’est fait qu’en fonction du parti qu’il représente. Cet élu ne représente donc pas ses électeurs, il ne représente, pour l’essentiel, que le parti auquel il appartient.
Avec Emmanuel Macron, il y a eu, il est vrai, un changement de comportement : une majorité d’électeurs a voté non pas pour les partis de droite ou de gauche, mais pour un parti lié à un homme.
Ce qui appelle deux observations. La première, c’est qu’il y a eu un précédent : le général de Gaulle, qui suscita un parti, l’UNR, s’affirmant ni de droite ni de gauche ou, si l’on préfère, et de droite et de gauche… Or, comme on le sait, avant même que le général ne quitte le pouvoir, les partis ont commencé à s’agiter, et, dès son départ, à prospérer. Malgré son prestige et son autorité, de Gaulle a échoué à réformer le système : quelles chances un Macron a-t-il d’y parvenir ?
Mais surtout – seconde observation –, les électeurs qui, aux législatives, ont élu les candidats de La République en marche n’ont pas, eux non plus, des députés qui les représentent : ils ont élu des candidats qui représentent Emmanuel Macron. La preuve en est qu’il s’agissait en grande partie de personnes inconnues dont les électeurs ne savaient rien.
Pour le nouveau président, cela peut paraître doublement satisfaisant : d’abord pour son ego, bien sûr ; mais aussi pour le confort que cela donne à son activité – ou son activisme – politique : il peut faire adopter des lois de tout genre et tout modèle à un rythme accéléré. Supposons, cependant, que, comme on lui en prête l’intention, il veuille laisser un nom à l’histoire, supposons qu’il veuille, comme on le dit, « réformer » le pays en profondeur, il ne pourra sûrement pas se satisfaire de cette sempiternelle répétition du même, il ne pourra pas en rester à aligner des réformettes de circonstance uniquement destinées à satisfaire des publics ou des lobbies particuliers. À côté de quelques textes utiles, combien d’autres qui ne font que déplacer les problèmes, et remplacer des privilégiés et des laissés pour compte par d’autres privilégiés et d’autres laissés pour compte !
Alors voici ce que nous suggérons au président Macron : commencer par se demander sérieusement ce qu’il convient de faire pour que les élus des Français les représentent réellement, au lieu de représenter un parti ou un homme plus ou moins providentiel.
Le premier acte authentiquement politique qu’il devra poser sera de proclamer la dépolitisation complète des élections locales. C’est dans leur commune, leur ville – ou, pour les habitants des grandes villes, leur arrondissement –, que les Français sont le mieux à même d’exprimer leurs soucis réels, leurs besoins concrets et en même temps de prendre conscience des contraintes qu’impose la vie collective. C’est à ce niveau que, depuis toujours, se tissent les premiers liens sociaux extra-familiaux, et que les questions de première nécessité se posent et trouvent des réponses réalistes. Des questions très éloignées des préoccupations idéologiques des partis politiques… Dépolitiser les scrutins municipaux constituerait dès maintenant une œuvre de salut public. En interdisant qu’il puisse y avoir une politique municipale « de droite » ou « de gauche », on rendra la gestion des communes à sa plus authentique fonction politique : elle sera recentrée sur la seule recherche du bien commun communal.
Les transformations de la société ont cependant provoqué, dans la gestion des 35 400 communes françaises, le développement de l’intercommunalité. Pour mieux la prendre en compte, un chef de l’État qui entend marquer son époque se doit, dès maintenant de voir plus loin. C’est à l’actuel découpage en cantons et en départements, de plus en plus obsolète, qu’il faut désormais s’attaquer. Il a été conservé par les réformes Hollande de 2014 dans le souci principal de maintenir l’emprise des partis politiques sur les structures administratives et électorales locales.
C’est précisément l’inverse qu’il faut faire : dans un renversement de nature « copernicienne », la future – et inéluctable – réforme profonde des collectivités locales, fondée sur le principe de l’exclusion totale, au niveau local, de l’influence des luttes partisanes, devra privilégier délibérément, dans tous les domaines, la seule émulation des compétences.
Quels que soient le découpage géographique et les modalités électorales retenus, le point central de la réforme sera donc que la représentation des Français dans les assemblées locales se fera par catégories socio-professionnelles, selon une répartition analogue à celle de l’actuel Conseil économique, social et environnemental (CESE). Ce sont les forces vives de la société, par domaines d’activité (industrie, agriculture et pêche, commerce, santé, artisanat,…), ou par modes d’organisation (entreprises, associations,…), ainsi que les organisations familiales, les forces morales, spirituelles, etc., qui constitueront la substance vivante de ces assemblées.
Le même principe s’appliquera à l’élection des assemblées régionales, ce qui prendra tout son sens si les régions échappent aux logiques purement administratives et technocratiques et retrouvent leur authenticité historique et géographique. C’est la condition même pour que la France retrouve l’équilibre qui est naturel à sa dynamique historique : ni fédéralisme girondin, ni centralisme jacobin, mais un heureux alliage de la liberté et de la nécessité. L’État central, indépendant et fort dans ses prérogatives régaliennes (Justice, Défense, protection des plus pauvres), sera en même temps naturellement respectueux des libertés, libertés locales et libertés professionnelles notamment.
Et si Emmanuel Macron veut aller jusqu’au bout de la logique profonde de cette réforme, il reprendra une des propositions les plus révolutionnaires du Cercle Vauban dans sa brochure Des institutions pour la France : il la ferait remonter jusqu’à un point sommital des institutions, le Sénat. À condition de révolutionner la Haute Assemblée de fond en comble. Sa composition reprendrait le très raisonnable projet du général de Gaulle – repoussé par la classe politicienne en 1969 – de le fusionner avec le CESE, pour assurer la meilleure représentation possible des Français dans leurs forces vives. Resterait à donner à cette nouvelle assemblée le dernier mot dans la préparation et l’adoption des lois. L’Assemblée nationale continuerait d’assurer le débat des idées, permettant aux partis d’exister et de s’exprimer sans abuser de leurs pouvoirs, un abus qui les a totalement discrédités.
Enfin, si ce président – qui a avoué un jour s’interroger sur « l’absence » que manifestait la figure présidentielle elle-même – songe à couronner cet édifice par un exécutif apte à demeurer indépendant et fort dans la durée, alors nous le suivrons. Jusqu’au bout de sa démarche.
Des institutions pour la France du Cercle Vauban.
Disponible à nos bureaux (8 € port inclus).